Comment Bien Vivre la Fin de ce Monde, Marc Welinski
Préoccupé par les risques d’effondrement systémiques pesant sur nos sociétés, Marc Welinski part en quête de réponses et de perspectives pour faire face à ses angoisses concernant le futur proche. Cet ouvrage présente ses entretiens avec diverses personnalités réfléchissant au futur. Certains passages ne sont pas sans rappeler l’ouvrage « Une autre fin du monde est possible » de Servigne, Chappelle et Stevens, mais on y rencontre aussi à de multiples reprises Teilhard de Chardin, Jung, Rilke, ou encore une interview de Guillemant dont nous avions évoqué le dernier ouvrage ici.
Il est en effet intéressant de voir se dessiner les liens entre les différents intervenants aux profils pourtant très variés. Un des éléments clé ressortant de ces entretiens concerne à mes yeux l’intégration de plus en plus évidente et nécessaire entre la raison et la spiritualité, ou pour le dire autrement, l’intégration des trois yeux de la connaissance tels que les décrits Ken Wilber, à savoir l’œil de chair (perceptions), l’œil de raison (connaissance, logique), et l’œil de contemplation (intuition, spiritualité). Il est en effet frappant de voir que les personnalités interviewées dotées d’une ouverture à la spiritualité développent des raisonnements assez rigoureux… Alors que certains d’entre eux, enferrés dans le paradigme scientiste, usent à l’excès d’un vocable religieux (‘je crois en la science’, ‘je crois en l’économie de marché’, ‘j’ai foi dans le progrès technologique…’) … Comme souvent à travers notre Odyssée, ce qui était l’aide à l’évolution (cf. raison/méthode scientifique) tend à devenir un obstacle en sa vision appauvrie (rationalisme/scientisme) …
Bien entendu, malgré cette limite, chaque personne interviewée délivre des idées intéressantes, et il est très stimulant de voir se succéder des visions du monde aussi différentes… Voici quelques notes prises au cours de ma lecture… J’ai noté la plupart de ces citations pour leur intérêt, mais aussi quelques-unes par dépit (celles suivies de la mention « Grrrr ! », commentaire issu de l’analyse intuitive spontanée provoquée par leur lecture !!! ).
Sophie Péters (psychothérapeute, animatrice médias) :
- « Le sens de la peur et de la colère est de nous inviter à nous mettre en mouvement. »
- « Mais, selon moi, être fort, avoir une véritable confiance en soi, c’est, au contraire, reconnaître notre interdépendance et accepter de ne plus tout contrôler. »
- Rainer Maria Rilke : « Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère. Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous êtes apportées parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les ‘vivre’. »
Franck Ferrand (historien, animateur médias) :
- John Locke : Dieu ne nous a fourni, pour comprendre les situations, qu’ « une lumière obscure et un simple crépuscule de probabilités. »
- « Nos dirigeants sont devenus des ‘présentistes’ acharnés, fanatiques, qui s’interdisent de voir les conséquences à long terme de leurs décisions. »
- Carl Gustav Jung : « Tout ce qui ne vient pas à la conscience, nous le rencontrons plus tard sous la forme du destin. »
- « L’espèce humaine pourrait être sauvée par un système d’autorégulation et par une élévation du niveau de conscience. »
Anne Dambricourt-Malassé (paléoanthropologue) :
- « Je refuse ce dogmatisme qui veut que notre évolution soit le résultat d’une simple loterie. C’est totalement démenti par l’étude scientifique rigoureuse et très précise que j’ai réalisée. »
- « Je constate qu’il y a un déterminisme, c’est-à-dire une logique interne de l’évolution qui commence par la formation des cellules sexuelles. C’est une mémoire de construction de la complexité qui a été transmise génération après génération par les cellules sexuelles elles-mêmes et non par des erreurs de copie de celles-ci. »
- « A notre stade, s’il n’y a pas, présentes à la naissance et dans l’enfance, l’éducation et la transmission d’une explication du sens des choses et de leur valeur, l’homme peut ne pas être humain. »
- « La complexité du cerveau a continué de croître chez tous les mammifères, mais la lignée humaine est exceptionnelle par le fait que c’est l’intégralité du système nerveux qui s’est complexifiée. »
Alain Minc (économiste, conseiller politique, essayiste) :
- « Ma génération n’a pas perçu l’importance de la question écologique. »
- « Je pense que le problème de l’eau est un problème que l’économie de marché, pour peu qu’elle soit tempérée par un peu de redistribution, parviendra d’elle-même à résoudre. » (Grrrr !)
