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Accueil du site > Culture & Loisirs > Étonnant > Sur la piste des étoiles

Sur la piste des étoiles

Il n'y a pas que l'Hermione dans la vie ...

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La Nouvelle Orléans.

Il était une fois un petit garçon qui avait presque tout pour être heureux. Il était aimé par une mère qui faisait l'impossible pour satisfaire le moindre de ses désirs, lui prodiguant amour et soins sans jamais mesurer ses efforts. Il vivait dans la plus belle région qui soit :ce Val d'Or, pays de cocagne et de bombance. Il avait des amis et cette formidable liberté qu'offrait alors la vie sans entrave.

Jean pourtant avait le cœur en peine depuis bien longtemps. Son père, Pierre-Marie Sauvalle, marinier de Loire n'était pas rentré d'une course lointaine. Nous étions alors en 1697 sous le règne de Louis XV. Nul n'avait eu de ses nouvelles. Il avait disparu un beau matin : il n'était plus sur le pont où il dormait avec ses compagnons de labeur. C'était une époque où personne ne songeait à remuer ciel et terre pour retrouver quelqu'un.

Jean grandit avec l'obsession de ce père disparu qu'il n'avait pas connu. La Loire sans doute gardait son secret. Sa pauvre mère avait bien trop à faire pour emplir la marmite : elle ne cessait d'aller d'une tâche à l'autre, servait plusieurs maîtres à la fois pour survivre et passer outre son chagrin. Elle offrait bonne figure à son fils pour qu'il grandisse sans ce poids insupportable d'une interrogation qui vous ronge l'esprit.

Jean était un enfant heureux malgré son malheur :bon camarade, charmant avec les adultes, travailleur et surtout fils aimant et aidant. Tous les mariniers, par solidarité et respect, avaient toujours quelque chose à lui faire faire en échange d'une petite pièce. Il était un peu la mascotte sur la rivière. Jean grandit ainsi, donnant le change et faisant semblant d'avoir oublié celui qui lui manquait tant.

Pourtant, au plus profond de son cœur, il avait la certitude que son géniteur était vivant et que, pour une raison mystérieuse, il ne pouvait donner signe de vie. Jean s'était juré de tout mettre en œuvre pour le retrouver quand il aurait l'âge d'aller seul sur la rivière. Ainsi , à l'âge de vingt ans, décida-t-il de parcourir le monde, s'il le fallait, pour retrouver celui qui lui avait donné la vie.

Jean croyait aux forces obscures ; il avait grandi, entouré de superstitions et de rituels magiques. L'un de ses voisins justement , un vieil homme, disait de mystérieuses prières, pratiquait des envoûtements et des guérisons par le truchement de formules absconses et de substances mystérieuses. Pour tous, l'homme était le « Jean-Loup », le sorcier du village.

C'est au moment de partir à la recherche du père, que Jean demanda à être reçu par l'inquiétant personnage, admiré mais surtout craint car sa fréquentation suscitait le malaise et même la peur. Jean n'était certes pas homme à reculer devant ce qu'il ne comprenait pas ; il frappa à la porte de cette masure à l'écart du village, là où une chouette et un crapaud étaient toujours cloués sur la porte en guise de bienvenue.

L'homme ouvrit bien qu'il eût perdu l'habitude des visites. Il était si vieux, si mal en point. Depuis quelques années, ses yeux s'étaient fermés sur les lumières de ce monde. La cécité avait accentué l'effroi qu'il provoquait. Rares étaient désormais ceux qui recouraient encore à ses inavouables services. Il continuait bien de temps à autre à planter des aiguilles sur quelques poupées de paille, pour punir un vilain homme, mais rien de plus ne lui était demandé.

Quand Jean lui expliqua sa requête, le sorcier garda longtemps le silence. Il se dégageait de ce vieillard, au regard vide, aux rares cheveux, disséminés en touffes folles, vêtu tel un épouvantail de hardes loqueteuses, un je ne sais quoi qui vous glaçait les sangs. Pourtant Jean avait la conviction que cet homme, en fin de vie, était le seul à pouvoir lui donner un espoir.

