Les pompes se déchaînent !
Le Bonimenteur se rend à une conférence ...
De l'eau à son moulin à paroles …
Christian Chenault est un ethnologue du quotidien et de la proximité. L'homme jette son dévolu et sa gourmandise curieuse sur les petits riens qui nous entourent sans que nous leur attachions l'importance qu'ils méritent. Après avoir publié son « bestiaire de l'Orléanais », il s'est fait porteur d'eau pour aller à la recherche de nos vieilles pompes dans les jardins et les villages.
Étonnant sujet de recherche qui le mène par monts et par vaux entre Beauce et Sologne ; ruralité éternelle et industrie naissante. Il arpente la région à la recherche de ces pompes qui étaient autrefois au cœur des préoccupations des habitants. L'eau fut de tout temps la source de la vie ; nous avons vite oublié cette évidence, nous, les nantis de l'eau courante.
Ainsi, ce chantier ethnographique nous dévoile bien des aspects méconnus d'un hier qui, pour si proche qu'il nous paraisse, n'en est pas moins passé sous le rouleau compresseur d'une modernité dévorante. Les pompes furent à l'honneur un court moment de notre histoire. Les puits avaient eu longtemps la primauté de l'accès à l'eau potable ; c'est vers 1850 que les villages s'équipèrent de pompes à treuil pour alimenter des tonnes d'eau, tirées par les chevaux.
La fonte est alors en pleine gloire ; les forgerons, serruriers et autres artisans autodidactes font preuve d'une inventivité incroyable pour élaborer des systèmes complexes. L'esthétique n'est pas oubliée : ils proposent en effet des objets ornementés d'une rare élégance. Joindre le beau au très utile, voilà un sentiment qui honore nos glorieux anciens.
Je ne rentrerai pas dans les détails techniques dont nous a régalé notre conférencier. Schémas à l'appui, il nous confirme qu'il n'était pas besoin d'écoles d'ingénieurs pour que nos artisans d'alors soient capables de prouesses techniques. C'est surtout cet aspect qui n'aurait de cesse de m'interpeler pendant cet exposé qui n'en fit jamais cas. Chacun en effet porte ses interrogations sur ses propres sujets de préoccupation. En ce qui me concerne, toutes les remarques de notre conférencier ne cessaient de me questionner sur le génie pratique de cette multitude d'hommes sortis du rang.
Pendant près d'un siècle, ils firent preuve d'une grande inventivité, apportant, les uns après les autres, des réponses astucieuses à la problématique du tirage de l'eau. Les nombreuses pompes retrouvées par notre collectionneur du patrimoine, attestent de cette ingéniosité, associée, je le répète encore une fois, avec un sens du beau qui n'est pas sans nous émouvoir.
Plus encore, ils se lancèrent dans l'industrie comme si en ces années-là, le rêve économique était possible. Nous avons vu des dynasties se construire, des familles ouvrir des usines pour produire à la chaîne des pompes éponymes ou à godets. Des entreprises de plus de trois cents employés fleurirent ainsi dans notre département pour cette modeste production.
Il y avait une frénésie de la production et du commerce, ce qu'attestent les catalogues. Nous découvrons une économie qui bouillonne, des réseaux qui s'organisent, un territoire qui est maillé pour proposer la nouvelle pompe : celle qui ne fait pas de bruit, qui évite des efforts ou se plie aux exigences de la fée électricité. Pas besoin de lointaines industries étrangères : c'est sur place qu'on répond aux attentes de la clientèle.
C'est une autre surprise de cet exposé : la capacité d'adaptation et d'innovation, le sens du commerce et de l'initiative d'une France qui pourtant va traverser le désastre de 1870 et le grand fracas de 14-18. Rien n'arrête nos fabricants de pompes ; ils ne cessent de parfaire leurs modèles, ouvrent de nouvelles usines, se diversifient et cherchent à s'étendre. Belle leçon d'économie locale qui donne une autre image de ce monde encore ancré dans ses valeurs rurales !
Je vous laisse le plaisir de découvrir les travaux de notre conférencier. Il a mené un travail de romain pour redonner leurs lettres de noblesse à ces pompes à chaines, souvent délaissées au-dessus d'un puits à l'abandon. Il part à leur recherche, sollicite des passionnés de l'histoire locale pour l'aider dans cette quête incroyable, anachronique et si belle par sa sublime vacuité.
Je sors ébahi par ces efforts consentis pour fouiller les archives, chercher les catalogues, battre la campagne pour quelques clichés, trouver les pompes qui fonctionnent encore, établir des liens généalogiques entre les membres des différentes dynasties de la pompe. Le raconteur d'histoires doit baisser son chapeau devant le stakhanoviste de la petite Histoire.
Je ne sais si je suis parvenu à rendre compte de l'admiration que suscite en moi ce travail colossal pour un sujet si ténu. C'est pourtant au travers de tels travaux que l'on perçoit mieux la réalité d'une société aujourd'hui disparue et pourtant si proche de nous. Nous passons à côté de ces vieilles pompes et nous ne nous donnons pas la peine de mieux les regarder. Christian Chenault l'a fait pour nous et je lui en sais gré !
Admirativement sien.
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