Route toujours barrée
Ça dure
J'aurai le bonheur immense de bénéficier « prochainement » d’une voie urbaine débarrassée de tous les câbles qui se promènent au dessus de nos têtes et des bolides filant bon train en dépit des limitations jamais contrôlées. Une réaménagement complet de la voirie est en route, de telle sorte que la rue est barrée depuis bientôt trois ans. Le tout, naturellement est de savoir ce qu’on entend par prochainement dans le monde des travaux publics.
Je ne vais pas ici tancer les ouvriers qui sont d’une disponibilité rare et d’une correction en tout point exemplaire. Ils se mettent en quatre pour laisser passer les riverains, pris au piège derrière des tranchées qui ont la fâcheuse tendance à faire des petits. C’est bien là que le contribuable et usager s’interroge, pourquoi creuser puis boucher plusieurs fois de suite au même endroit ?
Si faire et défaire c’est toujours de l’ouvrage, on peut s’étonner néanmoins qu’il faille faire des trous à chaque corps de métier. L’eau, l'électricité, le gaz, le câble autant d’entreprises qui veulent faire leur trou avec leurs propres engins de terrassement. Les dépenses se ramassent à la pelle et se financent au godet. Puis on rebouche de terre battue avant que de recommencer la fois prochaine, Ubu est chef de chantier certainement.
Alors chaque jour, les riverains se livrent à un nouveau jeu de piste. Par quel endroit attaquer la rue pour espérer aboutir chez soi. Faudra-t-il la prendre à rebours en la remontant en sens interdit ? Sera-t-elle ouverte à son extrémité ou bien devra-t-on passer par les immeubles voisins ? C’est toujours une surprise et souvent des embouteillages avec les automobilistes en transit qui se trouvent eux aussi pris dans la nasse.
Six mois déjà pour notre portion. Une rue qui a tout d’un paysage après un bombardement. Des barrières partout, des engins de chantier, des trous, des nids de poule qui se prennent pour des autruches, de la poussière à n’en plus finir. Le matin, la rue prend alors des allures d’exode avec tous les enfants des immeubles voisins qui se rendent à pied à l’école toute proche. Ils marchent sur la chaussée, les trottoirs n’étant plus que des trous béants et profonds comme des tranchées de la grande guerre.
Ils zigzaguent parmi les voitures roulant au pas et cherchant elles aussi une échappatoire à ce piège qui n’en finit pas. Je tremble à l’idée qu’un gamin puisse tomber dans une tranchée ou bien soit percuté par une voiture tandis que des engins de chantier vont et viennent, que des pelles creusent et se mettent en mouvement rotatif. C’est un balai surréaliste et inquiétant.
Paradoxalement, ce quartier prend soudain une allure de village. Comme pour les cataclysmes, les riverains qui jusqu’alors ne se connaissaient pas, s’adressent la parole, se donnent la main ou bien se rendent de menus services. On se retrouve encore pour la corvée des poubelles qui sont centralisées plus loin dans un endroit accessible.
Faut-il donc vivre des conditions exceptionnelles pour ouvrir les yeux sur ses voisins ? Ainsi, la prolongation sans fin des travaux relèverait uniquementde la volonté des commanditaires de faire de la rue un village comme ce fut le cas autrefois, quand elle n’était pas en sens unique, ce curieux panneau qui fixe non seulement une orientation mais brise par là même le lien social pour ceux qui sont frappés par cette malédiction.
Là, plus rien ne tient. Ni la vitesse qui n’a jamais été régulée véritablement sur cette voie de délestage pour des automobilistes pressés, ni le flot uniforme des véhicules allant tous dans la même direction. Les travaux ont brisé l’indifférence et deviennent ainsi une bénédiction. N’empêche, quand tout sera terminé et il faudra encore attendre une grosse année, le paysage humain ne sera plus le même. Est-ce cela le véritable enjeu de ces travaux colossaux ?
La nouvelle rue sera alors une piste de montagnes russes avec des rétrécissements, des dos d’ânes, des places de stationnement réduites et en quinconce pour faire de la circulation un gymkhana au pas. La sécurité a un prix, celui des amortisseurs ! En attendant, nous vivons un moment rare, une rue où l’on se parle enfin. C’est donc ça la réhabilitation urbaine !
Travauxpubliquement leur.
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