Un amour, tout ouïe…
Histoire vraie
Le récit interrompu !
Ne comptez pas sur elle pour vous narrer cet incroyable épisode d'une escale en fête qui se trouva soudain plongée dans l'irrationnel. Il me faut pourtant assumer le rôle de truchement pour raconter ce coup de folie de cette passagère clandestine qui se permet de surgir de manière totalement inopinée durant une petite balade à bord de la toue sablière Recouvrance.
Jusqu'à son intrusion tonitruante, la petite croisière sur ce qui fut jadis la gare à bateaux de l'écluse de Mantelot se déroulait sans trouble ni difficulté notoire. Les dix passagers, nombre réglementaire pour rester dans les normes fixées par le code de navigation étaient à l'écoute d'un individu notoirement bavard, débiteur de sornettes fluviales.
Le bateau longeait la rive opposée au tumulte d'une fête qui battait son plein. Chacun profitant de la sérénité d'un lieu enchanteur qui pourtant fut porteur d'une périlleuse histoire de la marine de Loire de 1838 à 1896 avec en moyenne 10 naufrages par an dans ce saut dans la Loire pour rejoindre le canal de Briare. Il y eut des morts et bien des drames jusqu'à ce que le génie des hommes ne dresse un pont canal pour éviter ce passage délicat.
Reste aujourd'hui le récit d'une époque épique et la beauté d'un site préservé de la modernité. Les passagers étaient tout ouïe, le récit, quoique grave, touchait les cœurs et imposait le respect pour tous ceux qui avaient contribué à cette formidable épopée. Le Recouvrance naviguait sur son erre, le moteur coupé pour ne pas perturber le discoureur.
C'est alors que des flots, une auditrice voulut tendre d'avantage l'oreille pour profiter pleinement d'informations qui jusqu'alors lui échappaient totalement. Il est vrai que le guide narrait alors l'existence de la petite sirène des mariniers, une magnifique sculpture, placée en front de Loire quelques kilomètres en amont de là à Neuvy-sur-Loire pour honorer tous ceux qui avaient laissé leur vie dans la rivière dans l'exercice de leur si difficile métier.
Est-ce l'évocation de ce monument voulu par Maurice Genevoix et Paul Fougeras qui émut cette nymphette ou bien se prit-elle soudainement pour la petite sirène réincarnée à moins qu'elle ne fût elle-même l'Ondine de bien des contes de Loire, toujours-est-il qu'elle ne put résister au désir de se mêler à la compagnie.
Prenant son élan, acceptant dans le même temps de se découvrir pour que les humains s'aperçoivent finalement que le mythe se matérialisait sous leurs yeux ébahis, la dame, la Vouivre, Ondine ou bien la sirène ou n'importe quelle autre créature mythologique dont nous ignorions l'existence, bondit dans l'embarcation.
Pour les besoins de la métamorphose, chère à Ovide, elle venait d'intégrer l'apparence d'une carpe : un amour blanc de fort belle taille et d'un poids imposant. Elle battait des ouïes pour mieux profiter d’un récit qui s'interrompit soudain lors de son intrusion. C'est sans doute maladresse de la part du raconteur qui ne comprit pas que c'est pour écouter l'histoire que la créature venait de surgir des profondeurs.
Les conteurs habituellement sont initiés à ce rapport trouble et merveilleux avec les mystères de la nature. Mais cette fois, la surprise fut telle pour tous les passagers et l'équipage que personne ne sut satisfaire l'attente de cette malheureuse carpe. Elle nous le reprocha amèrement quand par le secours d'un pêcheur, elle regagna les flots sans connaître l'histoire de la petite sirène.
Je doute qu'on donne crédit à mon récit et pourtant, l'histoire s'est déroulée ainsi et je demeure confus et désolé de n'avoir pas eu la présence d'esprit de lui offrir ce qu'elle était venue quérir sur cette toue sablière.
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