- « Dans l’ensemble, le système universitaire apprend très bien à maîtriser le savoir à ceux qui n’auraient pas besoin qu’on le leur apprenne, mais pas aux autres. »
- « Le communisme, c’était une pensée dévoyée, certes, mais c’était une pétition de principe respectable. Le nazisme, ce n’est pas une pensée dévoyée, c’est l’application empirique d’une pétition de principe au départ détestable. »
Etienne Klein (physicien, philosophe des sciences) :
- « L’idée de l’origine du monde comme l’idée de la fin du monde au sens radical du terme sont proprement ‘impensables’, c’est-à-dire impossible à penser. »
- Francis Bacon : « Nous pensons aimer la vérité, mais en réalité nous avons tendance à déclarer vraies les idées que nous aimons. »
- David Flemming : « La propension d’une communauté à reconnaître l’existence d’un risque est déterminée par l’idée qu’elle se fait des solutions permettant de le réduire. »
- « Croire au progrès, c’est finalement accepter de sacrifier du présent personnel au nom d’un futur collectif. »
- « J’entends par humanisme l’idée que l’on appartient collectivement, quels que soient nos statuts sociaux et nos origines, au même destin global. »
- « Il faut penser le futur à partir des lois que nous connaissons. Au contraire de certains qui disent : on va trouver de nouvelles sources d’énergie, on va stocker l’électricité… »
- « Tu peux toujours tenir un discours en imaginant des solutions techniques qui violent les lois de la physique, mais ce ne sont que des phrases. »
- « Il est trompeur et abusif de parler de ‘production’ d’énergie, car cette expression laisse entendre que l’énergie pourrait émerger du néant, c’est-à-dire passer spontanément d’une valeur nulle à une valeur non nulle. »
- « En bref, consommer de l’énergie, ce n’est pas diminuer sa quantité : c’est dégrader la ‘qualité’ de l’énergie initialement disponible, autrement dit créer de l’entropie. »
- « Il n’y a pas d’énergie à proprement parler ‘renouvelable’, car ce n’est jamais l’énergie elle-même qui se renouvelle, seulement le processus physique dont on l’extrait ; par exemple le vent ou la captation de lumière provenant du soleil, deux phénomènes au demeurant intermittents. »
Marc Halévy (physicien, philosophe, écrivain) :
- « La pluie ne mouille pas les poissons. »
- « La peur est la seule question philosophique. »
- « L’évolution des systèmes complexes n’est jamais réversible et n’est jamais déterministe. »
- « Loin de l’équilibre (on parle alors de configuration chaotique), l’émergence d’une auto-organisation originale et inédite est aussi une solution possible pour dissiper les tensions devenues trop fortes. C’est cette notion de structure dissipative qui a valu à Ilya Prigogine son prix Nobel en 1977. »
- « Un système, c’est un vaste ensemble de composants et d’interactions. Lorsque les composants sont stables et les interactions faibles, on a affaire à un système dit mécanique ; lorsque les composants sont moins stables et que les interactions sont prépondérantes, on a affaire à un système complexe. En ce sens, l’Univers, pris comme un tout, est un système complexe. »
- « A notre échelle, la physique est dite mécanique, aux échelles cosmologiques, elle est dite relativiste et aux échelles nanoscopiques, la physique est dite quantique. Ces trois physiques constituent le paradigme classique. Face à lui, il y a la physique des systèmes et processus complexes qui n’est plus une physique qui considère que l’Univers est un ensemble de briques élémentaires qui interagissent par des forces élémentaires régies par des lois élémentaires ; cette physique complexe considère que tout est processus en construction et que toute construction est une réponse à une intention de plénitude, c’est-à-dire de minimisation de ces tensions qu’il s’agit de dissiper de façon optimale. »
