Réconciliation kanak
Des événements historiques étonnants se déroulent parfois loin des médias, et c’est tant mieux. C’est même un gage de leur réussite, comme cet exemple de réconciliation au sein du peuple kanak.
Il
y a dix-huit ans, la Nouvelle-Calédonie était au bord de la guerre civile. A
Ouvéa, une petite île de l’archipel, la gendarmerie fut investie par
des militants kanaks*. Ce n’était pas la première fois mais, cette
fois-là, les choses tournèrent très mal et quatre gendarmes furent
tués. Les militants kanaks emmenèrent les gendarmes restants, avec eux,
dans la forêt d’Ouvéa jusqu’à la grotte de Gossanah, très vite
encerclée par l’armée française.
Nous étions entre les deux
tours des élections présidentielles. Le président de l’époque, François
Mitterrand, y affrontait le Premier ministre, un certain Jacques
Chirac... L’assaut fut donné à la grotte juste avant le second tour des
élections. Les 21 membres du commando kanak et deux militaires furent
tués.
Les accords de Matignon
Les événements se
détérioraient, mais la réélection du président Mitterrand permit à un
nouveau gouvernement de se mettre en place, avec Michel Rocard à sa
tête. Une politique active de négociation entre les différentes parties
permit la signature des accords de Matignon entre les leaders de la
communauté blanche caldoche, Jacques Lafleur à leur tête, et les
leaders de la communauté kanak menés par Jean-Marie Tjibaou et Yéweiné
Yéweiné. Un référendum fut convoqué par le gouvernement Rocard pour
approuver les accords de Matignon. A cette occasion, Tjibaou et Yéweiné
tinrent plusieurs meetings en France. Les accords approuvés, la paix
civile revint en Nouvelle-Calédonie et, en 2006, les accords de
Matignon y sont toujours appliqués. Cet archipel prendra un jour
peut-être son indépendance, si la majorité de sa population en est
d’accord.
En mai 1989, les deux leaders kanaks se rendirent
sur l’île d’Ouvéa pour rendre hommage aux hommes tombés un an
auparavant. Ils y furent tués par chef de tribu local, Djubelli Wéa. On
ignore les motivations exactes de ce crime, puisque Wéa fut tué sur le
champ par un policier kanak, Daniel Fisdiépas, garde du corps des
leaders kanaks. Depuis, il est devenu maire de Hienghène.
"Peut-être, pourquoi pas ?"
Histoire cruelle... Mais la suite se trouve dans la dernière livraison
du trimestriel Alternatives non-violentes. Quelques années plus tard,
les deux veuves des leaders assassinés, Marie-Claude Tjibaou et
Hnadrune Yéweiné, furent approchées par la famille Wéa : “Ne
pourrions-nous pas nous réconcilier ?”. “Peut-être, pourquoi pas ?”,
répondirent les deux femmes, sans se concerter. Mais il fallut du
temps, des réunions, le soutien des églises de Nouvelle-Calédonie, et
de communes aussi, pour commencer à faire le lent travail de pardon.
Comment pardonner le meurtre du mari, du père, du frère ? La famille
Wéa devait, quant à elle, affronter la honte et la mise au ban. Le
pardon implique des centaines de personnes.
Mais Marie-Claude
Tjbaou et Hnadrune Yéweiné mirent des conditions : que tous leurs
enfants acceptent la démarche ; que tout se passe sans télévision, sans
enregistrement, sans présence de responsables politiques. Pas par rejet
de la politique : “C’est une affaire de famille, pas de politique”,
raconte Jean-Baptiste Libouban, un témoin de ce processus, dans la
revue Alternatives non-violentes...
Détour par le Larzac
Le processus aboutit, et voici les trois veuves ensemble, en juin 2005,
sur le plateau du Larzac, pour une cérémonie de réconciliation, en
présence de Daniel Fisdiépas. Pourquoi le Larzac ? Une “caselle”,
petite construction en pierres sèches, y avait été donnée au peuple
kanak, dans les années 1980. C’est dans cet endroit symbolique qu’a eu
lieu la réconciliation des trois veuves, Marie-Claude Tjibaou, Hnadrune
Yéweiné, et Maneki Wéa, en juin dernier, devant des amis de longue date
de la cause kanak : José Bové, Louis Joinet (conseiller de Rocard
pendant les accords de Matignon), François Roux, avocat de militants
kanaks, Stéphane Hessel, ancien ambassadeur de France...
La réconciliation a eu lieu dans le respect des rites traditionnels kanaks. “Comme les femmes ont accepté la réconciliation, l’histoire va avancer”, écrit Jean-Baptiste Libouban.
Christian Le Meut
* Kanak est invariable.
Alternatives Non-Violentes
n°137, centre 308, 82 rue Jeanne d’Arc, 76000 Rouen. Tél
02.35.75.23.44. Ce numéro, consacré au thème de la réconciliation,
aborde ce thème sous différents angles : psychologique, avec Isabelle
Filliozat (Se réconcilier avec ses parents, c’est possible),
historique, avec des exemples (Kosovo, Nouvelle-Calédonie, Afrique du
Sud), philosophique (approche d’Emmanuel Lévinas)...
[email protected]
4 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON