Urbanisme et science fiction : La ségregation sera « verticale » ou ne sera pas.
J’ai souvent pour habitude de dire que l’urbanisme m’inspire l’image d’une science bâtarde, à mi chemin de tout. Jamais tout à fait ceci, ni tout à fait cela, l’urbanisme paraît souvent hésiter, tirailler par la complexité de sa position. La « science urbaine » ce n’est pas tout à fait de la ville, ce n’est pas non plus de la sociologie, de l’économie ou encore de l’environnement . En fait, l’urbanisme pourrait être tout et rien à la fois (vivant et mort , comme le chat), une nébuleuse, un amas abscons de choses et de composants, une véritable cuisine de mousquetaires, dont seule Maïté semble connaître le liant qui mariera justement, l’ensemble des ingrédients.
Et comme pour ne pas arranger les choses, l’urbaniste de cirque doit la plupart du temps jongler avec des termes dont il ignore presque, sinon complètement, la sémantique et le sens originel. L’idée de "ségrégation" en est de cela, en est tout particulièrement de ces mots qui disent ce que chacun veut bien entendre ou voir à son irruption, là, au hasard d’un débat, d’une discussion. Est-ce que l’on parle de ségrégation sociale, spatiale ou bien d’un peu des deux ; de socio-spatiale ? Et si j’oublie la raciale, est-ce que je fais de la ségrégation ? En fait, une ségrégation accompagne souvent l’autre, sans que cela ait valeur de vérité. Dans l’Exposition coloniale d’Erik Orsenna, on peut approcher l’idée au travers d’une description de la ville de Londres :
"Très vite, il distingua les trois villes juxtaposées qui constituent Londres. A l’est, le port. Au centre, les banques. A l’ouest, vivaient les riches. A l’est grouillaient les choses et des pauvres si pauvres que les choses les avaient accueillis dans leur domaine. Au centre, régnait le papier, car les banquiers, préoccupés d’abord d’hygiène, n’avaient rien de plus pressé que de transmuer en assignats inodores le puant clapotis des choses. A l’ouest prospéraient les jardins où les riches flânent".
La ségrégation spatiale ou socio-spatiale s’envisage aujourd’hui d’abord et avant tout dans son rapport au territoire de la ville. Dans son rapport à l’horizontalité. Erik Orsenna aborde ainsi la notion de juxtaposition d’entités spatiales dissociables les unes des autres du fait qu’elles incluent et rejettent tout à la fois (des fonctions, des populations, etc.). Dans la cité du futur, celle que nous présente la science fiction des films notamment, la ville sera moins américaine, horizontale, qu’elle ne sera verticale et dense à l’image de la ville hypertrophiée du 5ème élément de 1996 ; Epoque lointaine et bénit des dieux, ou Luc Besson réalisait encore de véritables films...
Dans la plupart des cas, la ville futuriste fonde son organisation et sa structure sur des réalités urbaines contemporaines du lieu et de l’époque à laquelle elle a été imaginée. Dans les années 20, la ville futuriste est esthétique, aseptisée et plus ou moins symbole de progrès (Métropolis de 1926). Passée la seconde guerre mondiale et les années 60 notamment, elle semble tout à fait autre chose. Plus sombre et décadente, c’est la ville de Blade Runner (1982). L’invariant de ces films et de ces époques, c’est la ségrégation qui se joue d’abord à la verticale. Dans de nombreuses oeuvres et longs métrages, la ville ne se décomposent plus en territoires horizontaux mais bien plutôt en tranches verticales, ou la ville haute est le siège de l’élite et ou la ville basse, celle du substrat, abrite les classes indigentes, les prolos et la misère (Métropolis, Blade Runner, Total Recall, Star Wars, Sin City, etc.).
Mais pourquoi au fait ? Pourquoi les riches en haut et les pauvres en bas ? Si la réponse ne tient assurément pas dans le fait que les riches supportent mieux que les autres le manque d’oxygène, elle ne tient pas non plus uniquement que de la symbolique et du parallèle domination sociale/ position élevée. En fait, si les riches, les pauvres et la classe moyenne (dont on ne parle d’ailleurs jamais dans les films de science fiction et dans la politique actuelle) sont là ou ils sont dans la ville du futur, c’est d’abord et avant tout à cause d’une histoire d’ascenseur et de nature humaine, par essence fainéante. Avant le début du XXeme siècle et la relative démocratisation de la technique de déplacement vertical, le schéma riche/pauvre, haut/bas au sein des villes étaient à l’inverse de ce qu’il est aujourd’hui (je vous laisse le soin d’opérer la transposition). Alors que les rez-de-chaussée et les premiers étages se destinaient à recevoir les classes les plus aisées et les plus faignantes de la société (l’image du bourgeois débordant de son costume), les hauteurs et les toits étaient le lieu des petites mains et des travailleurs de la ville. Au prix de l’effort physique, il faut croire que l’homme acceptait donc de s’abstraire de la symbolique. Aujourd’hui dans les métropoles, les immeubles équipés d’ascenseurs sont souvent le reflet édulcoré de ce que nous présente la science-fiction urbaine. Les plus gros loyers sont à portée des nuages et du panorama, les autres se satisferont du bruit et de la pollution.
A l’heure actuelle, ou les débats s’orientent de plus en plus, bardés d’oeillères, vers la constitution d’une ville durable, compacte, mixte et souvent verticale (position que ne partagent pourtant pas les Verts ), il y a peut être des "chances" pour que la ségrégation deviennent moins spatiale et horizontale, que bientôt (qui sait !), aérienne et verticale.
(Illustration : Blade Runner)
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