Un conseil de classe pas ordinaire
Segpa ...tenable !
Le poids de la désespérance.
La redoutable classe, dont personne ne parvient à tirer quoi que ce soit, était la vedette de cette soirée de conseil de classe. Un moment difficile, l'heure d'un bilan qui ne fut pas celui des apprentissages mais hélas, celui des dysfonctionnements, des incidents, des interrogations et des souffrances. C'est l'instant où chacun va vider sa rancune, évoquer ses inquiétudes, partager sa détresse.
C'est encore l'occasion d'avoir des témoins extérieurs, deux mères d'élèves élues, qui viennent suppléer les parents de Segpa, absents des instances officielles. Depuis deux années déjà, elles suivent les exploits de cette classe peu ordinaire. En six conseils de classe, elles se sont familiarisées avec ces élèves, ont observé leurs évolutions, compris leurs problèmes.
Elles ne sont pas prises au dépourvu, ces deux dames si bien disposées. Pourtant, au fil de notre longue soirée, elles vont aller de surprises en déceptions, d'indignations en aveux d' impuissance. Elles écoutent, s'étonnent, cherchent à comprendre ce qui peut expliquer l'accélération des troubles, toutes désappointées d'apprendre que cette élève-ci, qui jusqu'alors échappait à la déroute, sombre à son tour.
Elles prennent des notes afin d'établir un compte rendu qu'elles enverront aux parents. Pourtant, une fois encore, elles n'ont reçu aucune réponse en retour du questionnaire qu'elles avaient soumis aux familles de nos chers élèves. J'admire cette implication militante, ce temps consacré pour des gens qui ne rendent rien en retour. Ne se sentent-ils aucunement concernés ou bien qui n'ont-ils simplement plus les ressources pour oser donner leur avis ?
Une fois seulement, les dames vont montrer leur désaccord. Le délégué des élèves qui a daigné se déplacer (son homologue ayant annoncé haut et fort son refus de participer) n'est autre que notre pauvre M... Le pauvre gamin , le visage zébré de coups de feutres car il a été, une fois encore, le souffre -douleur de ses adorables camarades, raconte les coups, les moqueries, les humiliations quotidiennes.
Cette fois, les représentants des parents s'indignent du peu de réactivité du collège, bien décidées à saisir l'inspecteur et le service harcèlement de l'institution. Je suis heureux de ce coup d'accélérateur donné à un dossier qui va sans doute trouver une solution à la rentrée de janvier. Mais c'est la victime qui va partir sans que rien ne soit proposé contre les bourreaux, trop nombreux et surtout trop solidaires dans leur sale besogne destructrice.
Et puis, c'est l'occasion de partager un peu plus longuement avec nos collègues qui interviennent quelques heures avec cette classe. Et là encore, nous constatons à leurs réactions effarées, notre degré de résignation devant les écarts de ces petits monstres, nous qui ne sommes plus en mesure de leur donner la réponse appropriée. Deux jours d'exclusion pour celui qui a levé une table au-dessus de la tête d'un collègue, même sanction pour celle qui a affirmé à une collègue qu'elle devait être « mal baisée », quatre jours pour celui qui a simulé de manière terriblement explicite un viol par un mime qui a choqué tous ses camarades …Nous étions bien trop tendres avec l'inacceptable !
Les professeurs du collège n'en reviennent pas et condamnent le laxisme de la direction. Devant l'ahurissante escalade des dérèglements, l'échelle des réactions n'est plus appropriée et nous nous sentons désemparés . L'accumulation des fautes banalise et interdit de stigmatiser celles qui sont moins spectaculaires mais toutes aussi pesantes. Comment sortir de ce piège que ne cessent de nous tendre ces élèves désaxés ?
C'est ainsi que le conseil dure, dure et se prolonge ; soirée interminable et éprouvante. Trois heures pour quatorze élèves, quatorze cas différents, quatorze souffrances, quatorze raisons de ne plus savoir ni que dire ni que faire. Rassurez-vous, nous n'avons pas une seule fois fait allusion aux notes ou aux moyennes (d'ailleurs, il n'y en pas pas). Chaque intervention évoquait l'élève, son parcours, son comportement, ses perspectives. Un sac à misères qu'il fallait vider en commun.
Le conseil de classe est devenu une séance de thérapie. Le partage de l'impuissance, la possibilité de raconter, simplement raconter ce qui se passe au quotidien avec des gamins qui ne sont jamais devenus des élèves, qui ont pris le pouvoir par une force d'inertie hors du commun, par leur formidable capacité à sortir sans cesse du cadre, par le refus de l'effort, de la règle, de l'autorité des parents, des adultes, de l'institution.
Je ne sais si ce moment sera utile, s'il apportera autre chose que le sentiment de n'être plus seul, d'avoir été écouté, compris ou plaint. Il a eu lieu et impose désormais de passer à autre chose, de chercher à réagir puisque la loi du silence a été rompue. Nous savons pourtant que nous allons nous heurter à la logique comptable de notre chère maison. Il est recommandé de ne pas trop punir, de se montrer discret pour ne pas alerter les pouvoirs à propos d' une situation qui n'a pas de raison d'être aussi dégradée, à moins d'avouer une incompétence générale, une faute gravissime ! Déjà, le premier recul, le soufflé retombe, le principe de réalité est impitoyable. « Survivre, survivre tout simplement », restera une fois encore notre unique espoir !
Impuissancement vôtre.
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