Le mariage de Léon

L’actualité du week-end, entendue ce matin sur France-Info, nous montre un exemple parfait de cette idéologie présentée comme fallacieuse en 1968 et communément acquise aujourd’hui par beaucoup, y compris parmi les plus réfractaires de l’époque, à savoir, par exemple, les catholiques pratiquants. L’exemple, car ça en est un bon, c’est celui de Léon Laclau, curé de Saint-Martin-d’Asson, qui s’était vu notifier son renvoi le 24 avril 2007 par l’évêque de Bayonne (le chômage ça existe aussi maintenant pour les prêtres) car il avait révélé publiquement vivre en concubinage. Même au Figaro, on est aujourd’hui au courant, et on titre à l’époque sans hésiter "Un village solidaire de son prêtre limogé pour concubinage". Quatre cents personnes, apprend-on qui font comme en Mai-68, à savoir des sit-in et de manifs avec banderoles écrites par les enfants, unis dans la défense d’un prêtre, avec des slogans révolutionnaires sinon quasi bolcheviques tels que "Rendez-nous notre prêtre. Qu’a-t-il fait de mal sinon de nous ramener vers Dieu ?"... Ça c’était encore l’année dernière. Aujourd’hui, Léon tient sa revanche : ce week-end, il s’est marié... à la Mairie de Vic-en-Bigorre. Ben oui, l’église, la sienne, surtout, lui a été refusée. Ce qui n’est guère pour nous étonner... Ce qui n’a pas empêché le couple de remplir la mairie : tout le village de Léon et Marga est toujours derrière lui, et il s’était déplacé en masse : Léon et Marga sont devenus des vedettes locales ! Un couple d’amoureux qui n’est pas dénué d’humour : pour les remercier « Merci, parce que sans vous, on aurait été un peu cassés. On peut considérer que vous avez été notre parachute doré », disent-ils à tous ceux qui les ont soutenus au-devant de la mairie... Comme le dit le journal : "Pour les accueillir, des amis venus de Vic, d’Asson, mais aussi de Bayonne, de Bordeaux et de Biarritz, certains l’ayant connu lorsqu’il était « curé à Pessac ». Car sur son passage, Léon a semé l’amour et l’amitié. Marga aussi. Tous ces amis qui les ont soutenus dans les moments difficiles avaient tenu à être là pour partager ce moment de bonheur."
Depuis le concile de Trente, en 1542, où le sexe avait été déclaré péché, au même titre qu’un meurtre, les idées semblaient pourtant avoir un peu évolué au sein de l’église. A croire que Vatican II, "l’événement le plus marquant de l’histoire de l’Eglise" a laissé plus de traces que cela dans les consciences, à défaut d’avoir réussi à changer à l’époque l’Eglise, qui aujourd’hui, faute de l’avoir écouté, se meurt littéralement. Vatican II n’a jamais proposé le mariage des prêtres, mais beaucoup d’observateurs avaient perçu chez Jean XXIII la possibilité d’accepter l’idée pour garantir l’avenir de l’Eglise, qui perdait déjà énormément de fidèles. Vatican II, au final, décide de l’abandon de la soutane pour les prêtres, du latin à l’office, et reconnaît la liberté de religion et de conscience. L’image de Jean XXIII est, à partir de là, étroitement liée à l’ouverture de l’Église sur le monde. Ce n’est pas le cas de ses successeurs, dont un, récent, qui verrait d’un bon œil le retour du latin... Suivez mon regard, il vous mène directement au trône de l’héritier de saint Pierre, occupé par un pape encore plus réactionnaire que le précédent. Le Vatican a bien une papamobile, mais en ce moment elle ne connaît que la marche arrière.
La raison du célibat des prêtres, pourtant, est simple, elle est avant tout économique : l’affirmation du célibat a été un moyen pour l’Eglise catholique de préserver ses ressources financières. Les dons et legs immobiliers ont constitué pendant très longtemps une source très importante de l’accroissement du patrimoine de l’Eglise : il aurait été embarrassant de découper les héritages. Aujourd’hui, d’autres problèmes financiers plus ardus se posent : la couverture sociale d’un clergé marié poserait très certainement d’importants problèmes économiques à résoudre pour l’église alors que le denier du culte est en chute libre. Résultat, l’Eglise ne peut admettre cette revendication, qui, pourtant, ne choque plus les mœurs. Mais elle la place sur le terrain du respect du dogme, alors que la population la place sur le respect de la liberté individuelle... chère aux idées de Mai-68 !
