• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Extraits d’ouvrages > Le baisodrome de M’sieur Tony

Le baisodrome de M’sieur Tony

Petit intermède dans un monde de brutes, dominé par la crise économique, les coups bas en politique, les attentats meurtriers ou les catastrophes écologiques. Il met en scène trois personnages : un directeur juridique, une jeune employée appartenant à la même entreprise et une concierge obèse...

─ Toinon, quelle bonne surprise ! Figurez-vous que je possède, à deux pas d’ici, un pied-à-terre où je compte effectuer quelques aménagements décoratifs Votre avis me serait précieux. Nous, les hommes, sommes si balourds en matière esthétique...

─ Moi ? Je ne suis qu’une paysanne mal dégrossie. Demandez donc à une nana branchée.

─ Précisément, j’ai besoin d’un avis sincère, pas d’un copié-collé de magazine. C’est pourquoi j’aimerais que vous me rendiez ce petit service.

Tu parles d’un service ! Toute la boîte savait que Giudicelli disposait d’une garçonnière où il attirait les naïves, les complaisantes, les ambitieuses qu’il jugeait baisables. Quant au coup de la décoration, il était usé jusqu’à la corde. Pas question de me jeter dans la gueule du loup.

─ Désolée, je dois retourner au bureau.

Giudicelli balaya l’objection :

─ Ne vous inquiétez pas pour ça : un coup de fil à votre chef de service et vous serez couverte.

Couverte ! Décidément, c’était plus fort que lui ! En attendant, il m’avait piégée : comment refuser à ce bouc en chaleur un innocent conseil décoratif ? Pas facile de lui dire : « Je te vois venir, vieux barbon, avec ton regard salace, tes mains baladeuses et ton guignol turgescent de satyre en rut ! » D’autant plus, qu’au fond de moi-même, j’avais très envie de jeter un œil sur son baisodrome. Comme ça, juste pour voir... Évidemment, il pouvait se montrer entreprenant... Et puis zut ! S’il devenait trop pressant, je pourrais toujours lui remonter les roubignoles d’un coup de pompe bien ajusté, histoire de lui rappeler les bonnes manières.

─ OK, concédai-je, on y va, mais vite fait.

L’œil du Corse brilla d’un éclat plus vif.

─ Je vous promets qu’on ne fera qu’entrer et sortir.

Et allez donc ! Encore une allusion graveleuse. Ce mec était incroyable. Ça devait sûrement l’exciter. Peut-être qu’il bandait déjà comme un zèbre sous son pardessus. Peut-être même qu’il s’astiquait le poireau à travers le fond décousu de sa poche. Si ça se trouve, à peine arrivés dans l’appartement, il allait me sauter dessus tel un bédouin après mille kilomètres de désert et de branlettes solitaires dans les dunes sous l’œil rigolard des fennecs... Trabaja la moukère... L’émir du coït en plein forage...

Giudicelli me ramena à la réalité de l’instant :

─ Nous y voilà. Il ne reste plus qu’à s’introduire dans la place.

Incorrigible ! Cinq minutes à peine s’étaient écoulées depuis notre rencontre et j’étais au pied du mur. Ou plutôt devant la porte de cet obsédé sexuel. Avec une forte envie de tourner les talons et de planter là ce vieux beau libidineux et ses allusions graveleuses. Mais déjà la clé tournait dans la serrure. En un clin d’œil, la porte fut ouverte et l’étalon de Porto-Vecchio s’effaça fort civilement pour me laisser entrer.

Malgré mon jeune âge, j’avais déjà connu toutes sortes d’habitations : fermes auvergnates aux murs enfumés, intérieurs cossus de notables citadins, logements ouvriers fonctionnels et sans charme, modestes piaules des surveillantes d’internat, meublés encaustiqués loués avec mille recommandations par des vieilles maniaques, chambres d’étudiants spartiates, déprimants clapiers de banlieue, et même d’authentiques maisons troglodytes visitées lors d’un voyage scolaire en Touraine. Mais un appartement comme celui-là, jamais. Un lupanar ! Ce logement était un véritable lupanar ! Tout y évoquait le sexe. À commencer par les patères phalliques du vestibule et le chromo mural qui leur faisait face et montrait monsieur Babar sur le point d’honorer madame Babar de sa puissante virilité dans le rougeoiment crépusculaire de la savane africaine.

Après nous être débarrassés de nos chaudes pelisses hivernales sur les bites de l’entrée – il faut bien appeler les choses par leur nom ! –, nous pénétrâmes dans le salon.

─ Que voulez-vous boire, Toinon ? Whisky ? Vodka ? Tequila ? Ou bien préférez-vous goûter au patriote corse, un mélange explosif de ma composition ?

Avec sans doute une pointe de ginseng et une pincée de gingembre, me dis-je in petto. Sans façon !

─ Whisky orange.

─ Pas de problème. Mais vous avez tort pour le patriote. C’est un cocktail hyper tonique. Il vous suffirait de le porter à vos lèvres pour vous sentir aussitôt pénétrée de bien-être et irradiée de plaisir. Laissez-vous donc tenter.

─ Non merci, le whisky orange fera très bien l’affaire.

─ Comme vous voudrez.

Giudicelli se glissa derrière le bar en merisier. Indifférent à sa présence, un faune lubrique, sculpté sur la façade du meuble, poursuivait avec obstination une jeune vierge effarouchée pour lui faire subir les pires outrages. Tandis que le Corse préparait les boissons, je promenai un regard circulaire dans la pièce. Tout y était chaud : les confortables meubles anglais, les lourdes tentures, la moquette murale en velours grenat. La température elle-même, quelques degrés au-dessus de la normale, visait sans doute à faciliter l’effeuillage des femelles qui s’étaient laissées prendre dans les filets du chasseur. Le tout dans une ambiance musicale sirupeuse à la André Rieu. Quant à la décoration, elle était à l’image du vestibule et du bar : résolument tournée vers le sexe et les manières de s’en servir. Pêle-mêle on trouvait là : des hauts-reliefs érotiques de temples indiens ; des gravures anciennes montrant les jeux interdits d’une belle marquise et d’un épagneul ; des estampes asiatiques mettant en scène des amants aussi débridés du sexe qu’ils étaient bridés des yeux ; et pour finir une série d’aquarelles licencieuses inspirées par des chansons paillardes. Pas triste, et même tellement acrobatique que dans certains de ces Picasso du radada il était quasiment impossible de savoir à qui appartenaient tous ces membres et tous ces organes inextricablement imbriqués. Ajoutez à cela l’affiche imaginaire de l’improbable film Zobi Pacha et les 40 violeurs et, pour couronner le tout, une superbe lampe-phallus en orme dont le gland dispensait une lumière tamisée rouge du plus bel effet, et vous aurez une assez bonne vision du lieu.

Naturellement, Giudicelli vint s’asseoir à mon côté sur le canapé.

─ À vos amours, Toinon !

─ À votre santé, Monsieur !

─ Je vous en prie, pas de Monsieur entre nous, Toinon, appelez-moi Tony, suggéra Giudicelli en me tapotant le genou d’un air paternel.

Et voilà, c’était parti. La main allait d’abord s’immobiliser sur l’articulation, puis remonter doucement sur la cuisse, par étapes successives, en s’insinuant sournoisement sous la jupe et en se faisant de plus en plus caressante. Manque de bol pour le Corse, je n’étais pas décidée à jouer la même partition.

─ Excusez-moi, mais je ne vois toujours pas en quoi je peux vous être utile, dis-je en repoussant doucement mais fermement la main aventureuse.

─ Bien au contraire, vous pouvez m’être d’un précieux conseil. J’envisage très sérieusement de modifier la décoration de l’appartement. Mais d’abord, que pensez-vous de celle-ci ?

Tout en parlant, Giudicelli avait saisi ma main droite dans les siennes en un geste paternel depuis longtemps rodé auprès de ses visiteuses.

─ La déco ? Ma foi, répondis-je, je ne sais trop quoi vous dire. C’est... c’est... pour le moins surprenant.

─ Surprenant ? Excitant, vous voulez dire. Tous ces pénis en érection, ces vulves offertes, ces sublimes pénétrations, ces masturbations réciproques, ces fellations gourmandes...

Mine de rien, le Corse avait plaqué ma main sur sa braguette hypertrophiée. Une sonnerie stridente me délivra d’un contact plus appuyé avec l’objet du gonflement et lui évita de s’en ramasser une.

─ M’sieur Antoine, venez vite, y’a un loubard qui tripote vot’ Mercedes dans le parking, glapit une voix dans l’interphone.

Le Corse fit un bond en jurant.

─ Merci, Étiennette, j’arrive.

Pas content, Giudicelli. Non content de s’en prendre à sa bagnole, on lui cassait sa baraque alors qu’il commençait à être à point, comme j’avais pu le constater brièvement.

─ Excusez-moi, Toinon, je dois m’absenter quelques instants, mais rassurez-vous, je reviens très vite. Surtout ne bougez pas.

Tu parles que j’allais attendre. Dès qu’il aurait le dos tourné, j’irais récupérer mon manteau sur la bite du vestibule et je filerais vite fait de ce piège à con... Encore que je n’avais pas vu la chambre et que ce serait vraiment idiot de manquer ça. Sûr que ça devait valoir le détour !... Allez, juste un petit coup d’œil avant de se carapater.

Sitôt Casanova parti, je me précipitai sur la porte voisine. Zut ! les cagoinces. La chambre se trouvait en face. Compte tenu du genre particulier de la décoration du salon, je m’attendais à découvrir une nouvelle exposition de photos scabreuses ou d’objets obscènes des plus émoustillants, histoire de maintenir la libido en éveil. Perdu ! Pas le moindre tableau érotique, pas la plus petite statuette pornographique, rien. Ou plutôt si : des glaces. Des glaces partout : sur les murs, sur le placard, sur l’envers de la porte, et même au plafond, ces dernières soulignées par une rampe lumineuse qui courait tout autour de la pièce. Un grand lit carré revêtu d’une courtepointe en satin bleu, deux ou trois coussins de fourrure blanche, deux chaises laquées de facture classique et un couple de tables de nuit surmontées de lampes Tiffany constituaient tout le mobilier de cette inattendue galerie des glaces.

Ainsi, Antoine Giudicelli pouvait s’admirer sous toutes les coutures quand il prenait son pied, l’œil brillant et le bigoudi dressé comme un minaret ottoman dans le ciel du Bosphore. Le moindre de ses coups de rein était multiplié à l’infini par le jeu des miroirs, et la chambre devenait le lieu d’une immense partouze où tous les couples forniquaient avec un synchronisme parfait. Mais pourquoi cette rampe lumineuse ? En quoi pouvait-elle améliorer la performance sexuelle ? Jusqu’à preuve du contraire, la qualité des orgasmes n’est pas liée au nombre des watts ! À moins que... À moins que cet obsédé de Giudicelli n’ait disposé dans la pièce des caméras indiscrètes destinées à alimenter pour ses lendemains d’andropause une cinémathèque X dont ses conquêtes et lui seraient les héros. Le Corse était parfaitement capable de ce genre de perversité. Restait à dénicher l’emplacement des objectifs. Où les avait-il dissimulés ? Dans les moulures du plafond ? Dans les motifs muraux ? J’aurais bien aimé tirer ça au clair, mais le temps m’était compté, Giudicelli pouvant rappliquer d’un instant à l’autre. Par prudence, je renonçai à pousser mon enquête plus avant.

Avant de sortir de la pièce, je tins quand même à jeter un œil sur le contenu de la penderie. Là aussi, ça pouvait se révéler croustillant. Et ça l’était. Mis à part quelques vêtements masculins sans intérêt et un kimono en soie sur lequel un samouraï enfilait son fuji-yama dans l’accueillante craquette d’une geisha, le meuble contenait surtout de la lingerie féminine. Genre Paris-Canaille. C’est bien simple, il y avait là la plus belle collection de panoplies érotiques qu’il m’ait été donné de voir : de quoi sous-vêtir entraîneuses, strip-teaseuses, putes et salopes de tout poil et de toute condition, femmes de députés, de notaires et de gendarmes comprises. On trouvait là de la soie, de la dentelle, du cuir, du transparent, de l’opaque, du vaporeux, le tout dans une symphonie de couleurs dominée par le rouge et le vert. De quoi faire fantasmer à peu près tous les mecs normalement constitués, excepté ce brave Jean-Mi, un collègue exclusivement porté sur l’envers des personnes de son sexe. J’éprouvais cependant un petit regret devant cet étalage affriolant : il n’y avait pas le moindre accessoire pervers, ni chaînes, ni fouets, ni menottes, ni sangles. Giudicelli n’était pas porté sur le sado-maso. Dommage, ça manquait à son actif.

