Premier bug du passeport biométrique
Vous devez vous rendre à l’étranger pour conclure une affaire qui engage votre carrière ? Vous voulez y rejoindre vos petits-enfants en vacances ? Sachez que l’administration peut, dans les deux cas, vous empêcher de partir durant plusieurs semaines. Vous aimez vos parents ? Sachez que l’administration peut vous informer brutalement que ce ne sont pas vos vrais parents et qu’en réalité, vous êtes né à l’étranger d’une femme dont on ne vous révèlera jamais l’identité. Ceci se passe en France, en 2006.
De quoi s’agit-il ? Du passeport biométrique. Le principe de la
biométrie consiste à capter l’image d’un élément corporel, puis à la
comparer soit avec un grand nombre d’autres éléments de même nature, si
l’on cherche à identifier quelqu’un, soit avec le dessin de l’empreinte
originale, si l’on a besoin d’une simple authentification.
A la suite des attentats du 11 septembre 2001, ce nouveau type de passeport
était exigé par le gouvernement américain. C’est avec retard qu’un
décret du 30 décembre 2005 l’a instauré en France. Il vient
remplacer le passeport à lecture optique et comporte la signature,
l’image numérisée du détenteur, une puce sans contact contenant la
photographie, l’identité, la nationalité, les caractéristiques
physiques ou l’adresse de son titulaire...
Conséquence directe : depuis le printemps 2006, tous les citoyens qui
demandent un passeport biométrique doivent présenter à la préfecture
une copie intégrale de leur acte de naissance. (Il ne s’agit pas d’un
simple extrait de naissance, mais d’une véritable copie des registres
d’état civil).
« Obtenir une copie intégrale de mon acte de naissance ? Quoi de
plus simple ? Il me suffit de le faire en ligne, sur Internet. » C’est
alors que vous recevez le document qui vous révèle sans précaution que
vos parents ne sont pas vos parents, que votre date de naissance n’est
pas celle qui est indiquée sur vos papiers, que votre vraie mère a
accouché dans le secret prévu par la loi (« sous X »), et que ceux que
vous croyiez être vos parents sont des gens qui vous ont adopté mais
qui ne vous l’ont pas dit. Autre hypothèse : sachant que vous êtes un
enfant adopté et que vous ne le savez peut-être pas, la mairie,
embêtée, fait traîner la remise du document : plusieurs jours,
plusieurs semaines, et vous voilà bloqué en France. Bien entendu, on ne
vous explique rien de ce qui se passe.
Pourquoi ce problème est-il nouveau ? Parce que, d’une part, jusqu’à
cette année, la copie intégrale de l’acte de naissance n’était demandée
que pour le mariage et que, d’autre part, elle était souvent transmise
de mairie à mairie sans que les futurs époux la voient. Mais, depuis
l’instauration du passeport biométrique, ce sont des milliers de
citoyens qui se pressent à leur mairie pour la demander.
On peut comprendre l’embarras des mairies : si le dossier des pupilles
de l’État est bien un « document administratif » au sens de la loi du
17 juillet 1978 sur les modalités d’accès aux documents administratifs,
s’il s’agit bien aussi d’un « document nominatif » portant sur des
informations relatives à la vie privée de l’intéressé, ce dernier peut
en exiger la communication. Seulement voilà ! Il y a le secret protégé
par la loi auquel la divulgation du document administratif ne peut
porter atteinte. Le secret de la vie privée notamment qui, s’il ne peut
être opposé à l’intéressé quand les faits portent sur sa propre vie
privée, bloque la transmission de ces mêmes informations pour cause de
risque d’atteinte à la vie privée des tiers (dont font partie les
parents d’origine de l’enfant).
Alors les mairies, pour respecter la loi sur le secret, et ne faisant
qu’appliquer l’instruction générale relative à l’état-civil, prennent
des précautions et, pour se couvrir, essaient diverses
manœuvres : parler, l’air de rien, avec le demandeur pour savoir s’il
est au courant qu’il est adopté, contacter la préfecture,
qui est l’administration
chargée de délivrer le passeport, etc. Tout le monde hésite, et les
choses avancent lentement...
Mais on n’en est encore qu’au tout début de cette affaire. C’est un
député UMP, Philippe Cochet, qui le dit ! Le passeport biométrique n’a
pas fini de briser des secrets de famille et de retarder des départs
pour l’étranger.
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