• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Étonnant > Un conseil de classe pas ordinaire

Un conseil de classe pas ordinaire

Segpa ...tenable !

Le poids de la désespérance.

La redoutable classe, dont personne ne parvient à tirer quoi que ce soit, était la vedette de cette soirée de conseil de classe. Un moment difficile, l'heure d'un bilan qui ne fut pas celui des apprentissages mais hélas, celui des dysfonctionnements, des incidents, des interrogations et des souffrances. C'est l'instant où chacun va vider sa rancune, évoquer ses inquiétudes, partager sa détresse.

C'est encore l'occasion d'avoir des témoins extérieurs, deux mères d'élèves élues, qui viennent suppléer les parents de Segpa, absents des instances officielles. Depuis deux années déjà, elles suivent les exploits de cette classe peu ordinaire. En six conseils de classe, elles se sont familiarisées avec ces élèves, ont observé leurs évolutions, compris leurs problèmes.

Elles ne sont pas prises au dépourvu, ces deux dames si bien disposées. Pourtant, au fil de notre longue soirée, elles vont aller de surprises en déceptions, d'indignations en aveux d' impuissance. Elles écoutent, s'étonnent, cherchent à comprendre ce qui peut expliquer l'accélération des troubles, toutes désappointées d'apprendre que cette élève-ci, qui jusqu'alors échappait à la déroute, sombre à son tour.

Elles prennent des notes afin d'établir un compte rendu qu'elles enverront aux parents. Pourtant, une fois encore, elles n'ont reçu aucune réponse en retour du questionnaire qu'elles avaient soumis aux familles de nos chers élèves. J'admire cette implication militante, ce temps consacré pour des gens qui ne rendent rien en retour. Ne se sentent-ils aucunement concernés ou bien qui n'ont-ils simplement plus les ressources pour oser donner leur avis ?

Une fois seulement, les dames vont montrer leur désaccord. Le délégué des élèves qui a daigné se déplacer (son homologue ayant annoncé haut et fort son refus de participer) n'est autre que notre pauvre M... Le pauvre gamin , le visage zébré de coups de feutres car il a été, une fois encore, le souffre -douleur de ses adorables camarades, raconte les coups, les moqueries, les humiliations quotidiennes.

Cette fois, les représentants des parents s'indignent du peu de réactivité du collège, bien décidées à saisir l'inspecteur et le service harcèlement de l'institution. Je suis heureux de ce coup d'accélérateur donné à un dossier qui va sans doute trouver une solution à la rentrée de janvier. Mais c'est la victime qui va partir sans que rien ne soit proposé contre les bourreaux, trop nombreux et surtout trop solidaires dans leur sale besogne destructrice.

Et puis, c'est l'occasion de partager un peu plus longuement avec nos collègues qui interviennent quelques heures avec cette classe. Et là encore, nous constatons à leurs réactions effarées, notre degré de résignation devant les écarts de ces petits monstres, nous qui ne sommes plus en mesure de leur donner la réponse appropriée. Deux jours d'exclusion pour celui qui a levé une table au-dessus de la tête d'un collègue, même sanction pour celle qui a affirmé à une collègue qu'elle devait être « mal baisée », quatre jours pour celui qui a simulé de manière terriblement explicite un viol par un mime qui a choqué tous ses camarades …Nous étions bien trop tendres avec l'inacceptable !

Les professeurs du collège n'en reviennent pas et condamnent le laxisme de la direction. Devant l'ahurissante escalade des dérèglements, l'échelle des réactions n'est plus appropriée et nous nous sentons désemparés . L'accumulation des fautes banalise et interdit de stigmatiser celles qui sont moins spectaculaires mais toutes aussi pesantes. Comment sortir de ce piège que ne cessent de nous tendre ces élèves désaxés ?

C'est ainsi que le conseil dure, dure et se prolonge ; soirée interminable et éprouvante. Trois heures pour quatorze élèves, quatorze cas différents, quatorze souffrances, quatorze raisons de ne plus savoir ni que dire ni que faire. Rassurez-vous, nous n'avons pas une seule fois fait allusion aux notes ou aux moyennes (d'ailleurs, il n'y en pas pas). Chaque intervention évoquait l'élève, son parcours, son comportement, ses perspectives. Un sac à misères qu'il fallait vider en commun.