Revenue dans le salon, je ne pus m’empêcher de fouiller la bibliothèque, au risque d’être surprise par Casanova. Mais c’est plus fort que moi, j’ai toujours été curieuse comme une souris. Avec, je l’avoue, un intérêt marqué pour le croustillant. Et sur ce point, il faut reconnaître que j’avais été servie depuis mon intrusion dans le domaine privé de Giudicelli. Et qui sait, peut-être restait-il des curiosités à découvrir ? Dans la bibliothèque par exemple.

Le meuble était divisé en deux parties. La partie haute, finement grillagée, ne contenait que des livres anciens dont le caractère puissamment érotique transparaissait sous des titres torrides. À preuve ce Traité de l’influence du déboisement sur les phénomènes de crues torrentielles dans le Haut-Vivarais par l’illustre Amédée-Fulgence Espinassouze, ou cet autre ouvrage intitulé Action comparée des engrais potassés et azotés sur la production céréalière du bassin danubien de Valachie par le professeur Mircea Petrescu. Hyper excitant ! Je délaissai pourtant ces perles de la littérature coquine pour reporter mon attention sur la partie basse de la bibliothèque dont les vantaux de bois étaient, à l’image du bar, ornés d’un faune érotomane et d’une nymphette impudique.

C’est là que je découvris les DVD. Soigneusement rangés sur les étagères, ils étaient identifiés par des titres évocateurs en rapport avec l’atmosphère de l’appartement : Une sucette pour Lucette, Charlotte n’a pas de culotte, Sabine aime la pine ou bien encore Arlette, reine de la levrette… Inutile de perdre son temps avec les cassettes : je ne pouvais pas les visionner sur place et, quand bien même j’en aurais fauché une, je ne possédais ni téléviseur, ni a fortiori lecteur de DVD pour m’offrir une séance de radada giudicellien. En outre, je me voyais mal aller sonner chez les voisins pour solliciter une projection privée :

─ De quel genre de film s’agit-il, Toinon ?

─ Heu... western bandant. Un remake de La chevauchée fantastique.

─ Ah ! Très intéressant. Installez-vous, nous allons regarder ça ensemble.

Non vraiment, ce n’était pas possible. Je tirai donc un trait sur les cassettes.

Le reste du meuble ne comportait que des paperasses. Le Corse entreposait là d’austères dossiers sur lesquels il devait plancher de temps à autre dans l’atmosphère feutrée de la garçonnière. Du moins lorsque ses ébats lui en laissaient le temps. Sans intérêt. Légèrement à l’écart de ces documents, un gros classeur dormait dans l’ombre. Probablement ne recelait-il lui aussi que des rapports professionnels d’une portée érotique limitée. Par acquis de conscience, je le saisis et l’ouvris au hasard.

Le livre d’or ! J’étais tombée sur le livre d’or de ce piège à cul. Mais attention, pas l’un de ces bouquins dorés sur tranche et envahis de compliments dithyrambiques à la gloire du récipiendaire, de sa divine cave ou de son exquise déco. Ce livre d’or-là avait été entièrement écrit par Giudicelli himself. À sa façon. Façon photographique en l’occurrence. Et la photo que j’avais sous les yeux était de celles dont on se souvient : allongé sur le dos et vêtu de sa seule paire de lunettes, Giudicelli voguait manifestement sur la vague du plaisir, le mât fièrement dressé perpendiculairement à sa personne. Un assez bel objet, soit dit en passant. N’empêche, c’était la première fois que je prenais la queue de l’un de mes patrons dans les mirettes. Depuis, naturellement, j’en ai vu d’autres. Quand même, la première fois, ça surprend. Surtout que le bellâtre n’était pas seul au plumard. À son côté, le cheveu ébouriffé et la fesse frétillante sous la caresse, une nana, nue comme une brebis après la tonte et carrossée comme un tracteur de collection, dardait avec application une langue humide sur l’obélisque du Porto-vecchien. Édifiante image. Et curieux commentaire. Car non content de stocker en format 13 x 18 les preuves de ses bonnes fortunes sexuelles, l’étalon corse avait laissé parler sa verve poétique pour souligner chaque cliché d’une strophe rimaillante à la gloire de la partenaire du moment. C’est ainsi que je pus lire sous la photo sus-décrite, comme on dit dans la gendarmerie, cette dédicace à la fois surprenante et directe : Géraldine (27 mars - 12 avril) - Efficace au bureau, / Géraldine l’est aussi / Quand je suis sur le dos / Et qu’elle suce mon vit !