Thériot, puisque tel était le nom du sorcier, après avoir marmonné d'étranges prières, des soliloques chantonnés, des mots incompréhensibles, des cris gutturaux bien plus qu'articulés, sembla enfin retrouver conscience de la présence de son interlocuteur. Il s'approcha de Jean, lui prit le visage entre ses mains ridées et parla d'une voix étonnamment douce et chaleureuse.

« Mon enfant, ce qui vient de m'être confié est pour moi si mystérieux que j'avoue ne pas avoir tout compris de ce que m'a raconté la créature que vous appelez Satan. Ton père est vivant, dans un monde étrange, peuplé de lézards géants capables de dévorer les hommes, d'un lac immense dont les eaux sont salées appelé Okwata, si extraordinaire que je ne sais pas bien moi-même si je ne deviens pas fou. Y vivent des individus qui se prétendent être les premiers hommes : à moitié nus, couverts de peinture et de bijoux. Ils se font appeler les Biloxi dans leur langue qui n'a jamais été celle d'un chrétien.

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Il est parti là-bas au nom de notre Roi. Il a accompagné un explorateur, un baptiste se prétendant moine, si j'ai bien compris les signes qui m'ont été transmis. Te dire où cette région se situe, je ne puis. Te dire ce qu'il y fait et pourquoi il est si loin de nous, je n'en sais rien. Ce que tu m'as demandé là, m'a coûté tant d'efforts que je suis épuisé. Je crois que c'est tout ce dont je suis capable … ! »

Le père Thériot haletait, il était pâle comme jamais Jean ne l'avait vu. Il chancelait, effectivement à bout de forces. Mais Jean ne pouvait se résoudre à des propos trop mystérieux pour l'aider dans la recherche de celui qu'il n'avait jamais connu. Il insista auprès du vieillard pour qu'il lui donnât un indice susceptible de le mettre sur le chemin.

Dans un ultime effort, le père Thériot lui déclara : « Joue de ce pipeau et laisse-toi guider par les étoiles sur la grande mer dans laquelle se jette notre Loire ! » Et en disant ces paroles, le père Thériot rendit son ultime soupir. Jean avait sa mort sur la conscience et dans les mains l'instrument, cette petite flûte, qui avait toujours effrayé les gens d'ici : le sifflet du diable, comme disaient les mégères qui se signaient en entendant ses mélodies.

Jean porta en terre le Jean-Loup. Personne ne l'aurait fait du reste s'il ne s'en était chargé. Le vieil homme ne pouvait espérer une messe pour son grand départ ni même un petit coin dans le champ de naviots du bourg. Monsieur le curé s'y serait farouchement opposé. Il le fit donc en guise d'ultime remerciement. Jean avait la conviction que le père Thériot lui avait ouvert les portes de sa mémoire.

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Jean se mit en chemin. Il avait compris qu'il lui fallait rejoindre Nantes et, de là, embarquer sur un navire de mer pour suivre sa destinée. Aller jusqu'à Nantes fut une partie de plaisir, lui qui avait grandi en bord de Loire, connaissait des voituriers et c'est l'un deux qui se fit un plaisir d'aider le fils de son ami d' autrefois.

C'est à Nantes que les choses se compliquèrent. Il y avait bien des bateaux qui cherchaient équipage, mais ceux-là taisaient leur destination et encore plus le but de leur voyage. Jean avait besoin d'aller seul sur l'Océan pour se laisser guider par les étoiles. Il lui était impossible d'avouer ce secret, il eût passé pour fou.

Avec son petit pécule, amassé au fil des années où il avait travaillé au service des autres, Jean prépara sa folle équipée, amassa de quoi tenir un voyage dont la durée lui était mystère : vivres, eau douce, de quoi pêcher et se vêtir, se protéger du temps et de la mer. Il effectuait ses préparatifs dans le plus grand secret pour n'éveiller aucun soupçon car il n'avait d'autre solution que de dérober une embarcation pour partir seul.

