Une heure de folie
Segpa ... possible !

La classe, c'est aussi du sport !
Les pluies de ces derniers jours ont contraint la municipalité à interdire les terrains de sport herbeux. Petite cause, grands effets : le syndrome du battement d'aile du papillon a encore provoqué un cataclysme d'envergure. Naturellement, pour ne pas déroger aux bonnes vieilles habitudes, je me retrouve sous la gouttière ; j'essuie les plâtres et la colère de quelques élèves qui n'acceptent jamais les changements, les contraintes, les situations de substitution.
Pas de terrain ? Qu'à cela ne tienne ! Dans l'esprit de nos chers petits, cela vaut heure en moins, retour prématuré à la maison, dispense de travail. D'ailleurs, ils le disent haut et fort : ils n'ont que leur tenue de sport et aucun crayon, pas la moindre feuille ni surtout la plus petite envie de subir une contrainte. La génération du bon plaisir est en marche, il faut se plier à leur fantaisie.
Hélas pour eux, ayant encore quelques onces de conscience professionnelle, j'avais décidé de donner un contenu à cette heure qui n'aurait pu être que simple garderie. Folie de ma part de persister à penser que les élèves sont là pour découvrir des choses, réfléchir un peu sur eux-mêmes et sur les activités qui leur semblent si ordinaires ! Puisque je ne pouvais leur faire sport en extérieur, j'avais envisagé d'évoquer les conditions de l'effort musculaire, les bases de biomécanique et de la diététique sportive, avec quelques vidéos comme support et les souvenirs du brevet d'état sportif pour alimenter cette heure ....
Je n'ai cette classe de cinquième qu'une heure par semaine, justement en EPS ; c'est bien peu pour la connaître bien, c'est encore moins pour être reconnu comme étant un professeur qui compte. Dès l'entrée dans la classe, je devine l'énervement ! Il y a eu des incidents entre différentes filles, des punitions données par mes collègues ; je l'apprendrai plus tard.
Trois jeunes filles se font immédiatement remarquer. Elles parlent très fort, s'asseyent sans attendre mon invitation, s'invectivent au travers de la classe. Il me faut élever la voix d'entrée de jeu ; ça va être du sport ! J'obtiens le calme cependant et présente le programme alternatif tout en précisant que l'état des terrains était tel qu'il n'eût pas été raisonnable de maintenir la séance. J'avais évoqué la vidéo, aussitôt mes furies de se lever sans y être invitées pour fermer les rideaux.
Je m'énerve quelque peu. Je ne supporte pas cette interprétation des élèves qui pensent que vidéo et cinéma sont de même nature. L'obscurité ne s'impose pas ; il faut pouvoir arrêter l'image, commenter, interroger. Cela demeure un travail et non un temps de loisir. Chaque fois, il y a des plaintes, des récriminations. J'explique ce petit détail tout en leur précisant qu'ils sont au collège d'abord pour travailler. L'une des énervées se lève, traverse la classe et va importuner une camarade.
Exaspéré, je la prie d'aller s'asseoir devant le bureau du directeur, juste en face de ma classe, afin de retrouver un peu ses esprits. C'est le début du grand bazar. Cette charmante frappe à la porte, entre par la porte de secours, se met à hurler dans la classe, ressort, martèle la porte à nouveau, manifestement hors contrôle. Elle nous a déjà joué de telles scènes ; rien ne peut la calmer et sa pauvre mère reconnaîtra, à ma stupéfaction le lendemain, qu'il arrive parfois à cette jeune fille de lever la main sur elle … Que voulez-vous faire ?
Pour couper court au martèlement de la porte, je fais rentrer la furieuse. Bien mal m'en prend ! C'est l'une de ses comparses qui prend le relais, se lève et décide de s'en aller. C'est une habituée du fait : cette jeune fille quitte l'établissement quand bon lui semble. J'arrive néanmoins à la récupérer mais cette petite fantaisie provoque dans la classe un chahut gigantesque. Il faut donner encore de la voix pour retrouver le calme.
Je commence malgré tout mes explications. Des élèves sont intéressés, posent des questions, évoquent leurs pratiques sportives. Nous avons pourtant bien du mal à poursuivre cet échange car les trois furies se balancent, insultant ceux qui veulent écouter. L'une des trois se lève pour aller chercher un magazine au fond de la classe et le jeter à sa commère …
Manifestement, elles sont dans un tel état que rien ne leur résistera. Déjà exclues à plusieurs reprises depuis septembre, elles se moquent des punitions, désespérant leurs familles impuissantes et désemparées. Des dossiers de réorientation sont en cours car elles relèvent de structures bien plus encadrées encore mais en attendant un très hypothétique placement, la Segpa doit les contenir et aujourd'hui, c'est impossible !
Je finis tant bien que mal cette heure de cours effroyable. À la sonnerie, je demande à ces calamités de rester pour discuter un peu de leur comportement. Je n'ai nullement l'intention de les punir, ça ne sert à rien. Je crois encore à la force de la persuasion, des explications et du dialogue. Avec elles cependant, ce sont des mots creux ; elles hurlent, m'insultent et se sauvent par l'autre porte.
Je ne cours pas après elles. À quoi bon ? Ce sont elles qui reviennent me trouver quelques minutes plus tard pour s'excuser de leur attitude. Soudainement elles craignent un rapport, sanction qui ne leur effleurait même pas l'esprit durant la séance. Elles me regardent ahuries quand je refuse leurs excuses, que je leur dis qu'il est trop tard et qu'un repentir de façade n'a aucun sens. Manifestement elles ne comprennent rien ! Ce ne sont que des enfants, des filles sans limites, pas méchantes mais sans repère ni éducation.
Pour elles, les excuses valent annulation de l'ardoise. On efface tout et on peut recommencer. Ces gamines ne sont pas forcément de futures délinquantes ; elles n'ont simplement aucune limite, aucune loi, aucun principe de vie collective. Les troubles du comportement dont elles souffrent, sont manifestement liés à leurs difficultés intellectuelles.
L'institution est parfaitement démunie devant de tels excès. Nous n'avons aucune prise sur leurs débordements. Leurs familles elles-mêmes sont dépassées. Comment enseigner quand il faut contenir le feu ? Comment prendre en compte les besoins des autres élèves quand ces gamines sortent de leurs gonds ? Le collège unique est une impasse ; nous manquons de moyens et de compétences pour gérer des dysfonctionnements qui échappent à la raison. Une minorité de gamins est en train de saborder l'école et nous ne disposons d'aucune réponse adaptée.
J'ai fait le choix de la vérité pour qu'au moins, vous ne puissiez pas dire que vous ne saviez pas. Cela arrive aussi dans les écoles de vos enfants. Nous avons en Segpa le privilège de regrouper les cas difficiles, de cumuler les handicaps, de réunir toutes les problématiques sociales, cognitives et psychologiques. Nous sommes une chambre d'écho du réel, une simple exagération d'une tendance lourde qui rend bien difficile un métier qu'on aime tant moquer. Ces enfants sont aussi vos enfants, ils sont également de futurs adultes. Un jour ou l'autre, des réponses spécifiques et réalistes seront nécessaires. Fermer les yeux et les oreilles n'est certainement pas une solution pérenne.
Désespérément leur.
Une heure plus tard, nous attendions les parents d'une autre classe pour une réunion de présentation de la structure. Une seule famille s'est déplacée, il est inutile d'en dire plus.
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