Du blasphème, du rire, du sexe...
Les religions monothéistes ont en commun de diaboliser le rire et le sexe, et surtout le rire des hommes et le sexe des femmes. S’emparant de ces sujets diaboliques, les religions parviennent à produire de curieux objets de vénération. En témoignent, dans une religion, l’ambiguïté des paroles de certains cantiques quand elles sont mises dans la bouche des femmes ; dans une autre, la position suggestive du corps des hommes quand ils se prosternent pour prier.
En ce moment où l’on s’interroge gravement sur les libertés d’expression, d’impression, de répression, d’oppression, voire de suppression, il n’est pas déplacé de rappeler à la mémoire de nos contemporains le nom d’Octave Mirbeau. Ainsi, j’ai adapté sous forme dialoguée un passage de son Journal d’une femme de chambre (1900) qui n’est pas dans le film qu’en a tiré Buñuel (avec Jeanne Moreau en 1964). Les puristes reconnaîtront les mots de Mirbeau dans la première partie qui est déjà assez dialoguée et me pardonneront, j’espère, la façon dont j’ai dialogué la suite qui ne l’était pas.
Le prêtre s’adresse au public comme à une salle de classe.
- Et la pluie ?... Savez-vous bien ce que c’est que la pluie... d’où elle vient... et qui la fabrique ? Les savants d’aujourd’hui vous diront que la pluie est une condensation de vapeur... Ils vous diront ceci et cela... Ils mentent... Ce sont d’affreux hérétiques... des suppôts du diable... La pluie, mes enfants, c’est la colère de Dieu... Dieu n ’est pas content de vos parents qui, depuis des années, s’abstiennent de suivre les Rogations... Alors, il s’est dit : « Ah ! vous laissez le bon curé se morfondre tout seul avec son bedeau et ses chantres sur les routes et dans les sentes. Bon... bon !... Gare à vos récoltes, sacripants !... »Et il ordonne à la pluie de tomber... Voilà ce que c’est que la pluie... Si vos parents étaient de fidèles chrétiens, s’ils observaient leurs devoirs religieux... il ne pleuvrait jamais...
Irruption de soeur Angèle. Plus pâle encore que de coutume et toute bouleversée. Sur le serre-tête blanc, défait, sa cornette avait légèrement glissé, et les deux grandes ailes battaient, effrayées et désunies. Elle aperçoit le public. Son premier mouvement est de rétrograder, mais le prêtre s’avance à sa rencontre, les lèvres tordues et les yeux inquiets.
Sœur Angèle : Renvoyez ces enfants, tout de suite... Tout de suite... J’ai à vous parler...
Le prêtre : Oh... mon Dieu !... Que se passe-t-il donc ?... Hein ?... Quoi ?... vous êtes tout émue...
Sœur Angèle : Renvoyez ces enfants... répéta soeur Angèle... Il se passe des choses graves... très graves... trop graves.
Le prêtre, se tournant vers le public : Je vais devoir vous demander de sortir.
Puis vers sœur Angèle : C'est-à-dire... Ils ont quand même payé leur place, les pauvres.
Se retournant vers le public : Vous pouvez rester, mais c’est à vos risques et périls.
Puis à sœur Angèle, d’une voix saccadée : Vite... ma soeur... parlez... Vous m’effrayez... Qu’est-ce qu’il y a ?
Sœur Angèle : Il y a que, tout à l’heure, passant dans la venelle... j’ai vu, sur votre église... un homme tout nu !...
Le prêtre ouvre, en grimace, sa bouche qui demeure béante et toute convulsée...puis bégaie : Un homme tout nu ?... Vous avez, ma soeur, vu... sur mon église... un homme... tout nu ? ...Sur mon église ?... Vous êtes sûre ?...
Sœur Angèle : Je l’ai vu...
Le prêtre : Il s’est trouvé, dans ma paroisse, un paroissien assez éhonté... assez charnel... pour se promener, tout nu, sur mon église ?... Mais, c’est incroyable !... Ah ! ah ! ah /...Son visage s’empourpre de colère ; sa gorge contractée râpe les mots : Tout nu, sur mon église ?... Oh !... Mais, dans quel siècle vivons-nous ?... Et que faisait-il, tout nu, sur mon église ?... Il forniquait, peut-être ?... II...