Ce fut une nuit sans Lune de l'an de grâce 1718 que Jean Sauvalle se fit voleur pour partir à la recherche de son père. Il connaissait suffisamment quelques rudiments de navigation pour manier la petite barque de pêcheur sur laquelle il jeta son dévolu. Cependant , parfaitement ignorant des caprices de l'Océan, il lui fallait une conviction sans faille pour oser cette folie.

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Il joua alors quelques mesures et, dans le ciel, il lui sembla qu'une étoile lui indiquait le chemin à prendre. Ainsi se réalisent les plus incroyables exploits, les plus magnifiques aventures. Un grain de folie, la déraison et l'insouciance de la jeunesse font le reste. Jean traversa l'Atlantique en presque six mois durant lesquels il passa cent fois près de la mort et vécut l'enfer chaque jour.

Au terme de son incroyable périple, il débarqua sur une côte qui, il l'apprit plus tard, s'appelait la Louisiane. Il y avait là une rivière immense et les étoiles lui indiquaient que son chemin n'était pas achevé. Il remonta ce monstre qu'on nomme Mississippi, jusqu'au moment où une étoile filante dans le ciel lui précisa qu'il touchait au but.

Curieusement ce sont des Français qu'il trouva sur la rive : des hommes dont certains avaient un accent qui rappelait celui de nos amis les Normands. Quand on est capable de traverser seul l'Atlantique sur un frêle esquif, on ne s'étonne pas de détails qui peuvent paraître aux autres inconcevables. Jean entra en conversation tout naturellement avec le premier humain qu'il croisait depuis si longtemps.

L'homme lui apprit qu'il était sous les ordres d'un certain Jean-Baptiste Le Moyne d'Iberville, un explorateur au service de sa Majesté le roi de France. Ce personnage important était chargé de créer une colonie française en ce lointain pays. En entendant le nom du chef de l'expédition, Jean eut la confirmation qu'il s'approchait de son père. Le père Thériot lui avait parlé d'un moine, il n'était pas à une petite approximation près.

Jean réussit à rencontrer cet aventureux personnage et lui demanda s'il connaissait un certain Pierre-Marie Sauvalle. L'homme, méfiant, tint à savoir qui il était et d'où il venait. Lorsque Jean lui apprit qu'il était parti d'Orléans pour retrouver un père disparu vingt ans plus tôt, qu'il avait traversé seul l'Atlantique à bord d'un bateau de pêche, Jean Baptiste Le Moyne fut éberlué d'un tel prodige, d'une si grande détermination.

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Il lui confia que son père était l'un de ses vieux compagnons, qu'il avait embarqué avec lui le 24 octobre 1698 à Brest, missionné par le roi pour explorer le Mississippi. Lui et ses hommes d'équipage avaient fondé un comptoir qui se nommait Biloxi, du nom des premiers hommes de l'endroit. Il avait confié la garde du lieu à une troupe de quatre-vingt un hommes dont il avait donné le commandement à son père.

Depuis, ils ne s'étaient jamais quittés bien longtemps. Jean Baptiste était retourné en France pour que le Roi lui donne l'ordre de coloniser la Louisiane. Vingt années de conquête, vingt années d'aventures et de péripéties, toutes partagées avec ce cher Pierre-Marie qu'il avait sauvé d'un bien mauvais pas en l'embarquant avec lui au service de sa majesté.

Jean n'attendait plus qu'une chose : rencontrer enfin son père et savoir ce mystérieux mauvais pas qui l'avait privé d'un père et qui avait fait de sa pauvre mère, une presque veuve. Il n'eut guère à attendre car Jean-Baptiste l'avait fait quérir et bientôt, un homme d'âge mur se présenta devant celui à qui il avait juste donné la vie.

Que vous dire de ce moment si particulier entre deux hommes liés par les liens du sang, séparés par un Océan durant vingt ans et par une fuite qui pesait lourd sur la conscience ? Les mots sont parfois de peu d'utilité. Un regard, un trait de caractère que l'on semble deviner, une ressemblance physique qui lève tout soupçon sont parfois indices plus puissants encore.

