Les Pandémimiques
Au carroir de leurs frayeurs
La pandémie a ceci de merveilleux pour celui qui observe les comportements de ses semblables qu'elle a bouleversé, durablement je le crains, notre rapport à l'autre. Croiser un quidam dans la rue a pris désormais une toute autre dimension, entraînant des réactions aussi surprenantes que désolantes parmi les adeptes du conseil de défense, des comités d'experts et des grandes chaînes de conditionnement en boucle. Le mal est fait, il n'est plus rien qui puisse ravauder notre pauvre tissu social…
Se croiser est devenu une épreuve pour les craintifs, les apeurés, les moutons qui craignent autant le loup que la petite bête. Ceux-là risquent de porter le masque, en dépit d'une faible densité humaine dans la nature, tout le restant de leur vie. Ceci les regarde et ne constituerait après tout qu'une simple régression de nos valeurs si ce n'était pas accompagné de phénomènes connexes qui ne cessent de m'interroger.
Tout commence dans les yeux, sans doute la principale porte d'entrée de l'affreux virus. Une proportion non négligeable de ce peuple de l'ombre, porte des lunettes fumées, élément indispensable pour que les inconscients que nous sommes ne perçoivent pas qu'ils détournent leur regard ou lèvent les yeux au ciel à notre approche. Il est vrai qu’ils marchent dans un brouillard tenace provoqué par leur propre respiration.
Les autres détournent le regard ou tournent la tête à l'opposé de ces furieux qui avancent vers eux à visage découvert. Certains s'arrêtent pour tourner le dos, font semblant quand ils ont encore un peu de civilité, de fixer un élément du paysage qui a soudainement attiré leur attention. Il est aisé de percevoir les ondes négatives qui émanent de ces gens en frayeur. Ils dégagent des phéromones d'alerte qui ne laissent pas insensible un nez à l'air libre.
Les plus alertes changent de trottoir ou bien de côté selon la nature de la zone des opérations. Le mouvement est immédiat, dès l'approche de la cible ennemie. Pas un mot, pas un regard au moment du croisement à distance. Le malheureux pestiféré qui a par provocation, ô le vilain, souhaité le bonjour, n'aura nulle réponse ; ouvrir la bouche dans pareil cas est un risque inconsidéré selon les médecins de plateau.
Les pandémimiques ne se contentent pas de modifier les brèves rencontres, elles influencent aussi les moments bien plus délicats durant lesquels, sur un moment plus ou moins long, des personnes se trouvent à faire la queue. Au-delà de la distance réglementaire qui démontre que l'estimation des mesures est un sujet très personnel, sujet à interprétation, il demeure toujours le délicat problème du regard.
Les uns consultent leur téléphone, la liste de courses, pour ne pas avoir à regarder les autres clients - Il est curieux de constater que la puce effraie beaucoup moins que le virus alors qu'il n'est pas impossible qu'elle fasse beaucoup plus de dégâts à long terme - . D'autres se font soudain procureur de la République, fixant intensément l'inconscient qui s'est libéré de l'obligation levée du masque en extérieur. C'est une forme d’exécution capitale, les yeux fixes, le visage sans la moindre expression amicale, l'inconnu fusille (encore symboliquement pour l'instant) l'inconscient porteur de mort.
La peur malgré tout se lit non pas sur les visages mais bien dans tout le langage corporel qui émane de ces zombies de la Pandémie. Ils vont vivre ainsi, refusant de considérer l'autre comme son semblable, son frère ou sa sœur en humanité. Le mal est profond, les Pandémimiques annoncent des temps de grande désolation que la campagne électorale ne va nullement apaiser. Il est grand temps de retirer le terme Fraternité de notre devise, l'hostilité pour l'heure, la haine bientôt seront à l'ordre nouveau d'une société en déshérence.
À contre-courant.
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