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La théorie kantienne du schématisme des concepts purs de l’entendement

La théorie kantienne du schématisme des concepts purs de l'entendement

La théorie kantienne du schématisme des concepts purs de l'entendement

Critique de la raison pure/Partie 2/Division 1/Livre 2/Chapitre 1 - Wikisource

Le schème n'est toujours par lui-même qu'un produit de l'imagination ; mais, comme la synthèse de cette faculté n'a pour but aucune intuition particulière, mais seulement l'unité dans la ...

https://fr.wikisource.org/wiki/Critique_de_la_raison_pure/Partie_2/Division_1/Livre_2/Chapitre_1

La Critique de la raison pure, en allemand, Kritik der reinen Vernunft, est une œuvre d'Emmanuel Kant, publiée en 1781 et remaniée en 1787. Elle est considérée comme son œuvre majeure, la plus lue, peut-être la plus difficile, commentée, étudiée et la plus influente. Incomprise à son origine, elle donna rapidement prise à une littérature de controverse. Après la première parution, Kant continua à tenter de clarifier la problématique qui la portait, celle des limites de la raison. Elle donna lieu notamment, à un autre ouvrage intitulé Les Prolégomènes à toute métaphysique future, ce qui lui permit de mener à bien une refonte de son maître ouvrage dans une seconde édition, enrichie d'une nouvelle préface, en 1787.

Emmanuel Kant, Critique de la Raison pure, analytique des principes, chapitre premier, du schématisme des concepts purs de l'entendement (source : wikisource), le début du texte :

"Dans toute subsomption d'un objet sous un concept la représentation du premier doit être homogène à celle du second, c'est-à-dire que le concept doit renfermer ce qui est représenté dans l'objet à y subsumer. C'est en effet ce que l'on exprime en disant qu'un objet est renfermé dans un concept. Ainsi le concept empirique d'une assiette a quelque chose d'homogène avec le concept purement géométrique d'un cercle, puisque la forme ronde qui est pensée dans le premier est perceptible dans le second.

Or les concepts purs de l'entendement comparés aux intuitions empiriques (ou même en général sensibles), sont tout à fait hétérogènes, et ne sauraient jamais se trouver dans quelque intuition. Comment donc la subsomption de ces intuitions sous ces concepts et par conséquent l' application des catégories aux phénomènes est-elle possible, puisque personne ne saurait dire que telle catégorie, par exemple la causalité, peut être perçue par les sens et qu'elle est renfermée dans le phénomène ? C'est cette question si naturelle et si importante qui fait qu'une doctrine transcendantale du jugement est nécessaire pour expliquer comment des concepts purs de l'entendement peuvent s'appliquer en général à des phénomènes. Dans toutes les autres sciences, où les concepts par lesquels l'objet est pensé d'une manière générale ne sont pas si essentiellement différents de ceux qui représentent cet objet in concreto tel qu'il est donné, il n'est besoin d'aucune explication particulière touchant l'application des premiers aux derniers.

Or il est évident qu'il doit y avoir un troisième terme qui soit homogène, d'un côté, à la catégorie, et de l'autre, au phénomène, et qui rende possible l'application de la première au second. Cette représentation intermédiaire doit être pure (sans aucun élément empirique), et pourtant il faut qu'elle soit d'un côté intellectuelle, et de l'autre, sensible. Tel est le schème transcendantal."

Faisons d'abord un petit détour par le Lalande :

Schématisme : ce mot n'est usuel en français que pour traduire ou mentionner ce que Kant a nommé dans la Critique de la Raison pure, "Schematismus der reiner Verstandesbegriffe", schématisme des concepts purs de l'entendement. Il consiste dans la fonction intellectuelle par laquelle les concepts purs de l'entendement, inapplicables par eux-mêmes et directement à des objets d'expérience (par exemple le concept de causalité), sont remplacés dans cet usage par des schèmes qui permettent cette application. (Vocabulaire technique et critique de la philosophie sous la direction d'André Lalande, PUF, 1972)

(Remarque : le schématisme relève d'une fonction intermédiaire entre l'entendement et la sensibilité : l'imagination)

Remarque de Jules Lachelier : "Kant, dans La Critique de la Raison pure, n'avait à s'occuper que des "schèmes transcendantaux" : mais sa pensée, formellement exprimée dans le paragraphe qui commence par "In der That liegen unsern reinen sinnlichen Begriffen..." est bien que les concepts géométriques et même les concepts purement empiriques, comme celui de "chien", ont aussi leur schème, seul moyen pour nous de penser, sous un concept général, quelque chose qui ne soit pas particulier, de donner à un concept un contenu qui lui soit adéquat.

"Il serait bon de réserver le mot "schéma" pour le dessin, la figure schématique et le mot "schème" pour la règle que nous suivons en traçant cette figure et qui existe à l'état de pure tendance dans notre imagination."