Sœur Angèle : Vous ne me comprenez pas... interrompit soeur Angèle... Je n’ai pas dit que cet homme tout nu fût un paroissien...puisqu ’il est en pierre...
Le prêtre : Comment ?... Il est en pierre ?... Mais, alors, ce n’est plus la même chose, ma soeur... Soulagé par cette rectification, il respire bruyamment : Ah ! quelle peur j’ai eue !
Soeur Angèle, agressive. Voix sifflante : Alors... tout est bien... Et vous le trouvez moins nu, sans doute, parce qu’il est en pierre ?
Le prêtre : Je ne dis pas cela... Mais enfin, ce n’est plus la même chose...
Sœur Angèle : Et si je vous affirmais que cet homme en pierre est plus nu que vous le croyez... qu’il montre une... un... un instrument d’impureté... une chose horrible... énorme... une chose monstrueuse qui pointe ? ...Ah ! tenez, monsieur le Curé, ne me faites pas dire de saletés... Elle se lève.
Le prêtre atterré, balbutiant : Oh, vraiment ?... Une chose énorme... qui pointe... Oui ! oui !... C’est inconcevable ...Mais, c’est très vilain, ça, ma soeur... Et vous êtes certaine ...bien certaine... d’avoir vu... cette chose, énorme... pointer ?... Vous ne vous trompez pas ?... Ce n’est pas une plaisanterie ? ...Oh ! c’est inconcevable...
Soeur Angèle, frappant le sol du pied : Et, depuis des siècles qu’elle est là... souillant votre église...vous ne vous êtes aperçu de rien ?... Et il faut que ce soit moi, une femme... moi, une religieuse... moi qui ai fait vœu de chasteté... il faut que ce soit moi qui dénonce ce... cette abomination... et qui vienne vous crier : « Monsieur le Doyen, le diable est dans votre église »
Le prêtre reprenant ses esprits, d’un ton résolu : Nous ne pouvons tolérer un tel scandale... Il faut terrasser le diable... Et je m’en charge... Revenez à minuit... quand tout le monde dormira à Port- Lançon... Vous me guiderez... Je vais prévenir le sacristain, afin qu’il se procure une échelle...Est-ce très haut ?...
Soeur Angèle : C’est très haut...
Le prêtre : Et vous saurez bien retrouver la place, ma soeur ?
Soeur Angèle : Je la retrouverais, les yeux fermés... A minuit donc, monsieur le curé !
Le prêtre : Et que Dieu soit avec vous, ma soeur !...
2eme TABLEAU
La scène est noire. Le prêtre sur un escabeau. Sœur Angèle à ses pieds.
Soeur Angèle : C’est là...
Le prêtre, armé d’un marteau, d’un ciseau à froid et d’une lanterne sourde : Ab omnipeccato.
Soeur Angèle : Libera nos, Domine.
Le prêtre : Ab insidiis diaboli.
Soeur Angèle : Libera nos, Domine.
Le prêtre : A spiritu fornicationis.
Soeur Angèle : Libera nos, Domine. C’est là... A votre gauche, monsieur le curé... Agnus Dei, qui tollis peccata mundi.
Le prêtre : Exaudi nos, Domine. Il pousse un cri.
Soeur Angèle : Mater purissima... Mater castissima... Mater inviolata...
Le prêtre : Ah ! le cochon !... le cochon !... Il brandit son marteau. Bruits de coup, puis bruit de chute.
Soeur Angèle : Mon Dieu, monsieur le curé, la chose a chu dans la venelle.
Le prêtre : Comme Lucifer a chu dans les flammes de l‘enfer, sœur Angèle.
3eme TABLEAU
Une à deux semaines plus tard, deux paroissiennes en pleine discussion passionnée.
La première : Donc, ma chère, au début du mois, un mardi matin, je crois, en sortant de l’église...
La deuxième : Après la messe de 7 heures ?
La première : Oui, la messe de 7 heures... je trouve au pied du mur, près de la porte poterne...
