La véritable histoire d’Euverte d’Aurélianum
Rendre service n’est jamais vain …
… et Dieu le lui rendit
Il était une fois un brave sous-diacre que rien ne prédisposait à la gloire, qu’elle fût dans ce monde comme dans l’au-delà. Il s’appelait Euverte et était venu vivre en Aurélianum dans les années 340. C’était encore une époque obscure où les légendes allaient bon train. Euverte, quoique fort pieux, aimait à se baguenauder en bord de Loire. Un jour, lors de l’une de ses longues promenades méditatives, le jeune homme entendit des plaintes venues d’un trou d’eau que la rivière en baissant avait laissé là sur une grève.
Euverte s’approcha, intrigué. Un brochet de belle taille s’adressait à lui dans un latin ma foi fort convenable. La chose peut paraître étrange de nos jours mais en ce temps là, le latin n’était pas langue morte. Malgré quelques fautes de déclinaison, le carnassier pris à ce triste piège, supplia le sous-diacre de le tirer de ce mauvais pas et de le mettre dans la Loire qui coulait à deux pas de là. Euverte, bien avant Saint François d’Assise, savait parler aux animaux.
Le brave homme s’exécuta. Lui dont la vie n’était pas exemplaire, abandonna son rôle de pécheur devant l’éternel et remit le brochet dans le droit chemin. Il fit cela par bonté d’âme, sans rien attendre en retour de ce geste. Il continua sa pérégrination méditative quand un nouvel appel le sortit de ses pensées célestes. Un jeune castor était pris dans un piège, une nasse qui traînait à sec, un panier en osier destiné à prendre des poissons.
Euverte, une fois encore, comprit le langage de l’animal. Le castor parlait la langue profane : celle d’un peuple encore empreint de celtitude. Il comprit le désarroi de l’animal et le libéra de ces rets diaboliques. Le Castor le remercia vivement lui promettant, le cas échéant, de lui renvoyer l’ascenseur. Euverte fut, il faut bien le reconnaître, très surpris de la formule, d’autant qu’il ignorait tout d’un moyen de transport pour longtemps encore inconnu de ses contemporains.
Sa balade méditative prenait un tour curieux. Euverte pourtant ne renonça pas à son trajet habituel, repoussant l’idée qu’il pourrait faire nouvelle rencontre. C’est cependant ce qu'il advint là où la rivière arrivait en son septentrion. Cette fois c’est un oiseau qui le héla. Parlait-il aussi la langue des oiseaux ? Il ne faut pas blasphémer, seul le grand Saint François réclame ce privilège, Euverte se contentant de deviner la détresse de l’oisillon, une petite colombe tout juste sortie du nid et qui avait manqué ses premiers pas.
Le sous-diacre rassura la colombe, lui donna quelques conseils afin que le bel oiseau puisse voler de ses propres ailes. Fort des recommandations du promeneur ligérien l’oiseau battit des ailes et s’éleva vers le ciel. Euverte avait, en ce jour béni de tous, porté la parole du Seigneur et son enseignement par l’exemple. Il venait de démontrer à un monde incrédule que les animaux avaient une âme en cette époque où la femme n’avait pas encore ce privilège.
Euverte revint et oublia cette journée. Sa vie de prières et de menus services ecclésiastiques reprit son cours. Le temps passa et nous arrivâmes à cette année 348 qui le fit basculer dans la légende dorée. Tout commença pourtant de fort mauvaise manière. Ses deux frères, pour des raisons obscures qu'il ne nous appartient pas de juger, étaient sous les verrous. Il lui semblait que la prière était la plus sûre manière de leur apporter un peu de réconfort en une période où la vie carcérale n’était pas des plus sereines.
C'est alors qu’il était plongé en prières qu’il entendit autour de lui un fort brouhaha en dépit du fait qu’il était dans un lieu de silence. Il y avait querelle et rixe dans la communauté chrétienne d’Aurélianum. Le troisième évêque de la jeune assemblée locale venait de disparaître sans avoir laissé de recommandations au sujet de sa succession. La bataille faisait rage entre les divers prétendants, tous de nobles familles : des prétoriens et des Gallo-Romains à l’ambition démesurée.