Schème : Au sens kantien, schème transcendantal : représentation intermédiaire, homogène, d'une part au concept pur, en ce qu'elle ne contient rien d'empirique ; de l'autre aux perceptions, en ce qu'elle appartient à l'ordre du sensible, et qui, par suite, permet la subsomption indirecte des perceptions ou des images sous les catégories. Le temps, en qualité de forme a priori de la sensibilité (ou de l'aperception transcendantale) fournit la matière de ces schèmes.

  • Le schème de la quantité est le nombre, dont les unités s'ajoutent successivement l'une à l'autre.
  • Le schème de la cause est l'idée de la succession réglée des phénomènes.
  • Le schème de la communauté est l'idée de la simultanéité réglée des phénomènes.
  • Le schème de la réalité est l'idée de la sensation en générale en tant qu'elle occupe une durée.
  • Le schème de la substance est l'idée de ce qu'il y a de permanent et d'invariable dans les choses
  • Il y également un schème des idées de la raison pure (Dieu, la liberté, l'âme...)

Qu'est-ce que l'homme ? Sur les fondamentaux de la biologie -  I. Une brève histoire de l'éthique, l'ancien, le moderne et le contemporain, "De la theoria à la praxis : une nouvelle conception de la pensée", p.59 et suivantes. (Luc Ferry, Jean-Didier Vincent, Qu'est-ce que l'homme ? Sur les fondamentaux de la biologie et de la philosophie, Editions Odile Jacob)

Notes de lecture :

Luc Ferry met en évidence le nouveau contexte épistémologique dans lequel se déploie la pensée de Kant : "Le monde aristocratique (...) est un monde dans lequel le travail apparaît comme une activité par nature servile (...) Mais lorsque la "vertu" change de définition, lorsqu'elle n'est plus actualisation d'une nature innée, passage de la "potestas" à "l'actualitas", de la puissance à l'acte (comme chez Aristote où la vertu se nomme "aréthè"), mais lutte de la liberté contre la naturalité en nous, le travail, lui aussi change de sens et de statut : il acquiert une valeur jusqu'alors inconnue (...) Le travail s'identifie désormais à l'une des manifestations essentielles du propre de l'homme, de la liberté comme faculté de transformer le monde et, le transformant, de se transformer et de s'éduquer soi-même.

Note :

En acte : étymologiquement, l'acte (actus) désigne ce qui est fait. Pour Aristote, l'acte désigne soit ce qui est en train de s’accomplir, soit ce qui est réalisé.

En puissance : Dans l'usage qu'en fait Aristote (Métaphysique, Livre IX et Ethique à Nicomaque), la puissance est la faculté d'être changé ou mis en mouvement. ce qui n'est qu'en puissance, par opposition à ce qui est en acte, est ce qui n'est pas encore réalisé, ce qui n'est qu'une simple virtualité. Par exemple, tout être humain normalement constitué est en puissance un être parlant. Mais ce potentiel n'est actualisé qu'avec l'apprentissage de la langue maternelle au contact de ses semblables.

Vertu (Aréthè) : pour Aristote, la vertu d'un être, c'est sa qualité propre, ce qui exprime sa nature dans son excellence. La vertu (Aréthè) d'un cheval, c'est de bien courir, la vertu d'un œil, c'est de bien voir.

Il montre qu'à partir de Kant, la pensée ne se définit plus comme "theoria", (du mot grec "théorein' = voir) comme contemplation, vision, idée, mais comme travail, activité, "praxis". Il s'agit, selon lui, d'une véritable révolution non seulement dans l'ordre de la philosophie, mais par rapport au monde ancien.

"C'est à thématiser et à mettre en place cette révolution qu'est consacré, dans la Critique de la Raison pure de Kant, le célèbre chapitre qui traite du "schématisme", terme énigmatique qui correspond rigoureusement aux mutations qui se produisent dans le domaine de l'anthropologie, de l'éthique et de la pédagogie (L'Emile de Jean-Jacques Rousseau)" (pp.59-60)

Dans l'esprit de Kant, la théorie du schématisme est destinée à dépasser les deux grandes théories de la connaissance qui s'affrontent encore à son époque : l'empirisme et le cartésianisme.

La théorie cartésienne des "idées innées" :

Pour les cartésiens, il existe en chacun de nous des "idées innées", des vérités communes crées par Dieu et données en partage dès l'origine à tous les êtres humains.

C'est ainsi qu'il faut comprendre la fameuse formule de Descartes selon laquelle "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée". Exemple : tout homme est capable, s'il est doté d'une intelligence "normale", de saisir quelques notions communes en mathématiques (savoir compter, se représenter que la ligne droite est le chemin le plus court d'un point à un autre, que la somme des angles d'un triangle est égale à 180 degrés...) : de telles vérités élémentaires échappent au lieu et au temps : elles accèdent à l'universalité, à l'objectivité, elles sont vraies pour tous les hommes, quelles quesoient l'époque et la culture dans laquelle ils vivent. La doctrine des idées innées permet à la théorie de la connaissance d'échapper au scepticisme.

Le scepticisme (du grec skeptikos, « qui examine, qui cherche ») est une méthode d'examen et une école philosophique selon laquelle il semble que rien n'est vrai, pas même cette conjecture (que rien n'est vrai), car affirmer que rien n'est vrai, c'est soutenir qu'il est vrai que rien n'est vrai. Elle aboutit en toute logique au doute radical et à la suspension du jugement.