Puis, il fallut en passer par la confidence pour expliquer ce qui passait encore pour une fuite, une trahison, une désertion. Pierre-Marie s'était trouvé pris malgré lui dans une histoire de faux-saunier. Un contrôle des gabelous avait fait monter la pression entre les trafiquants et le marinier. Une rixe qui tourne mal, un coup de poing aux conséquences plus graves que d'ordinaire…

Un homme qui ne se relève pas, un autre qui devient à jamais un banni, un proscrit, un fuyard. Une opportunité qui s'offrait à lui, un nouveau continent qui avait besoin d'hommes, une expédition qui partait, un nouveau destin qui se présentait comme une autre chance. Pierre-Marie était parti pour les Amériques sans savoir qu'il avait laissé une graine au pays …

C'est ému aux larmes que Jean-Baptiste Le Moyne décida d'appeler le comptoir qui sortait de terre « La Nouvelle Orléans ! » pour célébrer les retrouvailles de Jean et de son père. Personne n'a jamais colporté cette version : il était plus convenable de prétendre honorer le régent qu'un marinier, contraint de fuir la France, et son enfant obstiné.

Jean rentra en France pour y venir chercher sa mère. Père, mère et enfant se retrouvèrent l'année suivante et devinrent une famille de colons. C'est grâce à eux, qu'en Louisiane, il se trouve encore des habitants des bayous qui parlent notre langue.

Maintenant que vous savez le fin mot de l'histoire, j'espère que vous ne mettrez pas en doute mon récit en prétendant que c'est du pipeau. Prenez donc la peine de sortir à la belle étoile et de jouer quelques notes de ce bel instrument. Si la voûte céleste ne vous conduit pas de l'autre côté de l'Atlantique, tout au moins, elle aura le pouvoir de vous faire rêver. C'est bien là le moins qu'on puisse lui demander …

Célestement leur.

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6 réactions à cet article    


  • Dom66 Dom66 24 avril 2015 12:23

    Très beau texte merci

    Une question, juste une ; Ce texte vient d’où ? Si il est de vous, alors bravo.


    Saviez vous que la Louisiane allait jusqu’au Montana par le Wyoming et que c’est ce con….. de Bonaparte qui a vendu la Louisiane.

    Petite anecdote j’ai roulé dans L’Idao le Wyoming, et j’ai vu  de nombreux  bleds avec des noms Français, et entre autre Paris-Montpelier en 15 minutes en voiture.

       


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 avril 2015 12:49

      @Dom66

      C’est une création de votre serviteur

      Il ne doit pas être si beau que ça puisque des gens viennent voter contre ici

      Laissons les se noyer dans un bayou. Dimanche prochain, l’histoire des Acadiens sera elle-aussi revisitée
      Merci à vous


    • Dom66 Dom66 24 avril 2015 13:04

      @C’est Nabum

      Le vote sur AV, est dans l’ensemble une imposture, et le restera tant qu’il ne sera pas signé et commenté, je suis depuis peu sur ce site, et j’ai remarqué que bien souvent c’est la haine de l’autre qui domine.

      En général, on moinse d’office ceux qui sont d’un bord politique autre, il doit même avoir des gens au commande d’AV qui ont la possibilité de moinser ou de plusser un max.

      Donc ne prenez pas ces votes pour votre texte qui est très beau, mais hélas pour vous sûrement.

      Vous avez du en chagriner quelque uns qui comme des idiots votes moins sans commentaire.

      Dommage  smiley

       

         


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 avril 2015 13:54

      @Dom66

      Que ces gens se rassurent, jamais je n’irai cliquer sur ce moins d’infamie

      Je n’aime pas les notes et je ne juge pas les gens
      Les opinions contraires devraient nourrir le débat, ici et bien souvent partout désormais, elles attisent la haine

      C’est vraiment dommage, vous avez raison


    • bernard912 24 avril 2015 15:29

      Délicieux !! Et vivement dimanche, en Acadie.

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