Nénesse
Une santé de fer...
J'aimerais vous évoquer une très vieille connaissance, un solide gaillard qui en dépit de son âge vénérable, dispose encore d'une santé de fer à toutes épreuves. On ne peut dire de lui qu'il a l'âge de ses carters même s'il est toujours disposé à donner un coup de main, n'hésitant nullement à se mouiller ou à affronter les pires conditions pour satisfaire aux exigences de son cher patron.
Nénesse est entré dans notre famille en 1961 pour ne plus jamais en sortir. Toujours disposé à partir du bon pied pour se mettre entièrement à notre service, il fut depuis ce temps lointain, un fidèle serviteur. Depuis, il n'a jamais cessé d'œuvrer avec une constance qui mérite notre reconnaissance éternelle. Quoique désormais on le prétende ancêtre parmi ses homologues, il demeure toujours vert, l'œil vif et la jambe alerte.
Notre ami a eu le bon goût d'être né sur le territoire national, une sorte de français de souche encore capable d'en arracher quelques-unes sans être le moins du monde essoufflé. Il a tout juste un peu de mal à se mettre en train, ayant parfois besoin d'un petit coup de pouce pour répondre à une sollicitation. Pourvu d'une constitution robuste en dépit d'une allure chétive, il s'étonne parfois de croiser sur son chemin des plus jeunes, bien plus gaillards en apparence, tous bien plus gros que lui qui viennent de loin pour effectuer le même ouvrage.
Nénesse se demande pourquoi la nation a ainsi abandonné cette filière d'exception qui permettait d'élever des spécimens de son espèce. Les inconséquences d'une politique agricole qui n'a jamais vu plus loin que le bout de son museau. Mais ceci est une autre histoire qui échappe à la logique et même à l'intelligence. Le bon sens ne se trouve désormais que dans une banque qui pousse les agriculteurs à s'endetter toujours plus.
Nénesse hausse les épaules lui qui n'a connu que deux patrons. L'oncle Bernard fut son acquéreur et lui resta fidèle jusqu'à ce que la grande faucheuse vienne le retirer à l'affection des siens. Qu'à cela ne tienne, il y avait à peu de distance de là une autre ferme capable de lui ouvrir les bras. Il a fait la route par ses propres moyens pour se mettre à la disposition de Jean-Pierre. Il lui est resté fidèle depuis sans la moindre infidélité.
Que ce brave Nénesse me pardonne, mais enfant, je l'ai fait tourner en bourrique, me juchant sur son dos pour le faire démarrer au quart de tour sans être capable de mettre un frein à mes âneries. Nénesse s'est emporté ce jour-là, menaçant même de heurter la famille avant que quelqu'un ne vienne me sortir de ce mauvais pas.
Je ne puis m’empêcher de le revoir sans évoquer avec lui cet épisode qui eut pu tourner à la catastrophe. Il m'était alors difficile de faire machine arrière et ce souvenir épique explique sans doute pourquoi, cela demeure un handicap chez moi. Nénesse quant à lui a passé l'éponge, n'ayant jamais été rancunier.
Vous vous demandez sans doute qui est ce brave Nénesse. Je me dois de vous l'avouer ici. C'est un tracteur orange de la marque Renault, solide et même increvable et qui du haut de ses 63 printemps tient encore la route et les champs tout en rendant de multiples services. Il n'a pas coûté à l'époque les sommes folles de ses jeunes collègues, équipés de tous les progrès techniques et ustensiles fonctionnels mais incapables de durer aussi longtemps que lui.
Ce qui le dépasse plus encore, c'est qu'ils viennent tous d'industries étrangères alors que l'agriculture est prétendument un fleuron national incapable de fabriquer ses propres outils qui mettent à mal non seulement les finances de nos pauvres agriculteurs toujours lancés dans une course effrénée au matériel mais plus encore notre balance du commerce extérieur.
Nénesse, quoique n'ayant pas fait d'études, s'interroge sur ce point. Il voit passer ces fiers engins avant que de les perdre de vue, incapables qu'ils sont de s'inscrire tout comme lui dans la durée. C'est alors qu'il a une pensée émue pour ses ancêtres de la Société Française installée jadis à Vierzon.
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