- « Quand la viabilité d’un système est mise en danger – du fait des déséquilibres croissants – et que le chaos s’installe, ce système peut ‘inventer’ des solutions qu’on appelle des émergences, ou des bifurcations. »
- « Le système peut s’effondrer ou bifurquer. »
- « La durée de vie d’un paradigme est d’environ cinq cent cinquante ans. (…) Et le plus curieux, c’est que ces changements de paradigmes, ces bifurcations, se font de manière à peu près synchrone sur tous les continents : en Europe, en Inde et en Chine qui sont les trois bassins culturels que nous avons regardés de près. »
- « Il faut casser l’équation fausse de la modernité : le bonheur, ce n’est pas consommer. »
- « Il ne faut adopter, avec une parfaite frugalité, que les technologies qui sont porteuses d’une vraie valeur d’utilité. »
- « Nous sommes dans la systémique, dans l’interaction constante, et les nouvelles formes procèdent du frottement entre volonté et nécessité. »
- « Dans toute renaissance, il y a un conflit entre trois attitudes, trois types d’homme. Il y a celui qui s’installe dans le déni de réalité et qui veut perpétuer l’ancien paradigme ; c’est le conservateur. Il y a celui qui ose l’aventure du nouveau paradigme et qui veut (parce qu’il sait qu’il n’a pas le choix) construire le monde qui vient, le monde qui doit venir avec sa nouvelle logique profonde ; c’est le progressiste. Et il y a celui qui sent la fin de son monde, qui veut revenir à un paradis perdu, à un ‘bon vieux temps’ qui n’a jamais existé, et qui veut ressusciter des idéologies obsolètes ; c’est lé réactionnaire. »
- « La spiritualité c’est l’art de poser les bonnes questions, la religion celui d’apporter de mauvaises réponses. »
- « Je pense qu’il ne faut pas croire en Dieu : il faut vivre le Divin. »
- « L’Un, le Dieu, le Divin, le Réel, le Sacré… tous ces termes sont synonymes. Ils sont la source ultime et unique de toute matérialités, de toute vitalité et de toute spiritualité. »
- « La peur est à la racine du mal et de la violence et elle se guérit par la connaissance. »
Joël de Rosnay (scientifique, prospectiviste, écrivain) :
- Gramsci : « Je suis pessimiste par l’intelligence, mais optimiste par la volonté. »
- « Le cerveau humain est plus fait pour la survie que pour le bonheur. »
- « L’enjeu n’est pas d’être ‘surhumain’, mais d’être ‘encore plus humain’. C’est cette interconnexion des intelligences qui nous permettra d’envisager un futur souhaité plutôt qu’un futur imposé. »
Marc Luyckx Ghisi (ancien haut fonctionnaire, écrivain, théologien) :
- « J’avais eu des cours sur Platon dans ma jeunesse, mais j’ai pris conscience que je n’y avais rien compris et que mes profs n’y avaient rien compris non plus. »
- « Je sais et je sens que la Terre est vivante et qu’elle est en train de se réajuster. »
- « Le changement de paradigme, c’est une transformation intérieure et extérieure. »
- « Une civilisation n’a de sens que lorsqu’elle se donne un avenir. Or la société industrielle ne parvient pas à se donner un avenir durable. Donc, elle est morte. »
- « Tes enfants n’écoutent pas ce que tu dis, ils regardent ce que tu es. »
Isaac Getz (enseignant, conférencier, spécialiste de management) :
- « Si je prends, par exemple, la question de la disparition des abeilles, c’est évidemment une chose très triste, mais je pense que la technologie pourra remplacer la pollinisation naturelle. » (Grrrr !)
Frédéric Taddeï (journaliste, animateur médias) :
- Serge Rezvani à propos des juifs allemands : « Les pessimistes ont fini à New York, les optimistes à Auschwitz. »
Françoise Russo-Marie (médecin, biologiste) :
- « Moi je crois à l’économie, je crois au progrès, et je crois que c’est la seule solution pour nous en sortir. » (Grrrr !)