Le conseil de classe est devenu une séance de thérapie. Le partage de l'impuissance, la possibilité de raconter, simplement raconter ce qui se passe au quotidien avec des gamins qui ne sont jamais devenus des élèves, qui ont pris le pouvoir par une force d'inertie hors du commun, par leur formidable capacité à sortir sans cesse du cadre, par le refus de l'effort, de la règle, de l'autorité des parents, des adultes, de l'institution.

Je ne sais si ce moment sera utile, s'il apportera autre chose que le sentiment de n'être plus seul, d'avoir été écouté, compris ou plaint. Il a eu lieu et impose désormais de passer à autre chose, de chercher à réagir puisque la loi du silence a été rompue. Nous savons pourtant que nous allons nous heurter à la logique comptable de notre chère maison. Il est recommandé de ne pas trop punir, de se montrer discret pour ne pas alerter les pouvoirs à propos d' une situation qui n'a pas de raison d'être aussi dégradée, à moins d'avouer une incompétence générale, une faute gravissime ! Déjà, le premier recul, le soufflé retombe, le principe de réalité est impitoyable. « Survivre, survivre tout simplement », restera une fois encore notre unique espoir !

Impuissancement vôtre.


Moyenne des avis sur cet article :  4.76/5   (17 votes)




Réagissez à l'article

33 réactions à cet article    


  • Alpo47 Alpo47 13 décembre 2013 11:30

    Vos articles sont passionnants et pleins d’humour...
    Une question me taraude toutefois : Vous, qui êtes confronté à cet enfer quotidien, avec toutes les obligations que nécessite votre engagement, comment faites vous pour trouver encore le temps de venir quotidiennement nous écrire un nouvel article sur AgoraVox ?
    Le goulag de l ’enseignement n’en serait donc pas un ?


    • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2013 11:36

       Alpo47


      L’enseignement laisse du temps libre
      Je ne regarde pas la télévison
      Il me faut quarante minutes pour écrire un billet

      Ce lien avec la vie ordinaire me permet de survivre

      Vous savez tout

    • Prudence Gayant Prudence Gayant 13 décembre 2013 13:49

      Professeur Nabum

      Vous avez tort....
      de ne pas regarder la télévision, il y a, lorsque l’on s’en donne la peine, de bonnes émissions, suffit juste de chercher.
      Et c’est bien plus tenable que votre segpa.
      La réaction de vos collègues professeurs serait totalement risible si elle n’était pas ahurissante.
      Font-ils semblant ? 
      Un bon point pour le petit M.

    • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2013 16:26

      Prudence


      Rassurez vous, ces élèves ne font que ça, regarder la télé et jouer aux jeux vidéos
      Vous voyez le résultat 

    • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2013 16:28

       tonimarus45


      Laissons dire

      Le mépris se construit ainsi de remarques insidieuses en propos déconcertants

    • bobbygre bobbygre 13 décembre 2013 13:04

      Merci pour votre article.
      La vraie valeur d’Agoravox se situe là : mettre en lien direct les citoyens entre eux et permettre de témoigner à chaud sur la réalite du terrain (là où les journalistes ne vont plus).


      • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2013 13:15

        bobbygre


        J’en suis convaincu !

        Merci

      • L'enfoiré L’enfoiré 13 décembre 2013 16:35

        Bonsoir bobbygre,


         Ah si au moins vous pouviez dire vrai au sujet d’Avox. smiley
         C’était peut-être vrai, mais il y a longtemps, disons 7 ans en arrière...
         Je crois que vous êtes nouveau puisque vous n’avez que deux articles à votre article.
         Je préfère toujours remonter sur les blogs des rédacteurs.
         Ici, je ne fais plus que commenter comme les autres....
         Je vais me moinsser. Au moins, j’éviterai ce travail à quelqu’un.
         smiley

      • L'enfoiré L’enfoiré 13 décembre 2013 16:41

        « deux articles à votre article »

        deux articles à votre actif, voulais-je écrire. 

