Les cagots sont-ils les descendants des Wisigoths (1/2)
Extrait de mon livre Le roi et le graal.
Peu de nos contemporains ont déjà entendu parler des cagots et le sujet reste encore de nos jours entouré de mystère, même si la véritable énigme reste plutôt celle de l'insondable cruauté dont l'être humain peut faire preuve envers ses semblables.
Qu'on les dénomme lazarets, capots, gaffos, chrestians, gahets en Gascogne, colliberts dans le Poitou, gens des marais en Vendée, ou marrons en Auvergne, les cagots vécurent au moyen âge, telle une caste d'intouchables, à l'écart des villes et des villages dans des endroits qui leur étaient uniquement réservés. Comme on les disait atteint de lèpre blanche, autrement dit d'une lèpre qui n'en était pas vraiment une, on les désignait également sous le nom de gézitains, du nom de Guéhazi, personnage qui d'après la bible fut condamné à la lèpre à cause de sa cupidité. Du fait de leur contagion supposée, ils étaient donc obligés d'obéir à de nombreuses règles très strictes. Tous commerces avec les autres habitants leur étaient interdits. Ils devaient également s'abreuver à des fontaines qui leur étaient uniquement dédiées. Lorsqu'ils se déplaçaient, ils devaient porter une patte d'oie rouge cousue sur leur vêtement et il leur était interdit de marcher pieds nus. A d'autres endroits, on les obligeait à s'habiller uniquement de rouge ou encore à se déplacer avec une crécelle pour prévenir de leur passage.
Ils avaient le droit d'assister à la messe, mais à l'écart des autres fidèles. Une porte plus basse ainsi qu'un bénitier spécifique leur étaient réservés et le prêtre leur tendait l'hostie au bout d'un bâton. Ils étaient autorisés à cultiver leurs propres légumes mais il leur était interdit d'exercer une activité en rapport avec l'alimentation, que ce soit l'élevage ou l'agriculture. Par contre, ils pouvaient avoir une profession en rapport avec le bois et donc être charpentier, menuisier, bûcheron, tonneliers ou encore fabricant de cercueils. Ils pouvaient aussi exercer comme maçons, vanniers ou tisserands et étonnamment, malgré l'interdiction de porter un couteau ou un objet tranchant, ils pouvaient également être chirurgien. En ce qui concerne les femmes, elles étaient très souvent sages-femmes. Ils étaient également exempts d'impôts et de taxes. En justice, il fallait le témoignage de sept cagots à apposer à celui d'un non cagot.
La mise au ban de la société commençait dès leur naissance et jusque après leur mort : l’acte de baptême devait obligatoirement mentionner le nouveau-né comme cagot et à leur décès, ils devaient être enterrés à l'écart des autres habitants, voire parfois à l'extérieur des cimetières.
A ces règles déjà très dures, s'ajoutaient toutes les rumeurs et malveillances que le reste de la population faisait courir sur leur compte. On disait d'eux qu'ils sentaient mauvais, qu'ils avaient une mauvaise haleine, qu'ils étaient sorciers, qu'ils empoisonnaient les sources, voire mêmes qu'ils étaient anthropophages... Une autre des croyances fut étonnamment confortée par une étude d’Ambroise Paré, père de la chirurgie moderne : celui-ci écrivit dans un de ses ouvrages que les cagots dégageaient une chaleur anormale leur permettant d'assécher en seulement une heure, une pomme fraîche comme le ferait le soleil en huit jours !
On soutenait également qu'ils avaient les pieds palmés et pas de lobe d'oreille. Par contre, la présence possible de goitres, symptomatique d'une carence en iode, est assez caractéristique des populations vivant à la montagne et peut donc tout à fait se justifier. De façon générale, il est bien évident que le fait d'être obligé de vivre complètement replié sur eux-mêmes ne pouvait qu’accroître les risques de consanguinité, terrain propice au développement de tares génétiques. A noter qu’il existe un musée dédié aux cagots, à Arreau dans les Hautes-Pyrénées
Le premier écrit connu qui fait mention d’un chrestian, un homme du nom d’Auriol Donat, est le cartulaire de l’abbaye de Lucq de Béarn. Sachant que ce document date du tout début du XIe siècle et que les cagots ne furent complètement assimilés qu’au cours du XXe siècle, on peut estimer que l’ostracisation dura environ un millénaire. Même si en 1683, Louis XIV tenta de mettre fin à cette ségrégation, il fallut attendre la révolution française où un grand nombre d’entre eux purent s’intégrer, profitant du fait que de nombreux registres mentionnant leur appartenance à cette communauté furent détruits.