L'empirisme et la critique des idées innées

Pour les empiristes, dont le plus illustre représentant est David Hume, la théorie des "idées innées" n'a aucun sens car tous nos états de conscience, toutes nos représentations et toutes nos connaissances proviennent toujours en dernière instance de l'expérience. L'essentiel de nos raisonnements se ramène à l'induction. Par exemple, j'ai observé plusieurs fois que l'eau se met à bouillir à 100 degrés et j'en déduis qu'il en sera de même la prochaine fois. Mais en réalité, cette connaissance n'a rien d'absolu ni de certain : elle n'est que relative à mes expériences. La science n'est qu'une "croyance" parmi d'autres que rien ne vient garantir. L'empirisme conduit au relativisme et au scepticisme auxquels Kant refuse de souscrire.

Note : David Hume (7 mai 1711- 25 août 1776) est un philosophe, économiste et historien écossais. Il est considéré comme un des plus importants penseurs des Lumières (avec Adam Smith et Thomas Reid) et l'un des plus grands philosophes et écrivains de langue anglaise. Fondateur de l'empirisme moderne (avec Locke et Berkeley), l'un des plus radicaux par son scepticisme, il s'opposa tout particulièrement à Descartes et aux philosophies considérant l'esprit humain d'un point de vue théologico-métaphysique : il ouvrit ainsi la voie à l'application de la méthode expérimentale aux phénomènes mentaux. Son importance dans le développement de la pensée contemporaine est considérable : Hume eut une influence profonde sur Kant, sur la philosophie analytique du début du XXème siècle et sur la phénoménologie. On ne retint pourtant longtemps de sa pensée que le scepticisme destructeur ; mais les commentateurs de la fin du XXème siècle se sont attachés à montrer le caractère positif et constructif de son projet philosophique.

La "solution" de Kant (la théorie du schématisme) : 

Kant admet la validité du raisonnement empiriste au niveau psychologique (au niveau de la description du fonctionnement concret de l'esprit) : nos représentations sont toujours particulières et toujours immergées dans le temps de la conscience (le "sens interne" dit Kant). Cependant, il existe des concepts dont la valeur est à la fois intemporelle et universelle, des notions objectives qui valent en tout temps et en tout lieu.

Le problème devient dès lors le suivant : comment une conscience empirique, particulière et temporelle peut-elle légitimement se représenter des concepts a priori, universels et intemporels ?

... Comment de tels concepts (par exemples les concepts mathématiques) peuvent-ils être particularisés et temporalisés (représentés dans une conscience particulière immergée dans le temps) sans perdre pour autant leur validité universelle et nécessaire ? 

La solution de ce problème peut être résumée de la façon suivante : les concepts ne sont pas des représentations générales, des idées innées. Ils doivent être considérés comme des schèmes, c'est-à-dire comme des méthodes générales de construction des objets. Exemple : le concept (schème) mathématique de triangle n'indique pas le triangle en général, mais définit l'ensemble des règles selon lesquelles il faut que je procède concrètement avec un compas et un crayon, pour tracer une image de triangle sur une feuille de papier ou un tableau. Ce sont donc les règles ou les procédures elles-mêmes qui sont pour tout un chacun les mêmes en tout lieu et en tout temps. Ce sont elles qui sont générales et communes à l'humanité et non la figure, qu'elle soit tracée ou imaginée, qui reste toujours particulière.

La théorie kantienne du schématisme (du concept comme schème de l'imagination transcendantale) représente une révolution. En effet :

  • La connaissance n'est plus pensée comme une contemplation, une theoria, mais une activité, une praxis. Penser = juger, relier entre elles les représentations en suivant certaines règles. La connaissance se définit désormais en termes de "concept" (Begriff signifie saisir ensemble, synthétiser activement) et non plus en termes d'"idée". La pratique prend le pas sur la théorie, de sorte que la pensée apparaît comme une construction, thème que reprendra l'épistémologie contemporaine (cf. "Gaston Bachelard : "Rien n'est donné, tout est construit.")
  • Le schématisme montre comment un concept abstrait (une série de procédures et de règles opératoires) pour avoir un sens réel dans notre conscience, doit déboucher pratiquement sur une perception sensible. Comme le dit Goethe : "Ce que je n'ai pas dessiné, je ne l'ai pas vu."
  • Il permet de saisir le fondement ultime de la critique kantienne de la métaphysique et de l'ancienne théologie dite "rationnelle" élaborée à partir de l'idée que la pensée est une pratique humaine libre et dans la mesure où les concepts métaphysique (Dieu, l'âme, la liberté, le monde...) ne sont pas (légitimement) schématisables (bien qu'ils le soient inévitablement, faute de quoi ils ne seraient pas "pensables"). Nous pouvons bien esquisser une image de ces concepts (nous en faire une idée), mais cette idée ne correspond à aucune intuition sensible, à aucune réalité phénoménale.

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