Joli, non ? Et flatteur pour la fille : au boulot comme au dodo, Géraldine est un bon lot ! Blague à part, le visage de la souris m’était familier, et sans le désordre de la chevelure et l’inhabituelle activité linguale, je l’aurais reconnue sans la moindre hésitation. Grâce au prénom, ce fut un jeu d’enfant : Géraldine Bernier. Ainsi, la redoutée patronne des dactylos était passée à la casserole. Et elle n’était pas la seule de la boîte à avoir sacrifié son corps et sa pudeur à l’appel du sexe ou à des ambitions carriéristes. Au fil des pages, je découvris avec un étonnement croissant une pléiade de collègues dans l’exercice de leurs talents privés. Il y avait là : Yolande Quatrebœuf, une pulpeuse comptable aux dents longues et à la courte vertu ; Arlette Vinatier, la bêcheuse de l’Audit ; la provocante Mélanie Bourdieu, égérie des informaticiens et adepte des jupettes ras le berlingot ; Virginie Etchegoyen, une collègue des Relations publiques spécialisée dans les petits fours et les compositions florales ; Sylvie Morelon, une grande blonde des Archives pas plus blonde que moi, la photo était formelle ; Anne-Sophie Corroyer, une autre blonde de l’Accueil, vraie celle-là, sauf teinture de la touffe ; Bernadette Levaillant, une petite brune espiègle du Contentieux ; Sandrine Chardon, la timide eurasienne de la direction du Personnel ; Monique et Armelle, deux lesbiennes notoires, visiblement à voile et à vapeur ; Louisette Sainte-Rose, la standardiste martiniquaise aux yeux pétillants ; Geneviève Papazian, une rédactrice des Relations clientèle ; Véronique Elbez, la bien nommée ; et quelques autres qui m’étaient moins familières. Tout cela dans un festival constamment renouvelé de jambes en l’air, de pénétrations effrénées, de coïts incandescents, de sucettes gourmandes, de copulations imaginatives et de savants tête-à-queue.

J’avoue que sur le moment, j’avais été déconcertée par cet étonnant Kama Sutra, mais au-delà du spectacle des corps en action, je l’avais été plus encore par le caractère collecteur de l’album. Car il s’agissait bien de cela : une collection. Giudicelli collectionnait les femmes comme d’autres les pots de yaourt, les moulins à café ou les bouchons de champagne. Certes, tout le monde savait que, brune ou blonde, petite ou grande, blanche ou noire, le Corse allait de l’une à l’autre, sans préjugé racial ou physique, usant avec une remarquable patience, ici de son charme méditerranéen, là de son poids hiérarchique pour parvenir à ses fins. Mais on mettait ça sur le compte de sa boulimie sexuelle, et la valse de ses maîtresses connues ou supposées était perçue comme la conséquence d’une quête perpétuelle de plaisir aiguillonnée par le désir du changement. En réalité, il fallait voir dans ce comportement boulimique autre chose qu’une simple recherche de jouissance physique. Le nombre élevé des partenaires de Giudicelli et la brièveté de ses liaisons démontraient clairement que la séduction de la femme convoitée primait sur tout le reste. La possession avait également son importance, cela va sans dire, mais moins pour le plaisir qu’elle engendrait – et qu’il prenait pourtant avec une satisfaction évidente, les photos en témoignaient avec éloquence – que pour la concrétisation de la victoire qu’elle symbolisait. Une de plus au tableau de chasse ! Et un trophée supplémentaire dans l’album. Le lendemain et les jours suivants, l’intérêt diminuerait très vite ; il ne subsisterait plus qu’une gymnastique agréable, mais dépourvue du piment de la conquête. Peut-être même le Corse était-il déjà mentalement, dès le début d’une nouvelle liaison, l’épiderme encore chaud des étreintes initiales, sur la piste de son prochain trophée…

J’en étais là de mes réflexions lorsque résonna de manière assourdie le bruit caractéristique de la grille d’ascenseur sur le palier. Zut ! À vouloir être trop gourmande dans mes investigations, je me retrouvais coincée comme une andouille dans cet incroyable bobinard alors que j’aurais pu m’esquiver sans encombre. En un clin d’œil, je remis l’album en place et me composai un visage détaché. Déjà la porte s’ouvrait...