Quelques études sur le sujet furent menées au fil des siècles. L’une des plus complètes est certainement l'Histoire des races maudites de France et d'Espagne de Francisque Michel ouvrage paru en 1847. L’auteur commence par recenser tous les écrits traitant des cagots dont il a eu connaissance avant de restituer les informations qu'il a recueilli lui-même sur place, ville par ville. Il explicite son objectif dans la préface de l’ouvrage :
Il n’est pas nécessaire, nous le pensons du moins, de justifier le choix de notre sujet : il est neuf, il est national ; il touche à l’histoire des faits, à celle des institutions et à l’anthropologie, sciences aux progrès desquelles nul n’est indifférent aujourd’hui. Or, s’il faut s’étonner d’une chose, c’est que ce sujet n’ait point été traité jusqu’ici avec tous les développements qu’il comporte, avec toute l’étendue dont il est susceptible, avec tout le soin qu’il mérite. Nous ne croyons pas être injuste en disant que depuis F. de Belle-Forest, Oihenart et P. de Marca, la plupart des écrivains qui ont parlé des races maudites de la France et de l’Espagne, ont embrouillé plutôt qu’éclairci les questions que leur origine et leur existence soulèvent, et ont fait regretter par-là que la science ne s’en soit pas tenu à ces trois auteurs. Demandez, par exemple, dans le nord, dans le centre de notre pays, et même aux portes des Pyrénées, ce que c’est que le Cagot de ces montagnes, et votre interlocuteur, quelque éclairé d’ailleurs qu’il puisse être, vous donnera, d’après Ramond, une définition qui se rapportera à un être infirme au physique comme au moral, et non à ces « hommes à taille élevée, d’une constitution sèche, musclés, à crâne bien développé, nez long et saillant, traits fortement dessinés, cheveux pressés et châtains » tels que le docteur Guyon décrit les Cagots. C’est donc bien à tort que l’on les confond avec les goitreux et les crétins. Les trois genres d’infortune qu’indiquent ces mots, quoique susceptibles de se trouver réunis dans les mêmes personnes et les mêmes régions, comme cela arrive quelquefois au sein des contrées pyrénéennes, appartiennent chacun à un ordre différent. Il est fâcheux qu’on ait tardé si longtemps à le dire, ou qu’on l’ai dit seulement dans des ouvrages moins répandus, moins consultés que ceux de Ramond.
Il nous a semblé, d’ailleurs, qu’il était temps de pénétrer plus avant au cœur de l’histoire de France. Les rois, les barons, les évêques, les grandes corporations n’ont pas manqué d’historiens ; mais les pauvres, les opprimés n’en ont point trouvé. Nul ne s’est occupé de recueillir leurs origines, d’écrire leurs tristes annales, sinon lorsqu’il était à peu près impossible de le faire sans de nombreuses et de patientes explorations, sans une dépense de temps et d’argent que peut rarement faire un homme de lettres.
Rien de tout cela ne m’a arrêté ; j’ai exploré, ou fait explorer par mes amis, toutes les archives de l’ouest et du midi de la France. Je me suis procuré, autant que j’ai pu, tous les livres relatifs à mon sujet, et, avant d’exposer mon opinion sur les parias de l’occident, j’ai fait l’histoire des opinions qui avaient précédé la mienne. Jaloux de ne rien négliger, j’ai deux fois visité l’Espagne, j’ai fouillé les archives des Provinces basques et les dépôts littéraires de Madrid, et j’ai vu les Agots de la vallée de Baztan : aussi puis-je inscrire, en tête de la partie de ce livre qui leur est consacrée, quoeque miserrima vidi.
Je ne veux point solliciter d’éloges, mais seulement la permission de faire observer qu’un pareil voyage, entrepris sans recommandations, sans nul secours du Ministère dont je dépends en qualité de professeur de faculté et de membre du comité des Monuments écrits de l’histoire de France, n’était pas sans danger, surtout dans les conjonctures difficiles où l’Espagne se trouvait alors. Je me hâte d’ajouter que le seul désagrément réel que j’aie éprouvé est d’avoir été pris pour un Agot par des gens du pays, qui me voyaient les cheveux blonds et les yeux bleus, et qui ne pouvaient expliquer que par la parenté l’insistance que je mettais à m’enquérir des mœurs de cette race. Il me fut arrivé bien pis si j’eusse tenté d’obtenir ces renseignements des Agots eux-mêmes. Aujourd’hui, comme dans le siècle passé, on voit d’un fort mauvais œil les étrangers converser avec ces malheureux.
