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Accueil du site > Culture & Loisirs > Extraits d’ouvrages > La crise du Grand Jeu de Marc Thivolet

La crise du Grand Jeu de Marc Thivolet

Les éditions Arma Artis publient La crise du Grand Jeu de Marc Thivolet.

Le groupe dit du Grand Jeu s’est construit autour de René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte, condisciples au lycée de Reims. Ce mouvement, car il s’agit bien d’un mouvement, dont l’énergie s’est épuisée dans la dynamique de la spirale, a eu une assez brève durée de vie : 1924-1934 (la revue Le Grand Jeu n’ayant connu que trois numéros, de 1928 à 1932). Né durant les années « incendiaires » du surréalisme, ce groupe, constitué de jeunes gens (Maurice Henry, Pierre Minet, Luc Dietrish, André Delons, Roger Vailland, Roland de Renéville, le peintre Josef Sima... et en lisière, Carlo Suares) s’est distingué par une implication absolue dans la recherche des états modifiés de la conscience. Ces investigations donneront naissance à un texte marquant, signé René Daumal : L’expérience fondamentale. Dans ce texte, René Daumal relate son expérience pour parvenir au point limite de la vie et de la mort. Pour ce faire, il inhale du tétrachlorure de carbone utilisé pour tuer les insectes. Par la suite, Daumal rejoindra les groupes Gurdjieff. De son côté, Roger Gilbert-Lecomte, davantage poète inspiré que théoricien, se laissera « déporter » vers les drogues. Il écrira sur ce sujet M. Morphée empoisonneur public, qui traite du rôle de la drogue, et des interdits moraux et sociaux qui veulent en régenter l’usage. « L’ horrible révélation la seule » sera l’un de ses autres textes, où la vision de notre civilisation se heurte au récif de l’innommable...

Dans son essai, Marc Thivolet (légataire testamentaire de l’œuvre de Carlo Suares et qui a, entre autres, dirigé le Cahier de l’Herne Le Grand Jeu de 1968), s’écarte des sempiternels ratiocinages de la fameuse réunion de la rue du Château (qui mit un terme à un rapprochement entre le surréalisme et le Grand Jeu) pour nous faire pénétrer dans les zones d’ombre de ce mouvement. L’auteur nous invite à en explorer les ramifications les plus subtiles. Les questions soulevées par Marc Thivolet interrogent aussi le lecteur sur la portée réelle de sa présence au monde. Son propos principal n’est pas d’apporter des réponses ayant un caractère définitif - échappant ainsi au piège du psychologisme qui ne saurait éclairer suffisamment la portée de cette aventure extrême. Comme il le souligne lui-même dans son texte d’ouverture : « Il importait d’épuiser ce que le Grand Jeu avait de déterminé et qui faisait obstacle à lui-même dans le ressassement de ses figures. Le Grand Jeu, en tant que mouvement constitué, était une hypothèque prise sur le Grand Jeu - hypothèque qu’il importait de lever en tentant d’identifier les figures qui le hantaient. Il fallait rendre le Grand Jeu à son inexpérience fondamentale. »
Comment exprimer des vérités lorsque Daumal et Gilbert-Lecomte se sont impliqués en totalité dans cette expérience, jusqu’au péril de leur, vie afin de toucher une hypothétique Vérité, une et essentielle ? René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte (morts tous les deux à 36 ans), les deux faces d’une même médaille de feu que Marc Thivolet explore avec la distance et la prudence propres à tout auteur sincère, et sincèrement impliqué.
Un livre à lire et à méditer...

Éditions Arma Artis


Moyenne des avis sur cet article :  3.56/5   (36 votes)




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2 réactions à cet article    


  • Marsupilami (---.---.221.101) 9 mai 2006 11:30

    Ouaf !

    Excellent, le Grand Jeu. Merci de rappeler son existence...

    Houba houba !


    • Damien-Guillaume Audollent (---.---.112.221) 10 mai 2006 03:03

      Comme cet article, et le livre qu’il présente, chauffent le coeur ! Zeno Bianu, Michel Camus, Marc Thivolet, Fabrice Pascaud et quelques autres : qu’il est bon de lire ça et là, grâce à vous, que la braise du Grand Jeu couve encore, sous la cendre dont notre modernité a un furieux goût !