Il est donc amusant de constater que quatre cents personnes d’un même village se sont opposés aujourd’hui aux idées véhiculées par un ex-candidat à la présidentielle (devenu président) qui se réclame et se montre toujours à l’extérieur fervent chrétien, à se signer ostensiblement devant toutes les caméras à la moindre occasion. Que quatre cents personnes acquises aux idées de Mai-68 s’opposent aux idées que pourfend encore régulièrement avec obstination M. Sarkozy montrent que le choix d’un président, ce n’est pas nécessairement l’enclenchement de la machine à remonter le temps. Quatre cents personnes qui criaient en 2007 "Vas-y-Léon", "on te soutient", ainsi que ta compagne Marga, contre ces idées rétrogrades, contre ces gens qui veulent vous faire vivre comme en 1939. Jacques Duquesne, qu’on ne peut accuser de gauchisme, dans son ouvrage Les Catholiques sous l’Occupation (1986) ne dit rien d’autre lui aussi : "Ces évêques qui se font photographier à Vichy entre Pétain et Laval, qui se retrouvent encore, en 1944 autour du cercueil de Philippe Henriot, propagandiste de la Collaboration, mais s’abstiennent d’assister aux funérailles du jeune résistant jéciste Gilbert Dru, qui ne veulent pas donner des aumôniers aux maquis, mais admettent presque toujours le STO, ces évêques-là ont l’audace de lancer les premiers prêtres-ouvriers et la Mission de France, décident qu’il faut réformer le vieux catéchisme national, et mettent en train la réforme liturgique. Alors que la contre-révolution catholique semble l’emporter à Vichy, c’est en réalité le "virage à gauche" de l’appareil de l’Eglise qui se prépare". Rien à voir avec Mai-68, on est en pleine Seconde Guerre mondiale !
Selon Jacques Duquesne, justement, ces notables de l’église sont "isolés, des hommes enfermés dans un mode de vie désuet, des règles hiérarchiques d’un autre âge, des palais épiscopaux parfois délabrés et presque toujours coupés du monde. Ils ne comprennent guère les évolutions - complexes, il est vrai, et rapides - de l’opinion". M. Sarkozy, le pape Benoît XVI et l’incroyable Bigard feraient donc partie de cette catégorie, qui ne voient pas que là-bas, dans un petit village gaulois de 400 âmes, on a fait de la résistance à ses idées vieillottes et dépassées ? Et que le village, à défaut de regagner son curé, a réussi à faire de ce dernier un homme comme les autres, apprécié de tous ? M. Duquesne va plus loin encore pour expliquer pourquoi, les chrétiens ne comprennent rien à l’Histoire : "Sans céder aux malfaisantes et stupides caricatures qui ont présenté, dans les années 70, l’ensemble du clergé français comme un bataillon de militants marxistes, ne trouve-t-on pas, dans l’histoire de ce qui se passa entre 1940 et 1944 une des explications, ou du moins un certain éclairage de ce qui s’est passé ensuite ?" Or, selon l’ineffable Guaino, Mai-68 a amené la France entière aux idées "marxistes". C’est une "caricature", dit le président du conseil de surveillance de L’Express et ancien fondateur et rédacteur en chef du Point. Pas vraiment des journaux "gauchistes" à ce qu’il semble. "Malfaisantes et stupides", enfonce le clou, Jacques Duquesne, ce chrétien plus large d’esprit que ne peut l’être celui qui continue inlassablement, à nier le progrès dans les têtes, et ce faisant montre qu’il n’est qu’un fieffé réactionnaire. Mais que faisait donc, durant sa campagne électorale, notre président, dans ce cas, avec cette dame qui a légalisé l’avortement en France, provoquant l’ire des catholiques de l’époque, et que l’on n’entend plus du tout depuis sur le sujet ? N’est-elle pas la preuve, cette "avorteuse", que les idées de Mai-68 ont déjà... gangrené le palais de l’Elysée ? Le dernier mariage présidentiel a eu lieu un peu à la sauvette il semble. Sans prêtre et sans église, il est vrai aussi. Avec un score de deux divorces, il y avait comme un handicap pour le "jeune" marié. Comme dit Léon, ou plutôt une de ses ouailles, il est vrai aussi que le prêtre on peut s’en passer, car "Comment aurais-je pu accepter de m’engager dans le sacrement de mariage ’pour toute la vie’ devant un prêtre qui, lui, ne respecte pas l’engagement qu’il a pris aussi ’pour toute la vie’ ?"... Au Vatican, on a davantage de scrupules pour évincer les candidats à l’ambassade qu’à rencontrer un président deux fois divorcé et un pétomane de foire. "Max Gallo avait été approché, mais il a décliné cette proposition. Une deuxième personne avait été pressentie, mais c’était un homme trois fois marié et deux fois divorcé, chose inacceptable pour le Saint-Siège. Une troisième candidature a été envisagée : il s’agit de Jean-Loup Kuhn-Delforge. Mais on attend encore le placet du Vatican, qui ne semble pas pressé de l’accorder. Il semblerait que le monsieur déplaise en haut lieu. Si catholique soit-il, il a le malheur d’être homosexuel déclaré, ce qui semble chagriner le souverain Pontife", nous dit un blog savoureux.
PS : à Lasson, on trouve toujours sur le site de la ville le numéro de téléphone perso du bon Léon, qui s’occupait il n’y a pas si longtemps encore du gîte paroissial sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Au cas où vous choisiriez le site, magnifique au demeurant, pour votre prochain séjour de vacances, qui sait, Monsieur le président : c’est moins bling-bling que le yacht de Bolloré, non ? Vous pouvez aussi lui téléphoner, à Léon, chers lecteurs, pour lui prodiguer votre soutien ou le féliciter. Evitez donc les insultes, on n’est pas sur le net, là... Léon, pour avoir affirmé son droit de vivre normalement, a droit aussi à notre profond respect. Ah, au fait, Léon est devenu aujourd’hui en quelque sorte... historien : il travaille désormais aux archives départementales de Pau. Et le soir, il rentre chez lui où l’attend Marga. L’amour de sa vie (avec Dieu).
Félicitations, Marga et Léon ! Tous mes vœux de bonheur !
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