Des juifs aux cathares en passant par de véritables lépreux, les hypothèses ont été nombreuses pour tenter de découvrir d'où provenaient les cagots. Ainsi, pour expliquer leur brusque apparition au moyen âge, certains ont même soutenu qu'il s'agissait ni plus ni moins d'une colonie d'extraterrestres ! D'autres, plus prosaïques, ont crus voir dans les cagots, des troupes de sarrasins mises en déroute par Charles Martel. Dans ce cas, il est difficile de comprendre comment une population de soldats donc constituée uniquement d’hommes, aurait pu proliférer des siècles durant ! Car bien entendu, l’union entre les cagots et le reste de la population étant prohibée, il fallait obligatoirement qu'il existe un nombre suffisamment important de femmes cagotes. On ne peut pas non plus assimiler simplement les cagots aux lépreux, car comme le faisait remarquer fort justement Jules Michelet, les premiers, n'avaient absolument pas le droit de porter des armes, ce qui n'était pas le cas des seconds. En ce qui concerne les juifs ou encore les bohémiens, il s'agit de communautés qui ne supportaient pas les mêmes interdits. Et comme l’indique cet autre extrait de l'histoire des races maudites de France et d'Espagne, ils étaient clairement distingués des autres minorités au ban de la société :
Malgré cela, la condition des Agots de la Navarre, comme nous le verrons plus loin ne fut pas améliorée, et postérieurement, dans les enquêtes de pureté de sang que l’on faisait subir pour l’exercice de certains offices, le candidat devait prouver qu’il ne descendait, ni de maure, ni de juif, ni d’Agot, ni d’individu mis en pénitence par l’inquisition.
Et en ce qui concerne la piste des cathares, comme ceux-ci ne sont apparus qu’au XIIe siècle, soit un bon siècle après le signalement du premier chrestian, cela ne paraît pas non plus être la bonne explication d’autant que les zones géographiques d’implantation ne coïncident pas franchement.
A contrario, de nombreux éléments accréditent l’hypothèse de la descendance des Wisigoths, à commencer par des raisons géographiques. Car même si on trouve trace de cagots en Bretagne sous le nom de caquous ou de caqueux, ils se trouvaient en grande majorité dans les régions où vivaient les Wisigoths quelques siècles auparavant. Sous une appellation ou une autre, les cagots étaient présents dans les régions du sud de la France et notamment celles proches des Pyrénées, comme au pays basque où un panneau explicatif à Saint Jean de Luz relate la présence des « kascarots » jusqu’à la fin du XXe siècle. D'autant plus qu'on retrouve la même population en Espagne sous le nom très révélateur d'agots où la ressemblance phonétique avec le mot Goth est encore plus évidente. Il est d'ailleurs très vraisemblable que le mot cagot provienne de la déformation de « caas Goths », « canis Gothus » en latin, soit « chien de Goths » comme l’explique Francisque Michel :
Quant à son étymologie, elle est différente, et j’adopte entièrement celle que P. de Marca nous a fait connaître le premier ; en d’autres termes, j’ai la conviction que cagot a été formé de can, ca (chien), et de goth. On doit s’arrêter d’autant plus volontiers à cette étymologie, qu’elle n’exige ni transposition, ni retranchement, ni aucune de ces figures dont les philologues font un abus beaucoup trop fréquent ; d’ailleurs, qui ne sait que dans la catalogue d’injures que toutes les nations possèdent à l’égard les unes des autres, le mot chien figure presque toujours en tête ? Le french dog par lequel la canaille de Londres désignait autrefois le Français qu’elle voyait passer dans la rue, l’épithète que les Turcs fanatiques accolent toujours au mot Chrétien, tout cela est bien connu ; ce qui l’est beaucoup moins, c’est que tout en nous récriant hautement contre ces expressions de haine religieuse ou nationale, nous les avons employées sans scrupule, dans l’occasion. C’est ainsi qu’au XIIieme siècle, Jean de Flagy appelle les Wandres chiens et enfants de chiennes ; qu’au XIIIieme siècle Gautier de Coinsi et l’auteur anonyme du Roman du Saint-Graal appellent les juifs chiens puants, et qu’au XVIIieme un prédicateur général de l’ordre de Saint-Dominique, écrivant un petit traité de l’expulsion des Morisques du royaume de Valence, les désigne souvent par le mot perros. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les populations pyrénéennes aient donné l’épithète de chien à des étrangers qu’on leur représentait comme infectés d’hérésie.