La deuxième : Dans la venelle ?
La première : Oui... une pierre d’une forme insolite et d’un aspect bizarre, comme en ont, parfois, certaines reliques dans les reliquaires...
La deuxième : Ah oui... vous me l’avez montrée... Et vous m’avez dit que vous aviez trouvé une relique...
La première : Oui, c’est ce que je vous ai dit.... une sainte, étrange et précieuse relique... une relique pétrifiée dans quelque source miraculeuse... Les voies de Dieu sont tellement mystérieuses !
La deuxième : Et vous m’avez dit que vous aviez d’abord voulu l’offrir...
La première : ...à monsieur le curé, oui...
La deuxième : C’était une belle attention, ça. Il aurait été touché...
La première : Mais j’ai pensé que cette relique serait une protection pour ma maison... qu’elle en éloignerait le malheur et le péché
La deuxième : Ah ça, vous avez mille fois raison... Moi-même...
La première : Je l’ai disposée sur une table, parée d’une nappe blanche, sur un coussin de velours rouge avec des glands d’or...
La deuxième : C’est là que vous me l’avez montrée. Un bien bel objet... Et vous avez beaucoup dégoût...
La première : Merci. J’ai couvert le tout d’un globe de verre aussitôt flanqué de deux vases pleins de fleurs artificielles...
La deuxième : C’est une bonne idée, ça, les fleurs artificielles
La première : Je me suis agenouillée tous les soirs devant cet autel improvisé...
La deuxième : Vous avez beaucoup de religion ... et de sens pratique...
La première : J’ai la faiblesse de le croire, pauvre pécheresse que je suis.
La deuxième : Et vous avez invoqué, avec ardeur, le saint inconnu et admirable à qui avait appartenu, en des temps probablement très anciens cet objet profane et purifié...
La première : Oui. Tous les soirs... puis plusieurs fois par jour...
La deuxième : J’aurais fait pareil, savez-vous ?
La première : ... puis j’ai fini par me sentir troublée...
La deuxième : ... Des préoccupations d’une précision trop humaine, peut-être ?
La première : C’est cela, chère amie... Des préoccupations qui se mêlèrent à la ferveur de mes prières... à la joie pure de mes extases...
La deuxième : Peut-être même des doutes ?
La première : Oui... des doutes... terribles et lancinants qui s’insinuèrent en mon âme...
La deuxième : Oui, oui, oui, oui... dans votre âme !
La première : Je me dirais... Est-ce bien, là, une sainte relique ?
La deuxième : J’aurais aimé être à votre place !
La première : Je ne pouvais m’empêcher de penser à d’obscures impuretés...
La deuxième : J’aurais fait pareil, savez-vous ?
La première : Mais vous n’étiez pas à ma place !
La deuxième : Tout de même, ça devait être un bien bel homme !...
La première : Et moi qui l’ai embrassée tant de fois !...
La deuxième, chantonnant : « Dans les jours où l’épreuve Déborde comme un fleuve…[i]
https://www.youtube.com/watch?v=HcUfgz10rYA
https://www.youtube.com/watch?v=zmd5jTpHH8c
[i] Mon Dieu, plus près de toi,
Plus près de toi !
C’est le cri de ma foi Plus près de toi !
Dans les jours où l’épreuve
Déborde comme un fleuve,
Tiens-moi plus près de toi,
Plus près de toi !
Plus près de toi, Seigneur
Plus près de toi !
Tiens-moi dans ma douleur
Tout près de toi !
Alors que la souffranceFait son oeuvre en silence,
Toujours plus près de toi,
Seigneur, tiens-moi !
Plus près de toi, toujours,
Plus près de toi !
Donne-moi ton secours,
Soutiens ma foi !
Que Satan se déchaîne,
Ton amour me ramène
Toujours plus près de toi,
Plus près de toi !
Mon Dieu, plus près de toi,
Dans le désert
J’ai vu plus près de toi
Ton ciel ouvert
Pèlerin, bon courage !
Ton chant brave l’orage
Mon Dieu plus près de toi,
Plus près de toi !
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