Pendant ce temps-là, en France...
Les manifs qu’on ne verra jamais en France, parce qu’on n’a pas le temps de soutenir tout le monde, ma bonne dame, et que le fond de l’air est frais.
Il en va des expressions populaires comme des déclarations présidentielles sarkozyennes : c’est souvent très imagé, ça rase les pâquerettes de la France de tout en bas (voire des égouts) et ça score très haut question vulgarité.
J’en veux pour preuve les très usités "ça me casse les couilles", "ne me chie pas dans les bottes", "tu pètes plus haut que ton cul" et autres "tête de noeud".
C’est du lourd, du velu, ça décoiffe nos Académiciens, ça fleure bon le comptoir en zinc d’un bar-tabac enfumé rempli de consommateurs avinés, ça vole à peu près aussi haut qu’un avion Rafale de chez Dassault, mais le premier qui m’affirme qu’il n’a jamais utilisé la moindre formule de ce genre est soit un menteur patenté, soit un réfugié Mossi du Burkina Faso ne parlant que le mooré.
Or donc, puisque nonobstant leur haute teneur en trivialité inqualifiable, ces expressions se trouvent être largement employées aux quatre coins de notre doux pays, il m’a semblé intéressant, ami lecteur, de te proposer à intervalle régulier d’en étudier quelques-unes, afin que nous apportions, toi et moi, notre modeste pierre à l’édifice ô combien noble et admirable de l’enseignement de notre belle culture hexagonale.
Aujourd’hui, si tu le veux bien, nous allons évoquer une formule quelque peu oubliée, remplacée le plus souvent par le politiquement correct "et ta soeur" (qui devient moins correct si l’interlocuteur auquel on s’adresse vient, par exemple, de perdre sa soeur dans un tragique accident de Rafale, ou si la soeur en question s’avère être Christine Lagarde ou Rachida Dati, ce qui nous fait alors retomber dans les abîmes de la vulgarité la plus crasse, mais là n’est pas la question).
Où en étais-je ?
Ah oui.
La locution du jour, donc, sera l’ignoble et obscène "Touche à ton cul" (quelle horreur !), ce qui signifie à peu près "Commence par te mêler de tes affaires, si tu veux bien".
Afin de faciliter ta compréhension, j’ai choisi l’illustration par l’exemple, parce que comme dirait Pennac, y’a pas de pédagogie, y’a que des pédagogues.
Hier, je me trouvais en train d’étudier le dossier d’une impudente impétrante qui sollicitait (oh la vilaine) une place en Appartement de Coordination Thérapeutique dans notre modeste institution, afin de disposer d’un espace de vie décent et de long terme lui permettant de soigner correctement son SIDA et de s’occuper de son nourrisson âgé d’un mois.
Ma fonction consistant, entre autres, à obtenir un maximum d’informations d’ordre médical dans le but d’assurer un suivi optimal de mes patients, je me suis posé un certain nombre de questions, tu t’en doutes, et comme je n’avais pas les réponses, j’ai fait ce que toute infirmière normalement constituée fait dans ces cas-là : j’ai passé un coup de téléphone au médecin hospitalier de ladite jeune personne.
- Allô ?
- Bonjour docteur Trucmuche, je suis l’emmerdeuse, l’infirmière du Foyer Bidule. Dites voir, j’ai sous les yeux le dossier de votre patiente, mademoiselle Machin, et j’aurais deux ou trois petits détails à régler avec vous.
- Faites donc, l’emmerdeuse, faites donc, mais faites vite, j’ai un dix-huit trous sur le green du Paris Golf Country Club dans une heure.
- Je me dis parfois que j’aurais dû faire médecine, docteur.
- C’est pas faux, l’emmerdeuse, c’est pas faux.
- Or donc, docteur, il se trouve que votre patiente est l’heureuse maman d’un petit loupiot âgé de quelques semaines.
- En effet, l’emmerdeuse. Ne l’avez-vous point trouvé craquant, soit dit en passant ?
- Oui-da, docteur, c’est un beau bébé, bien que très...Comment dire ? Maigre. Je me demandais justement quel était son état de santé, étant attendu que la maladie de la mère a été découverte pendant la grossesse ? L’adorable bout de chou serait-il malade, lui aussi ?
- On peut pas dire, l’emmerdeuse. Le souci, c’est que son poids de naissance était anormalement faible, ce qui peut nous inciter à craindre le pire, mais d’un autre côté, le fait que la mère ne se soit presque pas alimentée pendant la gestation pourrait expliquer ce phénomène.
- Fichtre, docteur, voulez-vous dire par là que cette jeune personne souffre également de troubles alimentaires relevant de l’anorexie mentale ?
- Absolument pas, l’emmerdeuse. Il se trouve que cette demoiselle a passé l’essentiel de sa grossesse dans la rue et qu’elle ne disposait point des ressources suffisantes pour s’alimenter correctement.
- Je crains de ne pas saisir votre propos, docteur.
- Bon, j’te la fais courte, ma petite : Mademoiselle Machin dormait sous les ponts avec son gros ventre, elle n’a rien eu à se mettre sous la dent ou presque pendant sept mois, conséquemment le foetus a comme qui dirait été sévèrement rationné, ce qui peut expliquer qu’il ait vaguement ressemblé à un haricot vert anémié quand il a quitté la divine matrice pour débarquer dans le meilleur des mondes. Comme ça c’est plus clair ?
- Tout à fait, docteur. Vous m’excuserez, j’ai un peu la gerbe, tout à coup.
- Tu l’as dit, ma petite. Tu l’as dit.
En raccrochant le combiné, il m’est subitement venu à l’esprit que depuis pas mal de temps déjà, nous autres vaillants Français avons une propension marquée à renifler avec délectation le cul des autres, qu’ils soient Tibétains ou Tutsis, Palestiniens ou Tchétchènes, car il est bien connu que le Français se soucie profondément des Droits de l’Homme et n’hésite pas à débattre sur internet, à lancer des pétitions, voire même à manifester bruyamment, chaque fois que ceux-ci sont bafoués quelque part dans le vaste monde.
Alors pour conclure cette séquence pédagogique (qui vise à illustrer, ne l’oublions pas, l’expression populaire "Touche à ton cul"), je dirai que dans un pays où une jeune femme malade et enceinte se retrouve forcée de dormir dehors sans pouvoir manger à sa faim, il serait peut-être bon que nous, citoyens, passions un peu plus de temps à soigner les hémorroïdes éthiques qui perturbent le fonctionnement de notre propre orifice rectal national, et peut-être un peu moins à passer de la pommade sur celles qui enflamment le trou de balle du reste de la planète.
C’était la minute pédagogique consacrée aux locutions vulgaires mais populaires.
Merci de ton attention.
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