      • L'enfoiré L’enfoiré 13 décembre 2013 16:43

        Mais comme nous avons eu la même profession, je suis sûr qu’il va y en avoir beaucoup d’autres smiley


      • wawa wawa 13 décembre 2013 16:19

        continuez à nous faire « rever »


        • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2013 16:28

          wawa 


          Je doute que le cauchemar actuel devienne un rêve ! 

        • Sergueï Dabur Sergueï Dabur 13 décembre 2013 16:20

          Merci pour vos articles, je les partage à qui de droit, et je peux vous dire que cela soulage nombre d’entre eux !


          • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2013 16:31

            Sergueï Dabur 


            Merci de me le réconforter ainsi

            J’ai vu un commentaire affreux il y a peu qui a été censuré à juste raison (surtout pas par moi)
            C’était si odieux que j’ai retrouvé ce commentaire pour le publier ailleurs, histoire d emontrer à quel point il y a désormais des gens qui méprisent les maïtres et les professeurs

          • L'enfoiré L’enfoiré 13 décembre 2013 16:32

            Je suis passé à la source sur le blog, je ne vais pas me répéter.... smiley


            • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2013 16:35

              L’enfoiré


              Merci de défendre ainsi mes modestes chroniques

              Pour M... les professeurs seront entendus au commissariat
              M... a enfin porté plainte maintenant qu’il est parti de cette classe

              C’est ce que je lui avais conseillé.

              Les bonnes dames voulaient qu’il le fasse de suite.
              Elles ignoraient sans doute ce que sont les représailles.

              Maintenant, puis-je évoquer mon billet devant la gente polocière ? 
              J’attends vos conseils

            • L'enfoiré L’enfoiré 13 décembre 2013 16:39

              « évoquer mon billet devant la gente polocière ? »


              Est-ce un lapsus lingua, une faute d’ortho, ou un néologisme (que j’aime bien) ?
              Pour répondre, je demanderai plus de précisions.

            • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2013 19:36

              L’enfoiré


              Peut-on encore les prétendre Polis ?
              Polo donne bien l’idée de sport confus ...

              Polocière me va bien

            • L'enfoiré L’enfoiré 13 décembre 2013 21:36

              « devant la gente polocière », donc...

              Que fait le cheval quand il n’est pas content ?
              Il rue.... smiley

            • Xenozoid 13 décembre 2013 16:41

              c’est marrant comme le context n’est jamais un sujet,n’esce pas


              • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2013 19:38

                Xenozoid


                Vous tournez en rond et c’est sans attraper la queue de la haine ...

                Il n’y a de Trois élèves qui vous déplaisent dans cette classe et ce ne sont pas les principaux fauteurs de trouble.

                Alors restons en au texte et évitons le préfixe je vous prie

              • Jean J. MOUROT Jean J. MOUROT 13 décembre 2013 18:59

                J’avais un camarade enseignant qui, devant tout problème, lançait : « Une seule solution, la Révolution ! » Si cela pouvait être aussi facile que cela... !


                • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2013 19:39

                  Jean


                  Dix solutions ... peut-être mais pas encore de révolution ! 

                • Beauceron Morice Bonaparte 13 décembre 2013 21:50

                  Un permanent syndical de la FSU je présume ? Je connais...


                • L'enfoiré L’enfoiré 13 décembre 2013 21:33

                  Vient de paraître chez nous

                  Je n’ai pas le texte complet. Cela ne va pas vous aider, mais j’aurai essayé. smiley

                  • C'est Nabum C’est Nabum 14 décembre 2013 06:51

                    L’Enfoiré


                    Je prends ! 
                    Merci 

                  • Beauceron Morice Bonaparte 13 décembre 2013 21:47

                    Les élèves de SEGPA ne rélèvent pas du « scolaire », troubles du comportement, cas psychiatriques, phobiques scolaires, cas sociaux etc. on confond le collège avec l’hôpital de jour. Une de mes collègues s’est fait un jour étranglée par un 3ème SEGPA : la hiérarchie lui a reproché de s’être « mise en arrêt maladie » ! Alors que ce fait relevait de l’accident du travail ! Aucun soutien d’une hiérarchie de lâches et de planqués, indifférence des collègues... ces postes sont à éviter pour les profs.