- « On a confiance en la science ou pas. » (Grrrr !)
Annick de Souzenelle (écrivaine, théologienne) :
- « Nous avons des racines ‘terre’, animales, et des racines ‘Ciel’ divines. »
- « Tout est divin, par conséquent les racines terrestres aussi. Mais coupées du divin, elles stérilisent tout. Dualiser, comme vous dites, le créé et l’incréé, c’est couper le pôle mâle archétypal du pôle femelle humain. »
- « La foi n’est pas un engagement intellectuel, c’est vraiment du vécu, de l’expérientiel. »
- « Il ne s’agit pas de lutter contre la peur, il s’agit d’aller à la rencontre de l’animal qu’est la peur et de le transformer. Cette transformation est une œuvre divino-humaine qui se joue sur l’autel du cœur. »
- « Toutes les traditions sont chacune une lumière née de la Lumière avec un grand L, diffractée en chacune d’elles. »
Catherine Bensaïd (psychiatre, psychothérapeute) :
- « Quand on ne pense plus, on n’a plus de sens moral, plus le sens de l’éthique, de la relation à l’autre. »
- « Plutôt que de pleurer sur ce qui va disparaître et a déjà disparu, sourire à ce qu’il nous est donné de vivre maintenant : ouvrir ses yeux et son cœur à d’autres sourires, demeurer dans l’élan du vivant, s’accorder au rythme des saisons. Voir ou est la lumière, l’espoir, la vie. Le vivant est toujours prêt à renaître : un amour, un projet, une musique, un regard, de l’amitié. »
- David Hockney : « La planète n’a pas besoin de gens qui réussissent. La planète a désespérément besoin de plus de faiseurs de paix, de guérisseurs, de conteurs d’histoires et de passionnés de toutes sortes. »
- « Avec quelqu’un qui t’écoute, tu deviens intelligent ; avec quelqu’un qui veut te prouver que tu es idiot, tu deviens stupide. »
- Rainer Maria Rilke : « Vous ne pourriez plus violemment troubler votre évolution qu’en dirigeant votre regard au dehors, qu’en attendant du dehors des réponses que seul votre sentiment le plus intime, à l’heure la plus silencieuse, saura vous donner. »
Michel Maffesoli (sociologue, écrivain) :
- « Les élites sont actuellement sur un schéma de fonctionnement complètement dépassé. C’est un schéma abstrait et rationnel, hérité des Lumières du XVIIIème siècle, et la péremption de ce schéma, le peuple le sent bien. »
- « Cette pandémie n’est pas plus grave voire moins que nombre d’épidémies infectieuses. C’est la perception qu’ont de la maladie nos sociétés moribondes qui en fait une crise sanitaire, une crise de civilisation. »
- « Je pense qu’on est dans un moment où le tragique, la mort, va revenir en force et que cette épidémie en est l’illustration. »
- « Je préfère le terme écosophique à celui d’écologique qui a en français une connotation trop politique. J’exprime par ce terme une sagesse qui nous conduit à nous soucier de la préservation de notre Terre, c’est-à-dire de notre ‘maison commune’. »
- « Les élites traditionnelles sont triplement condamnées parce qu’elles sont individualistes, rationalistes et progressistes. »
Philippe Guillemant (physicien, chercheur) :
- « Nous sommes des êtres spirituels incarnés dans une réalité matérielle, pour reprendre l’expression de Pierre Teilhard de Chardin. Nous avons une âme, autre mot très exotique dans la bouche d’un physicien. »
- « Je ne me fais pas de soucis pour les enfants. Il est normal qu’ils soient paumés, car même les adultes le sont. »
- « C’est avec l’utopie qu’on construit son meilleur futur, à condition d’y croire au fond de soi. Et même si les rêves que l’on peut avoir sur ce que l’on veut vivre dans le futur ne fonctionnent pas au niveau collectif, je peux te garantir qu’ils fonctionnent au niveau individuel. »
- « Dans la théorie de l’Univers-bloc, le temps, tel que nous l’imaginons, est une illusion : passé, présent et futur coexistent. »
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