      Contre toutes les doxa et tous les pouvoirs en place - il a notamment été l’un des rares à oser, dès la fin des années 1920, affronter André Breton sur le terrain des arguments et non sur celui des invectives -, le Grand Jeu n’a eu de cesse, en sa fulgurance, de transcender les clivages traditionnels et artificiels qui voudraient opposer l’art à la vie, la réflexion à l’action, le sujet à l’objet.

      Ainsi que Daumal l’écrit dans un projet de présentation du Grand Jeu, celui-ci « exige une Révolution de la Réalité vers sa source, mortelle pour toutes les organisations protectrices des formes dégradées et contradictoires de l’être ; il est donc l’ennemi naturel des Patries, des États impérialistes, des classes régnantes, des Religions, des Sorbonnes, des Académies. »

      Nous exhortant au seul combat valable - celui qui vise à échapper à la chosification de l’homme par sa propre peur et sa propre force d’inertie -, Daumal met au feu notre literie moelleuse et toute la « boutique de confiserie de belles paroles » où nous sommes englués.

      Je me veux chaque jour plus beau, plus juste et plus vrai que je ne suis, et je me vois chaque nuit plus laid, plus erratique et plus faux que je ne suis. « Tu t’es toujours trompé », répond Daumal, en invitant chacun à jeter bas l’ego qui consomme pour se hausser vers le Soi qui consume. De jour comme de nuit, il s’agit d’ouvrir les yeux, tout simplement. « Rien ne va plus, faites le Grand Jeu », comme dit Bianu.

      Dès lors, être heureux ? La belle affaire, quand il s’agirait, se dessillant, de se décider à être. À tout prix : c’est-à-dire, très exactement, au prix de tout, et d’abord de soi-même. De son confort, aussi précaire soit-il ; de ses attentes, aussi modestes soient-elles ; de ses prétextes, aussi raisonnables soient-ils. De la paix conclue toujours trop hâtivement avec soi-même au détriment de Soi. L’histoire de ce dessillement, c’est celle d’une lutte sans merci ni faux-semblants, allumée par Daumal :

      « Voyez la jolie paix qu’on me propose. Fermer les yeux pour ne pas voir le crime. S’agiter du matin au soir pour ne pas voir la mort toujours béante. Se croire victorieux avant d’avoir lutté. Paix de mensonges ! S’accommoder de ses lâchetés, puisque tout le monde s’en accommode. Paix de vaincus ! Un peu de crasse, un peu d’ivrognerie, un peu de blasphème, sous des mots d’esprit, un peu de mascarade, dont on fait vertu, un peu de paresse et de rêverie, et même beaucoup si l’on est artiste, un peu de tout cela, avec, autour, toute une boutique de confiserie de belles paroles, voilà la paix qu’on me propose. Paix de vendus ! Et pour sauvegarder cette paix honteuse, on ferait tout, on ferait la guerre à son semblable. Car il existe une vieille et sûre recette pour conserver toujours la paix en soi : c’est d’accuser toujours les autres. Paix de trahison ! » Ce bouleversant poème dont on ne ressort pas indemne, « La Guerre sainte », a été écrit au printemps 1940 - la date n’est pas anodine.

      Voilà l’urgence qui nous pousse à relire Daumal aujourd’hui, plus de soixante ans après sa disparition. Dans le fracas des cris de haine et des armes de déraison massive, alors que de sordides conflits, présentés comme saints ou civilisateurs, défigurent notre quotidien, il nous propose, pour en finir avec notre lâcheté belliqueuse, de commencer par porter le fer en nous-mêmes, plutôt que vers l’autre. Suggestion sans doute irrecevable, dans notre monde d’individualisme triomphant, d’autojustification permanente et de bouc-émissarisation galopante ; et pourtant sursaut nécessaire, si l’on veut sortir de ce cauchemar où l’on s’entretue à poings fermés - tant il est vrai que l’éveil est la seule révolte authentique.

      Merdre !

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