                    • Beauceron Morice Bonaparte 13 décembre 2013 21:48

                      « étrangler » avec ER toutes mes excuses !


                    • C'est Nabum C’est Nabum 14 décembre 2013 06:53

                      Morice Bonaparte


                      Hélas, l’état de notre société fait que cette structure a changé de destination. Elle reçoit désormais ceux qui ne sont pas gérables et pour lesquels il n’y a pas assez de place ailleurs

                      Alors, l’administration ferme les yeux sur ses insuffisances et montre du doigt ceux qu’elles envoient au casse-pipe

                    • bakerstreet bakerstreet 14 décembre 2013 03:03

                      Nabum


                      Vos articles sur l"école sont le meilleur plaidoyer pour illustrer la difficulté et les bonheurs du genre. 

                      Ces chroniques du front où vous vous posez plus de questions que vous n’apportez de réponses, révèlent votre humanité, et me fachent avec moi-même, de me prendre au sèrieux, dans mes réponses parfois cassantes et vaines, sur l’école, et l’institution. 
                      Il est vrai que là où quand certains montrent leur suffisance et leur rigidité, vous montrez votre humour et vous souplesse. 
                      Et l’on sait comment, dans une partie de ping pong, le jeu peut se libérer ou se bloquer !

                      Le mal sans doute vient de très loin, et que faire, quand à Fort-Alamo, chacun ne pense plus qu’à sa survie. 
                      Le cancer se généralise, étouffe les cellules saines. 
                      Je n’ai pas de conseil à vous donner, vous connaissez assurément bien votre travail. 
                      Quoique le mien soit en psychiatrie...
                      Attendant moi aussi parfois, quelque chose qui ressemble à l’armistice
                      Le corps social se disloque, et les craquelures apparaissent dans les endroit les moins protégés. 
                      L’empire romain a cédé par ses marges, face aux barbares. 

                      ps : Néanmoins, pour le harcèlement, vous avez raison : Ne pas céder, porter plainte, refuser la soumission, ! Que l’enfant harcelé prenne un RDV dans un CMP, pour un soutien et une aide psychologique
                      Bien à vous




                      • C'est Nabum C’est Nabum 14 décembre 2013 06:57

                        bakerstreet


                        Merci beaucoup 

                        Un tel commentaire redonne force et courage

                        M... a porté plainte une fois qu’il a été éloigné de ces fauves ! 
                        Avant, c’était impossible

                        Maintenant nous allons suivre la procédure car je redoute que la hierarchie va se défausser en nous accusant de laxisme, d’incompétence et de ne pas l’avoir prévenue

                        J’ai des preuves ... et je vais continuer à raconter

                      • thierry3468 14 décembre 2013 07:01

                        Je suis avec curiosité les aventures de cette classe au fil des articles de Nabum mais il faut reconnaitre que le champ des sanctions a niveau d’un établissement scolaire est limité....Exclure un élève d’une SEGPA revient à accroitre ses difficultés ,à renvoyer à d’autres la mission d’éviter le pire ....Vous êtes dans le palliatif et malheureusement l’ultime espoir de raccrocher ces jeunes à un système qui les amis sur la touche. UN élève de SEGPA est le plus souvent synonyme d’handicap au sens très large (mental, social ,psychologique) et donc nécessiterait une prise en charge plus globale qu’une simple scolarisation adaptée.....mais notre société abandonne vite ceux qui n’ont pas de porte parole. 


                        • C'est Nabum C’est Nabum 14 décembre 2013 07:21

                          thierry3468


                          J’aime beaucoup votre conclusion et c’est pourquoi en dépit des risques professionnels, je me fais le porte parole d’une réalité qu’il faut taire

                          Je sais l’impuissance de la direction de l’établissement, les responsabilités sont ailleurs

                          Quand en début d’année l’Inspection Académique téléphone pour demander à ce qu’il n’y ait plus de Conseils de discipline, vous savez que nous allons à la catastrophe

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès


Derniers commentaires