Daniel Dravot, la duchesse de Montbazon, Julien Sorel, Talleyrand, ou la tête de l’emploi
Du bon usage de la tête de mort dans le récit.
Crâne recouvert d’une mosaïque de pierres semi-précieuses (Mexique )
« Tout condamné à mort aura la tête tranchée » : alexandrin capital, que les Cours d’Assises et certains Tribunaux ont récité avec autorité pendant des années, avant qu’il disparaisse du Code Pénal, que le bourreau prenne une retraite définitive et sans descendance, et que sa machine rejoigne les musées.
Salomé, sur les injonctions d’Hérodiade, sa mère, avait demandé la tête de Jean-Baptiste, qui lui fut servie sur un plateau. Judith procéda elle-même à la décapitation d’Holopherne. Le thème de La tête des autres fut exploré par Marcel Aymé. Dans Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France, Prévert écrit une féroce charge anarcho-surréalisto-libertaire contre « ceux qui donnent des enfants aux canons et des canons aux enfants ».
D’autres têtes historiques ou romanesques ont connu des parcours divers et mouvementés.
Celle de Daniel Dravot, par exemple, l’un des protagonistes du récit de R. Kipling qui narre les aventures de L’homme qui voulut être roi du Kafiristan et fut supplicié lorsque son statut de banal mortel fut découvert :
« Il fouilla dans l’épaisseur des loques qui entouraient sa taille
tordue, retira un sac de crin noir brodé de fil d’argent, et en
secoua sur la
Le soleil
frappa la
de même
que Carnehan plaça tendrement sur les tempes blêmies. »
Aux antipodes de l’auteur du Livre de la jungle, de Kim, des Histoires comme ça, de Moogli, de Baloo, de l’enfant d’éléphant, Stendhal. Lui aussi fasciné par une tête, celle de Julien Sorel. Le Rouge et le Noir se clôt sur la scène hallucinée où Mathilde de La Mole, après l’exécution de son amant, rencontre Fouqué :
« Ses mains tremblantes ouvrirent le manteau. Fouqué détourna
les yeux.
Il entendit Mathilde marcher avec précipitation dans la
chambre. Elle allumait plusieurs bougies. Lorsque Fouqué eut
la force de la regarder, elle avait placé sur une petite table de
marbre, devant elle, la tête de Julien et la baisait au front. »
Le confesseur de Chateaubriand donna à son illustre pénitent un curieux travail en émission de ses péchés, à savoir la rédaction d’une biographie du réformateur de la Trappe, Dom Armand-Jean Le Bouthilier de Rancé. Le vicomte exécuta l’ordre de l’abbé Seguin, prêtre de St-Sulpice, qui vivait 16, rue Servandoni, « dans une antichambre sans meubles où il n’y avait qu’un chat jaune qui dormait sur une chaise ». La Vie de Rancé fut son ultime ouvrage.
Pour Chateaubriand, un évènement tragique amena Rancé à quitter sans retour une vie libertine et à se retirer de la société pour se vouer à la rénovation de la Trappe : la mort de son amie, la duchesse de Montbazon, et, plus précisément, les conditions dans lesquelles il en prit connaissance.
Schopenhauer les décrit ainsi : « Sa ( Rancé) jeunesse avait été consacrée au plaisir et à la volupté ; il était en dernier lieu en relations amoureuses avec Mme de Montbazon. Un soir qu’il venait lui rendre visite, il trouva sa chambre vide, en désordre et obscure. Il heurta du pied quelquechose ; c’était la tête de la duchesse morte subitement qu’on avait dû séparer du tronc pour faire entrer le corps dans le cercueil de plomb placé à côté. »
Revenons à Chateaubriand qui considère que cet évènement est le point de basculement de la vie de Rancé, tout comme le chemin de Damas pour l’apôtre Paul,et que la tête de la duchesse est un singulier mémorial :
« On prétend qu’on montrait à la Trappe la tête de Mme de Monbazon dans la chambre des successeurs de Rancé, ce que les solitaires de la Trappe rejettent...
On trouve ce passage dans le récit des courses du Chevalier de Bertin : « Nous voici maintenant à Anet. La petite statue de Diane de Poitiers en pied n’est point sans doute aussi intéressante que la tête de Mme de Montbazon apportée à la Trappe par l’abbé de Rancé et conservée dans la chambre de ses successeurs. »
A cette époque, on appréciait les « vanités », illustrations du memento mori.
Et Talleyrand, « de la merde dans un bas de soie », qui fut contemporain de Chateaubriand ?
Dans une sorte de journal, intitulé Choses vues, Victor Hugo rend compte, le 19 mai 1838, d’un décès survenu le 17 : celui de Talleyrand, et prononce une forme d’oraison funèbre :
« Eh bien ! avant hier..., cet homme est mort. Des médecins sont venus et ont embaumé le cadavre. Pour cela, à la manière des Egyptiens, ils ont retiré les entrailles du ventre et le cerveau du crâne. La chose faite, après avoir transformé le prince de Talleyrand en momie et cloué cette momie dans une bière tapissée de satin blanc, ils se sont retirés, laissant sur une table la cervelle, cette cervelle qui avait pensé tant de choses, inspiré tant d’hommes, construit tant d’édifices, conduit deux révolutions, trompé vingt rois ,contenu le monde.
Les médecins partis, un valet est entré, il a vu ce qu’ils avaient laissé : Tiens ! Ils ont oublié cela. Qu’en faire ? Il s’est souvenu qu’il y avait un égout dans la rue, y est allé et a jeté ce cerveau dans cet égout.
Finis rerum. »,
Quelle chute, quelle fin ! Moins glorieuses à tout prendre que celle des têtes de Dravot et de Sorel, porteurs l’un et l’autre d’un projet faustien et de celle de la duchesse qui accompagna Rancé dans l’accomplissement de sa mission.
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