LOL en Tas ...
MdR ...
Rubrique en vrac
Ainsi donc, cette étrange interjection dont le sens ne cessait de m'échapper, ce sigle que je prenais pour un signe cabalistique, un code mystérieux de reconnaissance entre initiés ou élus, n'était qu'une banale manière de marquer la limite, la frontière entre le sérieux et le futile, l'expression grave et le rire à bon marché. Le rire muet du lecteur a besoin d'un écho, fût-il auto-déclenché par l'auteur, lui-même, de la blague impayable.
Je suis désappointé et déçu. Je rêvais des prémices d'une langue cryptée, propre à tromper les espions américains, les inquisiteurs de la pensée conforme, les pourfendeurs d'une société sécuritaire. Que nenni, ce mot qui apparaît indifféremment en début ou bien en fin de conversation, n'ouvre à aucun mystère, bien au contraire, il enfonce les portes ouvertes.
Qu'importe le contenu du message, sa portée ou sa teneur ! Il se trouve désormais toujours un lecteur pour venir déposer sa réplique lapidaire, ce Lol qui atteste que cet inconnu a apprécié votre réplique sans avoir, la plupart du temps, assez d'esprit ou de verve pour lui donner une réponse adaptée, une continuation du même tonneau. C'est l'aveu de l'impuissance, le refus de rivaliser au pays de la communication qui tourne en rond.
Pire encore, ce Lol se mue parfois en avertisseur graphique : « Attention, nous prévient-il, ce qui va suivre n'est qu'un trait d'esprit, une saillie ou bien une gentille plaisanterie ». Le second degré est si souvent peu repérable que, désormais, il a besoin de cette petite coquetterie qui le pare de bien des vertus. Derrière ce Lol de précaution, nul n'aura besoin de monter sur ses grands chevaux, de s'emballer ou de s'indigner ; le message n'est que pirouette amusante.
La modernité est ainsi faite qu'elle va toujours simplifier la vie des humanoïdes communicants. Ils n'ont plus trop à réfléchir, ils sont prévenus que le message qui suit est désopilant, qu'il est de nature à vous faire « pleurer de rire » à moins que vous ne périssiez de ces mêmes éclats. Et si par malheur, vous n'avez pas compris la subtilité, vous pouvez à votre tour, sauver la face par un « Lol » tout aussi élémentaire que salutaire.
Quelques esprits archaïques, tenants d'une francophonie dépassée et moribonde, se permettent alors un « MDR » si désuet, qu'il les fait passer immanquablement pour des ringards, des dinosaures de la lointaine époque épistolaire. Je vous invite à éviter cette réplique décadente qui vous vaudra quolibets et railleries. Au pays de la vague, gare à celui qui ne maitrise pas la langue « globish », ce si subtil condensé de la pensée universelle !
Pour prolonger éventuellement la conversation, pour renchérir sur la blague tordante, vous avez encore à votre disposition tout un tas de petites icônes à votre disposition. Il serait de mauvais ton de répondre en un langage structuré et quelque peut élaboré. Même l'usage expéditif de la phonétique est passé de mode, c'est le « smiley » qui surgit de sa réserve pour vous simplifier la tâche. Vous vous fendez alors d'un clic qui vous range dans la cohorte des gens qui sont « tendance ».
Pauvre de moi qui n'use ni de sigle, ni de raccourci et encore moins de ces affreuses images réductrices, je suis à la dérive sur cette toile toujours plus élémentaire. Que sont mes pauvres textes et leurs quatre mille caractères, à l'heure de la condensation, de l'épure et de la synthèse du propos ? Les cent quarante signes de twitter sont dépassés par la nécessité toujours plus grande d'aller à l'essentiel.
Vous voilà avertis mes amis, je n'aime pas trop ces petits signes qui, de jour en jour, boutent, loin de nous, la belle phrase structurée, la pensée élaborée ou la réplique piquante. Mon combat est d'arrière-garde ; ne me faites pas l'offense de le ridiculiser en y répondant par ces maudits usages qui me déplaisent tant.
Ne me dites rien ; je préfère de loin le silence à ces symboles qui sonnent le glas de la dialectique, de la rhétorique et de l'art du discours. Nous sombrons dans un monde rabougri, sans subtilité ni profondeur. Il faut désormais vivre à la surface des choses, se satisfaire de la vacuité, se complaire dans une symbolique si peu ésotérique.
Rassurez-vous : tout cela n'était qu'une farce, vous l'avez sans doute compris puisque j'ai moi-même affiché, en tête de propos, ce signe magnifique, acronyme, résolument moderne. Rions donc à haute voix, éclatons de rire et osons l'emphase avec ce merveilleux « ROTFL » dont j'ignore tout et que je ne veux pas connaître !
Acronymiquement vôtre.
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