Veillée d’âmes
De Yule à la nativité.
La vie réserve bien des surprises pour qui se laisse porter par les circonstances et les rencontres sans pour autant se montrer hermétique aux autres manières de penser le monde. Celui qui raconte n'a pas à choisir son public, le conte doit conserver coûte que coûte sa dimension universelle quand bien même il est trituré et grimé pour coller le mieux possible à notre époque.
Bien-sûr, cette volonté de placer le récit dans les questionnements de l'époque peut déplaire, choquer ou bien contrarier ceux qui perçoivent des critiques ou des propos acerbes. Conter doit porter un message contemporain en dépit des oripeaux du passé ou d'un monde mirifique, c'est une activité subversive qui prolonge ce que pratiquaient jadis les trouvères ou les fous du roi. Fort de cette démarche que je ne cherche nullement à dissimuler, je reçois pourtant d'improbables demandes…
Ayant accepté gracieusement en dépit de ce que raconte un contempteur local plus haineux que bien informé, de conter pour une association liée au diocèse d'Orléans pour animer un repas offert à des déshérités, je me suis trouvé confronté à une proposition assez surprenante pour un mécréant notoire. Le diacre de l'église de ma paroisse me demanda si j'acceptais de venir dire le conte : « L'épicéa de Noël » lors de la veillée de la messe de la nativité.
Je me fais fort de ne jamais refuser une sollicitation surtout si elle sort du cadre habituel de mes animations. C'est ainsi que je me présente à des publics fort éloignés de mon univers mental sans que jamais il n'y eu problème et déception. Je sais ne pas provoquer sans pour autant me départir de mes convictions. Je ne pouvais qu'accepter une quémande qui honorait mon travail.
Le solliciteur souhaitait que les enfants présents dans l'église fussent mêlés au récit et que le terme d'Espérance soit la clef de voûte de ce conte pour une nuit sacrée s'il en est. Sans me trahir, j'ai trouvé les biais pour satisfaire à cette demande légitime tout en plaçant la Noël chrétienne dans la continuité de traditions plus anciennes. Le conte se plia ainsi à ces variables nécessaires pour le placer précisément la nuit de la naissance du Messie.
Conter dans une église pleine à craquer fut pour moi une surprise. Je n'imaginais pas pareille ferveur qui m'imposait de placer mon récit dans une certaine solennité. C'est donc après deux chants religieux qu'il me fut demandé d'intervenir. Je sortais de l'ombre d'un pilier pour surgir devant l'autel et le petit sapin installé au niveau des marches d'accès en déclamant sentencieusement …
« Il était une fois depuis bien plus loin qu'autrefois
Il était un avant au-delà d'auparavant
Il était un ailleurs fait de jours bien meilleurs
Il était un jadis dans une espérance en prémices
Il était un conte pour que je vous le raconte... »
L'espérance avait déjà trouvé son écho sans qu'elle soit pour l'heure imputée à l’événement qui regroupait tous les fidèles. Je plaçais mon récit à l'époque de l'occupation romaine que l'envahisseur avait brûlé en la nommant « Cenabum ». Dans un verger à l'écart de l'oppidum, un petit épicéa se morfondait parmi tous ces grands arbres fruitiers qui héritaient fréquemment des visites des enfants.
Le petit sapin se confia une nuit à des lutins qui décidèrent de le couvrir de fruits de toutes les couleurs qu'ils dérobèrent dans le verger voisin. (À ce moment-là des enfants se levèrent de leur place pour venir déposer des boules colorées dans le sapin nu devant l'autel). Au lendemain les enfants passant devant l'épicéa le remarquèrent enfin et vinrent chanter et faire la ronde devant lui avant que de manger ses offrandes. (Mes petits partenaires sont revenus reprendre les boules colorées avant que de s'éloigner). Puis à nouveau il fut délaissé…
La fin de l'automne fut froide. Le petit arbre se plaignait toujours amèrement du désintérêt des enfants auquel il ajoutait cette fois le froid qui le faisait grelotter. Il s'en plaignit une fois de plus aux lutins qui allèrent voler les écharpes colorées des gamins du voisinage pour couvrir leur ami. (Nouveau mouvement des enfants qui déposent leurs écharpes sur le petit arbuste). Au matin, la découverte des écharpes provoque l'afflux des enfants qui viennent récupérer leur bien.
Le 21 décembre arrive. L'épicéa ce jour-là reçoit des offrandes des gaulois qui célèbrent Yule, le solstice d'hiver devant cet arbuste symbole de l'enfantement et du prochain renouveau de la nature. - Nous sommes déjà à cette époque dans le thème de la nativité sous une autre forme – Puis les romains à leur tour célèbrent dans la cité leurs saturnales dont l'existence fixera pour l'église la date de la naissance de l'enfant Jésus.
Le petit épicéa est délaissé plus encore et s'en plaint amèrement à un lutin qui décroche une étoile dans le ciel pour la lui déposer à son faîtage. Les enfants découvrent ce prodige et reviennent vers l’arbuste pour le couvrir à nouveau des boules colorées et des écharpes. Le premier arbre de Noël venait de naître tandis qu'un lutin subrepticement décrocha l'étoile qu'il lança vers la voûte céleste afin que l'étoile des bergers guide douze jours plus tard, les rois mages vers l'enfant de l'espérance qui venait de naître cette nuit-là.
Le tour était joué, le conte avait rempli sa mission, mes petits collaborateurs s'en retournant à leurs places tandis que je me dissimulais derrière mon pilier. C'est alors que chose inattendue pour moi, les fidèles applaudirent chaleureusement. Je pouvais m'éclipser après avoir été remercié par les deux officiants, laissant les chrétiens célébrer leur messe.
Je venais de vivre une veillée d'âmes et j'avoue avoir été fortement impressionné par la ferveur qui entoura cette racontée théâtralisée. Je n'ai pu remercier tous les enfants qui se prêtèrent à cette petite animation qui supposa quelques minutes d'explications préalables sans que l'on puisse évoquer le terme de répétition. Ils s'en tirèrent fort bien et sont grandement responsables de la réussite de cette curieuse racontée. Encore merci à eux.
Le mécréant notoire s'en retournait à ses fourneaux, avec au cœur un peu de cette magie qui ne laisse jamais indifférent. Noël, Yule ou les Saturnales : qu'importe le nom qu'on donne à cette fête, elle s'inscrit pleinement dans la dimension sacrée d'un moment symbolique depuis la nuit des temps.
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