La conduite des hommes dans une période de mutations
Lorsque j’ai débuté dans le monde du travail, il y a une quarantaine d’années, on parlait encore de cadences infernales et la souffrance au travail relevait surtout de la pénibilité physique. Mais à l’époque les salariés ne se suicidaient pas pour raisons professionnelles, ils n’avaient pas à retourner l’agressivité contre eux. Le sentiment d’appartenance à un groupe n’était pas qu’un slogan : les notions de collectif, de solidarité étaient présentes.
Cela ne signifie pas pour autant que les risques psychosociaux n'existaient pas. Dailleurs, dans les années trente on évoquait déjà la « charge mentale » et dans celles cinquante on parlait de « psychopathologies du travail ». Mais si les conditions matérielles de travail étaient éprouvantes l'ambiance, elle, restait plutôt « amicale ». Il y avait le soutien des collègues, on ne souffrait pas seul.
De son coté, le patron, que le plus souvent on connaissait, tenait sa place et c’est d’ailleurs contre lui qu’à l’occasion on retournait l’agressivité.
Dans une organisation aux structures et missions bien repérées, l’opérateur, l’agent de maîtrise, le cadre étaient clairement positionnés. Les salariés bénéficiaient d’un environnement sécurisant, ils se sentaient partie intégrante de l’entreprise avec laquelle ils partageaient véritablement un « projet commun ». On ne parlait pas d’employabilité mais le professionnalisme constituait la plus sûre des références alors que ce que l’on appelle aujourd’hui la mobilité ne concernait tout au plus quelques uns. Enfin, les syndicats de l’époque avaient les moyens de défendre leurs salariés.
Depuis un quart de siècle les bouleversements n’ont fait que se succéder.
C’est à partir de 1981, sous l’impulsion de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, que le monde anglo-saxon du travail a ouvert le feu sur ses propres salariés. Alors qu’en France le naufrage de la sidérurgie, vers le milieu des années quatre-vingt, marquait le début des restructurations.
De transformations permanentes en changements incessants, le monde de l’entreprise s’est progressivement installé dans un management officiellement présenté comme innovant et souple, mais en réalité ultralibéral et dur. Un management fondé sur la rapacité au gain et l’individualisation des résultats à l’aide de techniques et façons de faire qui allaient casser tout sentiment collectif. Le soutien que constituait le collectif de travail s’est vite délité de sorte que les managers eux-mêmes n’ont pas été épargnés. Tout a été fait pour renforcer l’individualisme dans le travail. Aussi ne faut-il pas s’étonner de le retrouver aujourd’hui dans la société entière.
Des millions de salariés doivent maintenant faire face à un paradoxe peu ordinaire qui consiste à vivre la solitude au travail alors que le discours officiel continu à prôner l’« esprit maison », le « sentiment d’appartenance », les vertus du « travail de groupe » et celles de la « synergie fédératrice ». Du coup tous, y compris ceux des employés qui caresseraient sincèrement quelque ambition individualiste, s’en trouvent perturbés.
Un trouble que l’on comprend facilement dès que l’on considère que, quel que soit le domaine dans lequel on exerce, quel que soit le niveau de responsabilité que l’on tient, quel que soient l’âge et l’ancienneté que l’on ait, lorsque durant des années le discours officiel prône systématiquement l’inverse de ce que l’on vit sur le terrain, la confiance ne peut que s’effriter et le virage pathologique ne peut qu’approcher.
Et pourtant, non ! le surstress au travail et ses conséquences parfois dramatiques ne sont pas une fatalité.
Si autant de souffrance, si autant de drames se jouent maintenant dans le travail, c’est à une volonté politique appuyée sur une petite demi-douzaine de façons de faire managériales que nous le devons : la Religion de la mobilité, la Fabrique à stress, la Réingénierie, l’Empowerment et la Rémunération variable.
Des modes de fonctionnement que mon ouvrage Encadrer une équipe : La conduite des hommes dans une période de mutations, édité à la Chronique Sociale, s’appliquer à débusquer pour mieux les combattre. Après quoi je propose, dans une deuxième partie, des techniques pour aider à redresser la barre. Avec notamment le kit complet d’animation d’une formation à la Conduite des hommes.
Alain Astouric
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