Euverte haussait les épaules ; lui le sous-diacre de basse extraction, il n’avait cure de ces imbroglios religieux. Pour l’heure, seule lui importait la délivrance de ses deux frères aimés. C’est alors qu’un homme important vint solliciter son avis dans la désignation du futur évêque de la cité. Euverte haussa les épaules, lui fit comprendre que cette question était loin d’être à son ordre du jour. L’homme en parut courroucé. Il s’enquit du peu d'enthousiasme du jeune sous-diacre pour ce sujet d’une extrême gravité. Euverte vertement lui expliqua ce qui était pour lui un sujet d’importance.
Il se trouve que ce personnage était justement celui qui détenait enfermés les frères de notre ami Il s’amusa de la chose, répondit avec ironie à ce misérable moinillon que les affaires de ce monde n’étaient rien en comparaison du service de Dieu. Euverte lui répliqua qu’il n’avait qu’à libérer ses frères afin qu’il puisse donner son opinion, l’esprit serein. Le gardien des geôles lui rit au nez et le pria de le suivre.
Ils se retrouvèrent devant la Loire et, dans un geste autant de provocation que de mépris, le gardien jeta dans la rivière une clef qu'il prétendit être celle de la cellule où croupissaient les deux frangins. « Ils ne sont pas près de sortir de leur domaine, c’était la seule clef de l’endroit ! Retrouvez-là et je vous promets de les élargir sur le champ ! »
Euverte était au désespoir quand son ami le brochet, celui-là même qu’il avait sauvé quelques années auparavant, sortit la tête de l’eau et lui promit de régler sur le champ l’épineux problème. L’animal plongea et revint triomphant, la clef entre les dents. « Je vous étais redevable mon bon ami. Voilà que nous sommes quittes et que vos frères vont pouvoir quitter leur prison ! » Et l’animal de disparaître à jamais dans les eaux de la Loire.
L’homme dut s'exécuter et tenir sa promesse. Il fut très impressionné par le prodige qui venait de se produire sous ses yeux. Il en parla énormément autour de lui si bien que la réputation d’Euverte circula dans une ville prompte à l’admiration béate. On se découvrait désormais au passage du gars Euverte, tout sous-diacre qu’il était.
La controverse ne s’éteignit pourtant pas. Il fallait un évêque et trop nombreux étaient les candidats dans cette cité. On en venait aux mains ; il fallait agir de toute urgence. C’est alors que survint un incident d’une extrême gravité. Un utriculaire, un bateau de Loire avec des outres remplies d’air pour assurer sa flottaison en cette époque lointaine, fut pris au piège de la rivière en crue.
L’équipage allait disparaître sous les flots si aucune intervention miraculeuse ne lui venait en aide. Euverte était parmi la foule des chalands attirés par le drame. Il joignit ses prières aux cris d’effroi des braves gens. C’est alors qu’il vit le castor qu’il avait sauvé venir à lui et lui demander s’il était possible de lui donner un coup de main. Euverte, qui pour sous-diacre qu’il était n’était pourtant pas dépourvu du sens de l’humour, lui rétorqua que ce serait plutôt avec les dents qu’il pouvait lui être utile.
Une conversation s’ensuivit entre le religieux et le castor. Celui-ci fit alors appel à ses congénères qui entreprirent tous de se mettre à l’ouvrage en amont du bateau en péril. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, des arbres s'abattirent dans la Loire et finirent par faire un pont entre l’embarcation et la berge. L’équipage fut sauf grâce à l’intercession d’Euverte et de ses amis rongeurs.
La nouvelle fit grand bruit. Euverte était désormais pressenti pour devenir le quatrième évêque de la cité. Mais l’homme étant de basse extraction, il fallait un signe divin pour lui conférer cette noblesse qui lui manquait pour lui permettre d'aspirer à sa charge. C’est alors qu’une colombe survolant la ville eut vent de l’affaire. Elle reconnut en Euverte son sauveur d’antan et, pour lui tirer une épine du pied et régler le problème d’étiquette auquel il était confronté, elle vola vers lui en lui apportant une branche de gui devant les fidèles rassemblés dans l’église.
Euverte, de par ce qui passa pour un signe de Dieu en personne, fut nommé quatrième évêque de la cité. Son ministère fut des plus heureux. Il se lança dans la construction d’une cathédrale en 354, participa au concile de Valence en 374 et désigna Aignan, futur saint lui aussi, comme son successeur en 383. Voilà, vous savez tout de cette histoire, jusque-là tenue secrète. Ne me cherchez pas la petite bête ; elle est rigoureusement authentique puisque c’est une pie bavarde qui me l’enseigna en haut des tours de la cathédrale Sainte Croix.
Blasphématoirement sien.
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