Se faire tirer l’oreille
Coupure de son.
Il se peut que mon existence ne finisse par se plier à l'obligation d'avoir toujours quelque chose à raconter. Chaque fois que c'est possible, une contrariété ou une facétie viennent se glisser sur mon chemin afin de trouver matière à récit. La chose peut vous amuser ou vous désoler, c'est selon mais elle me couvre toujours de ridicule avec une rare efficacité. Laissez-moi donc vous narrer la nouvelle aventure de l'explorateur du quotidien.
Il va vous falloir, tout d'abord pour venir à bien me comprendre, monter le son de votre écran. Il me faut admettre que je suis sourd comme un pot, déficience détestable pour qui se prétend chantre de l'oralité. Vous pouvez penser du reste que la modestie n'a aucune corrélation avec l'efficience auditive !
Je me suis longtemps fait tirer l'oreille pour accepter de reconnaître cette tare qui fait tâche dans l'univers des conteurs. J'ai longtemps fait illusion, la sonorisation couvrant les éventuelles interventions des spectateurs qui se perdaient ainsi sous les décibels artificiels. Nul besoin de tendre l'oreille dans pareil cas, l'excuse est toute trouvée.
La survenue inopinée du masque a changé la donne. Dissimuler la face du locuteur, c'est du coup, interdire la possibilité de lire sur ses lèvres. Voilà une circonstance qui impose la triste vérité, je me retrouve coupé des autres, incapable de les comprendre. Il fallait agir, profitant d'une période qui me laissait sans voix.
Le diagnostic du spécialiste me coupa la chique. L'appareil auditif allait prendre la place de la sonorisation. J'allais disposer d'une petite table de mixage embarquée derrière mon pavillon en berne. Un signe indubitable de ma déchéance que j'acceptais après bien des tergiversations, là encore en me faisant longtemps tirer l'oreille. J'aurais dû me montrer plus docile !
La prothèse en place, je découvris qu'il m'aurait fallu conserver un ingénieur du son. Le volume avait besoin de nombreuses modulations en fonction des circonstances et de la nature même du son qu'on propose à cette âne bâté que je suis. Le doigt toujours à tripatouiller l'appareil, beaucoup crurent que j'avais une puce à l'oreille. Ils se trompaient, je ne suis pas porteur de la peste contrairement aux idées reçues.
Le prothésiste avait oublié un petit détail en me confiant un appareil d'une légèreté formidable ; je suis motard. L'inconvénient majeur de cette caractéristique réside dans le casque qui, contrairement à ses homologues ne permet pas de mieux entendre, bien au contraire. Autre difficulté, en dehors de l'engin motorisé, le port de cette protection n'a pas de raison d'être. Il convient donc de la quitter régulièrement…
Vous pouvez aisément imaginer la suite. Le petit bijou de technologie se fit la belle, sans crier gare. Eut-il crié du reste que je n'aurais pu l'entendre qu'à moitié. Sa légèreté aidant, je ne sentis rien de sa fugue. Mon oreille droite venait de se tirer et avec elle la somme plus que respectable qu'elle m'avait coûté. J'en restais sans voix.
Que faire maintenant ? En appeler à la chance tout autant qu'à la collaboration de tous ces gens qui marchent le regard tourné vers leurs chaussures. Si vous voulez que nous continuions de bien nous entendre, n'écrasez pas mon appareil, baissez vous, recueillez le, puis faites moi signe. Il est préférable en ce moment de communiquer par écrit, les autres formes d'expression risquent de se perdre dans une oreille qui joue les courants d'air.
Merci de votre attention. Je vous demanderai, par respect pour moi, de ne pas user d'un lecteur vocal pour parcourir ce billet sans tonalité. Je verrai la chose de ma mauvaise oreille !
Assourdissement mien.
Épilogue : 22 heures plus tard, devant le musée des Beaux Arts d'Orléans, après une nuit de gel, j'ai retrouvé mon appareil sur les pavés. Le confinement a du bon !
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