Le festival d’été de Villach (Autriche) : avec un lit de fleuve pour opéra d’un soir ...
« Une petite folie, disait un personnage de Montherlant, si l’on savait comme la vie s’en éclaire ». Et quand c’en est une grande, alors on en reste ébloui. Le touriste arrivé à l’improviste, le 9 août dernier en début de soirée à Villach, à la frontière italo-autrichienne, sur la route d’Udine, ne pouvait que rester abasourdi en se promenant sur le pont au-dessus de la Drau, le fleuve qui coupe la ville en deux.
En amont, il n’y avait pas de doute possible, ce n’était pas un radeau mais bien une scène de spectacle couverte qui était arrimée en plein milieu du fleuve, amarrée à la proue d’un bateau-mouche situé en arrière en guise de coulisses. L’ensemble était retenu par des câbles tendus depuis les rives. On ne pouvait s’empêcher de sourire en levant les épaules : ils n’allaient tout de même pas donner un spectacle dans le lit de ce fleuve au courant si rapide ! Où donc se mettraient les spectateurs ? Sur le pont, sur les rives en pente ? Bonjour la sécurité ! Quant à l’acoustique...
Un concert sur la Drau
Et pourtant, des gens arrivaient de partout, qui avec un pliant, qui avec une couverture ou des pulls de secours ceignant les reins ou jetés sur les épaules : ils s’étaient bien couverts. Les rives ont été bientôt noires de monde : on distinguait en fait des terrasses avec des tables prises d’assaut ; on y buvait forcément la bière locale, « la Villacher ». Mais beaucoup s’asseyaient sans crainte à même le sol, sur les pentes herbues des deux rives. Contre le parapet du pont, il n’y avait déjà plus de place : on s’y pressait épaule contre épaule. Des canots faisaient la navette entre le Centre des Congrès en aval et la scène : des musiciens en habit noir et chemise blanche avec leur instrument en débarquaient et prenaient pied sur cet appontement insolite. Le touriste, éberlué, assistait bien aux préparatifs d’une des folles soirées du « Summertime 07 » qu’annonçaient fanions et banderoles : un concert sur la Drau prévu pour 20 h 30. Il ne lui restait plus qu’à se laisser porter par la foule et à trouver lui aussi un fauteuil d’orchestre de fortune, un de ces bancs de bois jaune à une table en terrasse ou une loge champêtre sur l’herbe grasse pour attendre ce qui allait se passer.
Un amphithéâtre insoupçonné
À 20 h 30, la foule en attente depuis au moins une heure - plus de 10 000 personnes - a commencé, impatiente, à applaudir du pont et des deux rives qui formaient en fait un amphithéâtre insoupçonné en fer à cheval. C’était pour hâter le début du concert : l’orchestre n’en finissait pas de tester comme à l’accoutumée ses instruments dans une cacophonie qui montait clairement du fleuve. L’acoustique, on pouvait déjà s’en rendre compte, était parfaite. Des enceintes qu’on croyait réservées aux bastringues de disco, répercutaient à l’entour avec netteté tout ce remue-ménage de mise en voix. Soudain, le silence est retombé, la scène et l’orchestre venaient d’être inondés de lumière. Et dans le souffle sourd qui courait sur fleuve, le chef d’orchestre s’est avancé avec la présentatrice de la soirée, Barbara Rett.
Deux cents artistes du Théâtre national de Brno
Le Théâtre national de Brno (République tchèque) venait avec 200 artistes offrir un spectacle de près de trois heures. La nuit était tombée, et dans la lumière d’une scène onirique dressée contre le cours d’un fleuve, se sont alors succédé des extraits d’opéra, des arias, des chœurs, des ballets. Sopranes, ténors, basses se relayaient. Chacun pouvait reconnaître des airs qu’il aimait : Verdi, Hoffmann, Strauss, Gershwin. On passait de Rigoletto à La Traviata, de Turandot à La Tosca, du Trouvère à Porgy and Bess. Le corps de ballet s’intercalait : et on l’a vu danser sur l’eau Le lac des cygnes, puis des scènes de Roméo et Juliette de Prokofief, ou encore de Spartacus de Katchaturian. Quand lentement s’est élevé jusqu’à éclater le chœur des esclaves de Nabucco, il a semblé que le fleuve, lui-même, retenait son cours comme la foule son souffle, parcourue de frissons étrangers à l’air frais et humide. Et pour bouquet final, un feu d’artifice a embrasé ciel et fleuve. Du tablier du pont, sous les pieds des spectateurs serrés les uns contre les autres, à la fois transis et ravis, dont l’ombre des têtes se découpaient dans la clarté qu’elles répandaient, ont jailli des fontaines lumineuses se déployant en cataractes flamboyantes pour se perdre dans les eaux sombres du fleuve.
Le touriste arrivé à l’improviste qui s’était un peu vite gaussé de cette scène fantasque, aurait-il pu imaginer un concert de cette qualité et, qui plus est, gratuit, suivi par des milliers de personnes dans un silence religieux, sur un lieu aussi insensé, un lit de fleuve pour opéra ? Le lendemain, en repassant le pont sur la Drau, vers midi, il en serait même venu à croire qu’il avait fait un rêve, s’il n’avait pas vu un canot arracher à ses amarres une scène repliée puis l’emmener en aval du fleuve jusqu’à l’année prochaine. Paul Villach
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