Ce n’était pas Giudicelli, mais une masse gélatineuse vêtue d’un informe bas de survêtement bleu en coton et d’un sweet-shirt I love Paris, taille éléphant d’Afrique, d’où émergeaient des doigts boudinés et une trogne rubiconde surmontée d’une coiffure aérienne façon mérinos échevelé. L’ensemble pouvait passer pour une femme au prix d’un méritoire effort d’imagination.

─ Chui Étiennette Graindorge, la gardienne. M’sieur Tony est dans ma loge. Y s’est fait amocher le portrait par un loubard, çui qui voulait lui faucher sa voiture. J’vous jure, on vit une drôle d’époque...

─ Rien de grave, j’espère ? demandai-je avec une parfaite hypocrisie.

─ Grave ? Non. Sauf qu’y s’est pris un sacré coup de remontant dans les burnes et qu’il a le tarbouif comme une citrouille, même qu’il a pissé le sang sur le tapis de ma loge, un p’tit bijou que j’avais acheté chez Tati. L’épée de la dame aux claisses que ça s’appelle, d’après le dentiste de l’entresol. Pourquoi qu’y s’appelle comme ça l’tapis, j’vous dirai pas, vu qu’en fait de dame on voit juste un mec à poil – à part sa bestiole qu’est couverte d’une feuille de vigne – avec une épée au-dessus de la caboche. Quant aux « claisses », c’est bien simple, je sais même pas c’que c’est, et pourtant, pouvez m’croire, j’ai du vocabulaire grâce aux mots fléchés de Télé 7 jours. J’rate pas une grille. Avec l’horoscope et le courrier des lecteurs, c’est c’que j’préfère. Enfin, pour les claisses, faudra que j’demande au dentiste parce que même dans le Larousse y z’en causent pas, c’est dire la rareté... Bon, c’est pas tout ça, faut que j’redescende avant que M’sieur Tony se soye complètement vidé sur ma carpette, vu qu’après c’est pas facile à ravoir... Sans vous commander, j’vais vous d’mander de m’suivre because faut que j’ferme la porte derrière vous. Notez, ça m’regarde pas, mais j’crois pas que vous perdiez grand chose. Avec c’qu’il a pris dans les noix, M’sieur Tony, j’pense pas qu’y soye très performant côté kangourou. C’est pas aujourd’hui que l’popaul prendra de l’altitude ; ce serait même plutôt la descente en piqué !

─ Holà ! Doucement ma bonne dame, je ne suis pas venue pour la saillie. Je n’ai rien à voir avec le cheptel de Giudicelli.

─ Ah bon ? J’croyais, parce qu’en général, les nanas qui montent dans son appart’, elles finissent à l’horizontale dans la galerie des glaces.

─ Tiens donc ! Vous avez l’air très au courant des habitudes de la maison...

─ Ça, pour être au courant, j’suis au courant bicoze c’est moi qui m’tape le ménage du baisodrome. J’fais ça pour ajouter du beurre dans les épinards depuis que mon fainéant d’mec s’est tiré avec sa poule, une moins que rien qu’avait tellement le feu au cul que rien qu’en la r’gardant on bronzait de la tronche. Depuis, j’nettoie, je frotte, j’encaustique. Un coup de chiffon sur un cul par-ci, un coup de plumeau sur une biroute par-là. Sans compter les draps à blanchir et les miroirs à astiquer. Dieu sait ce qu’ils ont vu, ceux là ! Ça, y s’embête pas, M’sieur Tony ; côté quéquette, il est comme les scouts, toujours prêt ! Mais attention, correct. Tenez, moi par exemple, jamais y m’a manqué de respect. Pas un geste, pas un mot déplacé. Rien. Un vrai gentleman...

Suivit un profond soupir. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Étiennette Graindorge en pinçait pour le bellâtre. Lequel, n’ayant pas de penchant marqué pour les amours pachydermiques lui opposait une totale indifférence. La vie est injuste. La sympathique concierge se fendit d’un nouveau et déchirant soupir en refermant sur nous la porte du lupanar.

 

Note pour AgoraVox : Ce texte est un extrait, légèrement modifié, du roman « Moi, Antoinette Védrines, thanatopractrice et pilier de rugby » dont je suis l’auteur.

Documents joints à cet article

Le baisodrome de M'sieur Tony

Moyenne des avis sur cet article :  3.07/5   (29 votes)




Réagissez à l'article

24 réactions à cet article    


  • Claude Hubert rony 5 avril 2010 10:40

    C’est quoi ce machin insipide ??