On nous objectera peut-être que les réfugiés espagnols dont il est question n’étaient pas plus Goths qu’arabes, qu’Espagnols de race ; à cela nous répondrons que l’élément gothique dominait chez eux, et que les Aquitains s’obstinaient à les supposer descendants des premiers pour être autorisés par-là à leur reprocher l’hérésie et l’infection imputée à leurs ancêtres. Nous ajouterons que le mot cagot n’est pas le seul terme d’injure dans la composition duquel le nom des Goths soit entré comme élément, saligot présentant une formation semblable ; sans compter que le nom des deux principales fractions de la nation gothique est resté dans notre langue avec un sens injurieux : nous voulons parlé d’ostrogoth, qui dans le langage familier, se donne à un homme qui ignore les usages, les coutumes, les bienséances ; et de bigot, par lequel on désigne ordinairement un dévot outré et superstitieux, et qui se donnait autrefois aux hypocrites, à ceux qui couvraient leurs vices des apparences d’une dévotion extérieure.
Est-ce si étonnant d’imaginer que les Goths aient été plus ou moins gommés de la langue française alors que dans le même temps, comme nous l’avons expliqué, on tentait de les effacer de l’Histoire de France ?
L’auteur donne également sa version sur l’origine du mot capot :
Le mot capot s’est conservé en français. Faire capot quelqu’un est un terme du jeu de piquet qui signifie faire toutes les levées ; être capot, c’est ne faire aucune main. On dit familièrement et figurément faire capot, rendre confus et interdit, déconcerter quelqu’un. Dans ces diverses acceptations, le mot capot n’est autre chose que le nom des malheureux Cagots, qui faisaient tous leurs efforts pour cacher leur origine ; mais auxquels il est arrivé plus d’une fois, pendant qu’ils discutaient avec quelqu’un sur le pied de l’égalité, de s’entendre appliquer la qualification qu’ils abhorraient. A cette fatale épithète, toutes les facultés du Cagot semblaient anéanties ; un coup de foudre ne produisait pas un effet plus prompt, et le pauvre diable demeurait capot.
De même, le mot cageot, qui de nos jours désigne une femme très laide ne pourrait-elle pas provenir d'une déformation du terme cagot tout comme celui de « cagole », qui dans le Sud, désigne une femme d’apparence plutôt vulgaire ? On peut aussi raisonnablement se poser la question de savoir s’il existe un lien avec le mot cabot, qui comme chacun sait, désigne un chien. Bien sûr, ces étymologies peuvent toujours être discutées, mais elles ont autant de valeur que toutes autres hypothèses, toutes autant improuvables...
On trouve un autre témoignage intéressant dans le livre Voyages aux Pyrénées Françaises et Espagnoles d’un certain T. P. Piquet, qui fut publié en 1828 :
Des noms de plus de deux cents villages, annoncent que là furent les premiers habitants de ces contrées sauvages : ceux de cette partie du Lavedan ont une autre origine, une santé languissante ; les dénominations appartiennent à la langue du nord, aux Goths. Les écrouelles, le scorbut et la gale, fille de la misère, perpétuent dans cette vallée, surtout la race des Crétins, descendance de ces Alains, Scythes d’origine, dont une partie parait s’être fixée au pied des Pyrénées et dans le Valais. Mais que cette affiliation existe ou non, toujours est-il vrai qu’une insouciance, qui va jusqu’à la stupidité, est commune à ces deux populations, et les empêche de sentir tout ce que leur état a de dégoûtant, avec cette différence que la maladie est infiniment moins hideuse sur le gave que sur le Rhône. On ne trouve point à Vidalos, comme à Sion, des malheureux affligés de goitres d’un tel volume, que je les ai vus fléchissant, sous le poids de ces fardeaux, se traîner sur leurs mains, couchant en plein air comme les plus vils animaux. La prévention contre ces crétins, connus sous le nom de Gots, Cagots (chiens de gots), Capots est un exemple de plus de la force et de la durée des haines populaires. Assujettis aux travaux du charpentier, ils vivaient dans la honte et le mépris les plus humiliants, écartés des villes et des villages, comme on les voit encore de nos jours ; ils étaient réputés ladres, et comme tels excommuniés pour l’arianisme, qui fut l’opinion la plus générale du monde entier, et dont les Goths, leurs ancêtres faisaient profession. Ils portaient aussi le signalement d’une patte d’oie sur leurs habits. Les trouvait-on sans chaussure, ils avaient aussitôt les pieds percés d’un fer chaud. Humiliés de mille manières par les lois les plus rigoureuses, on leur faisait la grâce de compter sept d’entre eux pour un témoin ordinaire. Le mot cagot est devenu synonyme d’hypocrite, par une suite du mépris attaché primitivement à ce nom proscrit.
20 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON