Les deux font la paire
Deux dépressifs en consultation.
Un cafard et un bourdon, un jour, se trouvèrent tous deux à faire la queue dans la salle d'attente d'un psychologue. Il faut bien reconnaître, à observer leurs mines déconfites, leurs yeux cernés et leur manque d'allant, qu'ils étaient au fond du panier. On peut même affirmer, sans risque de se tromper qu'ils vivaient là un épisode dépressif de grande importance.
D'un coup d'œil averti, le professionnel des tourments de la conscience leur suggéra de les recevoir conjointement. Pour le praticien, il y avait là le double avantage de gagner du temps et de traiter dans le même élan deux problématiques qui avaient des racines communes. Nos deux compères acceptèrent cette suggestion qui, il faut bien l’admettre, sortait largement du cadre déontologique.
Dès les premiers instants, la consultation tourna au drame. Le psychologue interrogeant le cafard sur ce qui justifiait sa consultation obtint pour toute réponse : « J'ai le bourdon ! » tandis que sans être interrogé, le bourdon s'exclama : « Moi, j'ai le cafard ! ». L'affaire était plus corsée que prévue. Non seulement le diagnostic mettant en évidence une dépression risquait d'être mis à mal mais de plus, nous étions là, devant un curieux phénomène de dédoublement de la personnalité.
L'homme de la science molle se gratta la tête, signe chez lui d'un trouble profond. Il se dit que si jamais l'un de ces deux patients signalait au Conseil de l'ordre la curieuse démarche thérapeutique qu'il avait entreprise, il allait se faire sonner les cloches. Le bourdon, animal intuitif, qui fait son miel de ses pressentiments rassura le médecin. De son côté, il ne l'enverrait pas sur les roses par une telle démarche.
Le cafard se montra plus circonspect. Pour se montrer blatte et laisser passer cette maladresse, il convient de ne pas porter toutes les misères du monde. Hélas, notre ami avait la plus déplorable et injustifiée réputation qui soit. Il était accusé de tous les maux et paré de bien des sobriquets détestables qui accentuaient un peu plus sa morosité et son acrimonie. Cafard, blatte, cancrelat, coquerelle ou ravet pour ne citer que les plus communs, il était habillé pour l'hiver d'une sulfureuse réputation.
Lui n'entendait pas laisser passer la faute du professionnel de la santé mentale qui paierait pour tous les gougnafiers qui salissaient tous ceux de son espèce. Il refusa que cette expérience thérapeutique se prolonge plus avant et demanda d'être reçu seul tandis que le bourdon irait voler vers d'autres cieux. « Un bon coup de ballet » s'impose aurait-il affirmer en regardant avec dédain son collègue dépressif.
Le bourdon se sentant blessé, répondit en volant dans les plumes de ce misérable foutriquet. Ils voulurent en venir aux mains mais hélas, la nature ne les avait pas pourvus de la chose. Aiguillon contre antenne, le combat fit rage dans le cabinet qui prit des allures de champ de bataille. L'affaire tournait au vinaigre.
Ce fut cependant cet esclandre, cette algarade qui au lieu de mettre le feu aux poudres, permit de mettre un peu de plomb et de jugeote dans la tête de nos deux amis. Épuisés par la joute à laquelle ils venaient de se livrer, reprenant leur souffle et leurs esprits, ils se rendirent compte que tous leurs maux venaient exclusivement de la manière dont les humains parlaient d'eux. Le cafard, perçu comme un nuisible, mis au banc de la société et le bourdon vécu comme dangereux alors que c'est le plus inoffensif qui soit. Ils firent la paix des braves et cessèrent de donner foi aux propos de cette curieuse espèce si mal embouchée.
À contre-point.
Un bourdon qui se tapait la cloche
Finit par tenir des raisonnements
Un cafard égaré dans sa poche
Lui exprima son mécontentement
Un cloporte vint sonner à leur porte
Affirmant que des rumeurs circulaient
Propagées par des êtres qui colportent
Les plus abjectes horreurs à leur sujet
Un cancrelat fit soudain irruption
Lointain petit cousin d’Amérique
Se plaignit aussi de spéculations
Courant au sujet de cette clique
Tous victimes d'un infâme dénigrement
Sous prétexte de n'être point les semblables
Des mammifères qui pour leur agrément
Les ridiculisent et les accablent
Le bourdon sonna alors le tocsin
Les insectes se mettant en action
Contre les formulations des humains
Dans la plupart de leurs expressions
Les animaux devenus solidaires
Ce sont des chats qui par effraction
Dans toutes les gorges se glissèrent
Pour enrayer cette élocution
Se vengeant sur la langue sans façon
Au passage, à tout jamais firent taire
Ceux qui jamais plus ne diffameront
Bourdon, cafard, cloporte et vers de terre
À force d'attribuer tous ses travers
Aux pauvres bêtes qui n'y sont pour rien
Se pense supérieur d'un revers
Cet humain bon à donner aux chiens ...
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