    • Fergus Fergus 5 avril 2010 13:19

      Bonjour, Rony.

      Un divertissement, rien d’autre. Mais vous êtes naturellement libre de ne pas avoir apprécié cet intermède de gaudriole dans une actualité plus noire que rose.

      Quoi qu’il en soit, merci de votre visite.


    • COVADONGA722 COVADONGA722 5 avril 2010 13:56

      « ce truc insipide » c est un texte qui ne se la pete pas , d un auteur qui ne fait la leçon à personne au motif qu il aurait été professeur par exemple.
      Cest un texte qui ne veut preter qu a sourire et non donner à penser , comme en ont pris l habitude nombre de doctes auteurs sur ce site , bref le texte de quelqu un qui s’amuse d amuser les autres, et par les temps qui courent mon cher Rony vus le nombre de chaffoin au metre carré , je n aurais qu un mot pour l auteur de « ce truc insipide » Merci


      Covadonga722 « croche et tient ! »


    • Fergus Fergus 5 avril 2010 14:09

      Merci à vous, Covadonga.

      Vous avez parfaitement résumé mon intention : tenter de distraire, et si possible de faire sourire, les lecteurs abreuvés d’articles sur une actualité le plus souvent déprimante.

      Bonne journée.


    • caramico 5 avril 2010 10:40

      Un peu San-Antoniesque, si je puis me permettre, en plus long, lui ça concluait plus vite, mais bonne description sûrement véridique de la toile d’araignée de nombre d’hommes et de femmes vieillissants qui un jour devront se résoudre à payer pour continuer leurs tressautements.
      Pour certains c’est ça où le canal Saint-Martin, on a les thérapies qu’on peut.


      • Fergus Fergus 5 avril 2010 13:25

        Bonjour, Caramico.

        San Antonio est parfois évoqué. Je ne l’ai pourtant pas copié car mes dernières lectures du genre remontent aux années 60.

        Oui, il existe des garçonnières de ce genre si j’en croit des confidences qui m’ont été faites. Comme il existe des collectionneurs de femmes qui gardent un trophée de chacune d’elles, ou qui notent leurs éphémères conquêtes, en véritables mufles qu’ils sont. J’en ai connu un qui utilisait pour cela des petits lits (de 0 à 5). Pas vraiment très flatteur pour la gent masculine...


      • curieux curieux 5 avril 2010 11:33

        J’ai pas lu l’article mais le titre me fait penser à l’Elysée, je ne sais pas pourquoi. Bizarre, les associations d’idées !


        • Fergus Fergus 5 avril 2010 13:29

          Bonjour, Curieux.

          Si l’on en croit les mémoires ou les confidences faites par les uns et les autres, l’Elysée semble effectivement avoir vu se dérouler pas mal d’aventures depuis que ce palais abrite les chefs de l’Etat.


        • kitamissa kitamissa 5 avril 2010 13:34

          on aurait bien apprécié quelques vidéos pour donner une peu de relief à l’article smiley


          • Fergus Fergus 5 avril 2010 14:18

            Bonjour, Kitamissa.

            Voilà une excellente idée, de nature à attirer encore plus de lecteurs sur AgoraVox si j’en crois les statistiques du net où, paraît-il, l’écrasante majorité des connexions se fait sur des requêtes érotiques ou pornographiques !



            • Fergus Fergus 5 avril 2010 15:21

              Salut, Brieli.

              Merci pour ces liens. J’avoue que je ne connaissais ni ce MCarabin ni son étonnant mobilier. Pas facile à placer chez soi !

              Bonne journée.


            • vivien françoise 5 avril 2010 15:18

              Bonjour Fergus,
              Bon sang, j’ai du mal à aligner trois mots cohérents. Ce vieux cougard n’a donc aucune élégance, aucun style. Il a un sexe à la place du cerveau. Un vieux dégueulasse en fait.
              Et Toinon ? c’est sorti tout droit de chez msieu Molière. A la place de la Toinon, j’aurai arraché deux, trois pages du livre d’or rien que embêter le Tony.
              Cela existe ce genre d’homme ? je l’imagine sans peine. Un à qui on a envie de lui mettre le genou entre les jambes plutot que de lui serrer la main.
              Mais heureusement que les hommes les vrais les gentlemans ne se comportent pas ainsi.
              Je suis allée voir le mot « gentleman » dans le vieux dico sur mon étagère car j’ ai eu un doute, j’ai eu peur que cela n’existait plus à notre époque.
               Fergus, en ce lundi de Pâques, vous irez allumer un cierge pour vous faire pardonner toutes ces -mots repris dans le texte de Fergus- : bite, burne, queue, et autre joyeuseté.
              Votre livre se trouve en livre de poche ? Votre épouse sait qu’elle part en vacances au soleil grâce à ce qu’il vous rapporte ?
              Bonne journée
              Sylvia


              • curieux curieux 5 avril 2010 15:24

                « Il a un sexe à la place du cerveau. »
                Vous pompez là(sans faire de mauvais esprit) Je l’ai souvent dit : c’est le Nabot qui a un sexe à la place de ses six cerveaux qui se trouvent relégués dans l’entre-jambe


              • Fergus Fergus 5 avril 2010 15:33

                Bonjour, Sylvia.

                Ce livre a été publié chez un éditeur du web, Publibook, et je ne sais même pas s’il en reste des exemplaires disponibles. Quant à rapporter de quoi se payer des vacances au soleil, ce n’est vrai que pour quelques dizaines d’auteurs en France. Et ce n’était pas mon objectif. J’ai d’ailleurs d’autres écrits en stock que je n’ai jamais tenté de publier. Sans doute le ferai-je tôt ou tard pour pouvoir disposer de quelques exemplaires papier. N’ayant pas besoin de cela pour vivre, rien ne presse.

                Pour ce qui est de Toinon, rassurez-vous, elle prélève une photographie qui va créer dans sa boîte un scandale sans précédent. Le pire est que j’ai réellement connu un individu comme celui-ci ; il était... directeur juridique de son état. Etant un homme, je n’ai en revanche pas eu droit à la visite de sa garçonnière. Mais je soupçonne quelques-unes de mes ex-collègues de pouvoir la décrire dans les moindres détails. Elles ne s’en sont toutefois pas vantées !


              • vivien françoise 5 avril 2010 15:36

                Elle m’est sympathique cette Toinon.
                Sylvia


              • Cosmic Dancer Cosmic Dancer 5 avril 2010 15:25

                « Quant au coup de la décoration, il était usé jusqu’à la corde. »

                En effet.


                • Fergus Fergus 5 avril 2010 17:12

                  Bonjour, Cosmic Dancer.

                  Que voulez-vous ? La vie, les écrits et les garçonnières ne sont qu’un éternel recommencement. Avec des variantes plus ou moins plaisantes !


                • eugène wermelinger eugène wermelinger 5 avril 2010 16:49

                  eh bien, en ce lundi de Pâques, voilà que l’on découvre où se cache le nid de Pâques avec pleins d’oeufs coloriés et de lapins en chocolat pour amuser .... les cloches. Ding dong ! 


                  • Fergus Fergus 5 avril 2010 17:14

                    Bonjour, Eugène.

                    On peut même dire des chauds lapins !


                  • Surya Surya 5 avril 2010 19:32

                    Bonjour Fergus,

                    Je vous avouerais, au risque d’avoir l’air de n’être jamais sortie du pays de Candy, mais peu m’importe, que je n’avais jamais lu un texte écrit dans ce style et sur ce thème.
                    Continuez d’écrire et de partager vos textes car vous avez une sacrée plume !
                    Qu’avez vous modifié par rapport à la version publiée ? Et cet extrait se trouve où dans le roman ?


                    • Fergus Fergus 5 avril 2010 19:52

                      Bonjour, Surya.

                      Un grand merci pour votre commentaire car il m’encourage à continuer d’écrire comme j’en ai envie, tantôt sérieusement, tantôt de manière plus légère.

                      En réalité, j’ai modifié très peu de choses par rapport à la version publiée, en simplifiant le début le début pour gommer les interactions avec le roman et en allégeant la prestation de la concierge. Cet extrait se situe environ au tiers du roman environ alors que Toinon, jeune paysanne auvergnate montée travailler à Paris, découvre la vie dans une grande entreprise avec ses travers, ses mesquineries, ses cocasseries et ses grand’ messes pour cadres dynamiques...


                    • cmoy patou 5 avril 2010 20:07

                      Bonsoir Fergus,
                      Exellent article je vous encourage aussi a continuer,ma petite contribution en restant dans la tradition de Paques mais en révélant un mystere biologique
                      http://life-in-the-dead.over-blog.com/article-30110564.html

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès