Les cagots sont-ils les descendants des Wisigoths (2/2)
Extrait de mon livre Le roi et le graal.
Il semble donc que les cagots aient pu être plus généralement les descendants des populations ariennes. Un élément va dans ce sens : avant le XVIe siècle, ceux-ci étaient plutôt désignés sous le vocable de « crestians », autrement dit chrétiens. Ajouté au fait, que bien qu’à l’écart, ils pouvaient assister aux offices religieux, cela laisse penser qu'il s'agissait bien à la base de chrétiens, mais qui ne pouvaient être considérés sur le même plan que les catholiques. Il est d'ailleurs tout à fait vraisemblable que l'expression « crétin des Alpes » qui désignait aussi les cagots, provienne de la déformation du mot « crestians ».
Concernant l’aspect physique des cagots, il est assez difficile d’en tirer un portrait-robot car ils sont tantôt décrits comme bruns au teint olivâtre, tantôt comme blonds à la peau claire et aux yeux bleus, comme c’est le cas dans ce texte extrait de l’Histoire de France de Jules Michelet :
Ce qui pourrait encore les faire considérer comme les débris d’une race germanique, c’est que les familles agotes chez les Basques sont généralement blondes et belles. Selon M Barraut, médecin, les Cagots de sa ville sont de beaux hommes blonds. (La boulinière, I, 89)
Et il est bien sûr possible que certains groupes de cagots aient été constitués par d'autres peuples confrontés à la même situation que les Wisigoths. C'est ce qu'explique Denis Massiou, dans Histoire politique, civile et religieuse de la Saintonge et de l’Aunis un ouvrage datant de 1846 :
De pauvres pêcheurs, des serfs fugitifs jetèrent, vers le milieu du IXe siècle, les premiers fondemens de la Rochelle. Plus tard cette peuplade à demi-sauvage, habitant des huttes creusées dans le roc et recouvertes de gazon, s’accrut de quelques tribus des contrées voisines attirées par la pêche, le trafic, et surtout l’amour de la liberté. Vers le même temps une colonie de Colliberts, qu’on fait descendre des Alains et des Teifales, habitant la rive droite de la Sèvre et les marécages de l’île de Maillezais, vint, dit-on, du Bas-Poitou s’établir à la Rochelle pour y vivre de la pêche et de la navigation.
Il faut rappeler que si les Wisigoths sont d'origine germanique, les Alains, eux, proviennent du Caucase : on pourrait donc tout à fait envisager que les grands blonds soient majoritairement issus des Goths et que les petits bruns soient plutôt d’origine scythique. Ceci étant toutefois à relativiser par le fait qu'au cours de l'Histoire, des individus d'autres origines ont sans doute rejoint les cagots, que ce soient des soldats sarrasins en déroute, des malades atteints de la lèpre, des cathares en fuite ou toutes autres personnes vivant au ban de la société.
Concernant la présence des Teifales dans le Poitou, même si cela n’a pas de rapport avec les cagots, il est intéressant de citer un passage de La Vienne légendaire & mythologique qui relie celle-ci à la légende de Mélusine, fortement implantée dans la région :
Au XIXieme siècle, des historiens poitevins, l’abbé Cousseau en 1845 et l’abbé Jarlit en 1887 ont soutenu la thèse suivant laquelle ce mythe a été introduit au Vieme siècle dans le Poitou par des Sarmates Teifales, peuplades scythiques adoratrices d’une déesse à queue de serpent et transférées d’Orient en Gaule par les Romains.
Cette implantation d’éléments sarmates et teifales en Poitou ne paraît point contestable. La Notitia dignitatum rédigée en 395-423 sous le règne d’Honorius témoigne que, sous le Bas-Empire, Poitiers fut le siège d’une Préfecture militaire des Teifales. Près de Lusignan, sur le territoire de la commune de Montreuil-Bonnin, les hameaux de Basse et Haute-Tifaille perpétuent, comme Tiffauges, le souvenir des Scythes Teifales.
On a signalé plus haut une légende du pays de Langres tirée d’un sermon de Geoffroy d’Auxerre et relative à une serpente surprise au bain par son époux. Or, il se trouve que le pays de Langres, a été l’une des six préfectures militaires des Sarmates. Pour n’être pas décisives, de telles coïncidences n’en sont pas moins troublantes. Si les Teifales n’ont pas été les initiateurs du mythe mélusin, ils ont sans doute contribué à sa propagation, d’autant que nous sommes assurés par leur présence en Poitou au VIieme siècle par la mention qu’en fait Grégoire de Tours, à l’occasion du meurtre du comte Austrapius.
Pour en revenir aux Wisigoths, Geoffroy Kurth, dans Clovis, tente de retracer ce qu’il advint d’eux après la défaite de Vouillé :
Nous ne terminerons pas ce chapitre sans essayer de répondre à une question : Que devinrent les Visigoths d’Aquitaine après la conquête de leur pays par les Francs ?
Ils furent exterminés, répond avec assurance un chroniqueur du huitie siècle. Clovis laissa des garnisons franques dans la Saintonge et dans le Bordelais pour détruire la race gothique. Et Grégoire de Tours, plus autorisé, nous apprend que Clovis, maître d’Angoulême, en chassa les Goths. Ces témoignages sont formels, et ils reçoivent une remarquable confirmation de ce fait qu’à partir de 508, on ne trouve plus de Visigoths ou du moins plus d’ariens en Gaule. Il semble qu’en réalité l’extermination de ce peuple ait été complète.
Ne nous hâtons pis, toutefois, de tirer une pareille conclusion. Si peu nombreux qu’on les suppose en Aquitaine, si sanglantes qu’on se figure les hécatombes du champ de bataille et les violences du lendemain, il n’est pas facile d’exterminer tout un peuple. Combien ne dut-il pas rester, dans les provinces, de familles visigotiques enracinées dans le sol, pour qui l’émigration était impossible, et qui durent chercher à s’accommoder du régime nouveau ! Un moyen s’offrait à elles : abjurer l’hérésie et se faire recevoir dans la communion catholique. Elles s’empressèrent d’y recourir, et nous voyons que dès les premières années qui suivirent la conquête, elles abjurèrent en masse. Le clergé arien donna l’exemple du retour à la vraie foi, et les fidèles suivirent. L’Église accueillit avec joie et empressement ces enfants prodigues de l’hérésie. Elle leur facilita le retour en permettant aux évêques de laisser à leurs prêtres, s’ils en étaient dignes, leur rang hiérarchique après une simple imposition des mains, et elle consentit à ce que leurs sanctuaires fussent affectés au culte catholique. Il y eut donc très peu de changement ; car, en dehors des sectaires fanatiques pour qui l’hérésie était un instrument de domination, personne n’était attaché à l’arianisme, et la plupart des ariens ignoraient la vraie nature du débat sur le Verbe, qui passionnait les théologiens. Ainsi tomba la fragile barrière qui séparait en deux camps opposés les chrétiens de la Gaule, et il n’y eut plus qu’un bercail et un pasteur.
L’État imita la générosité de l’Église. Il n’est dit nulle part quelle fut la condition politique des Visigoths convertis ; il n’est pas même dit quelle fut celle des Aquitains catholiques. Mais tout nous amène à conclure que ces conditions furent identiques, et nous savons déjà que les Aquitains suivirent celle de tous les autres hommes libres du royaume de Clovis. Ils acquirent d’emblée, et par le seul fait de leur passage sous son autorité, le nom, la qualité et les droits des Francs. Le titre de Franc avait été, à chaque extension de la puissance franque, conféré libéralement à tous les hommes libres du pays conquis. Il en fut encore de même cette fois. Tous les Aquitains, qu’ils fussent Romains ou barbares, entrèrent dans la participation de la nationalité franque. Aucune distinction ne fut jamais faite, sous le rapport des droits politiques, entre ces diverses catégories de Francs, quelle que fût leur origine. Saliens, Saxons, Romains d’Aquitaine ou Romains de la Gaule septentrionale, Visigoths convertis, tous sans exception se trouvèrent réunis sous le patronage de ce nom. Clovis fut le roi de tous, et une large égalité, reposant sur l’unité de religion et sanctionnée par une prudente politique, régna dès le premier jour entre Francs de race et Francs naturalisés. On n’a jamais vu, dans les temps barbares, une conquête se faire dans de telles conditions. Clovis conquit le sceptre de l’Aquitaine ; mais l’Aquitaine conquit la nationalité franque et la pleine égalité avec ses vainqueurs.
On voit que la situation est enjolivée et ne correspond sûrement en rien à la réalité que durent subir les populations vaincues. Il faut aussi bien sûr envisager que pour échapper aux Francs déferlants sur le sud de la Gaule, ceux qui ne se seraient pas repliés en Espagne durent se réfugier dans les Pyrénées ou dans des endroits désertés comme les marais. Ces derniers auraient pu vivre ainsi dans une semi-clandestinité dans des lieux à l'écart du reste de la population. Puis ces premières communautés auraient ensuite été rejointes au VIIIe siècle, par ceux qui remontèrent d'Espagne, fuyant cette fois ci les sarrasins. C’est d’ailleurs la thèse défendue par Francisque Michel dans son livre :
On l’a sans doute déjà deviné, nous croyons que les Cagots sont les descendants de ces espagnols qui n’échappèrent au pouvoir des musulmans que pour ployer bientôt sous un joug mille fois plus pesant, mille fois plus insupportable, et qui durent leur longue misère à un acte de munificence mal entendu, à une erreur de l’administration comme nous le dirions aujourd’hui.
…
Il suffirait peut-être de dire qu’à l’est des Pyrénées, les réfugiés espagnols, dont la majeure partie, comme nous sommes fondés à le croire, se composait de Goths, trouvèrent de nombreuses familles Wisigothes qui y vivaient heureuses sous l’empire des lois particulières de ce peuple, autrefois si puissant, et qu’accueillis en frères par ces familles, ils durent n’être à aucune époque considérés comme étrangers, et se mêler de bonne heure avec elles ; mais il nous semble possible de mieux faire.
A noter que selon certains, le mot hidalgo, désignant un membre de la petite noblesse espagnole, pourrait provenir d’une déformation de hijo de Godo, soit fils de Goth.
Cet afflux de population aurait ainsi obligé ces communautés à s'installer progressivement dans les campagnes environnantes, sans doute vers le XIe siècle, date à laquelle on commence à signaler leur apparition.
Le fait qu’un des symboles distinctifs des cagots était un morceau d’étoffe en forme de patte d’oie ou de canard, les associe de façon indéniable à la reine Pédauque. Et comme dans son cas, on peut penser que l'accusation de lèpre a été sciemment utilisée pour stigmatiser cette population. Faire passer des dissidents religieux pour des malades atteints d’une maladie mortelle contagieuse est une arme d’une efficacité redoutable car c’est condamner cette communauté à la mort sociale ! Même si en l’occurrence, il s’agit de la lèpre, l’expression « être traité comme un pestiféré » prend tout son sens… Mais il faut reconnaître que pour le reste de la population, ils endossèrent le rôle bien pratique de boucs émissaires ou de têtes de turc, ce qui permettait de leur attribuer la responsabilité de nombreux maux…
On l’a vu, les professions en rapport avec le bois étaient parmi les rares que les cagots avaient le droit d’exercer. François de Belleforest en 1575, dans Cosmographie universel de tout le monde va même jusqu’à affirmer :
Beaux hommes, laborieux, fort méchaniques, tous charpentiers et tonneliers.
Quelques lignes de l’historien Augustin Thierry citées par Jules Michelet dans son Histoire de France laissent entendre que ces professions étaient aussi une caractéristique des Burgondes :
Il paraît que cette bonhomie qui est l’un des caractères actuels de la race germanique, se montra de bonne heure chez ce peuple. Avant leur entrée dans l’empire, ils étaient presque tous gens de métier, ouvriers en charpente ou en menuiserie. Ils gagnaient leur vie à ce travail dans les intervalles de paix, et étaient ainsi étrangers à ce double orgueil du guerrier et du propriétaire oisif qui nourrissait l’insolence des autres conquérants barbares…
Faut-il y voir un élément indiquant que les Burgondes rejoignirent les rangs des cagots et qu’ils y apportèrent leur savoir-faire ? C’est probable, car comme les Wisigoths, ils avaient eux aussi en leur temps épousés la cause de l’arianisme et on ne voit pas pourquoi leurs descendants auraient échappés à cet ostracisme.
Même dans le cas où tous les cagots n’exerçaient pas la profession de charpentier ou de menuisier, on peut par contre en déduire que la population non cagote ne souhaitait sûrement pas exercer ces professions de peur de passer pour un membre de cette communauté. Ceci implique donc que la corporation des charpentiers et celle des menuisiers devaient forcément regrouper une majorité de cagots. On peut donc affirmer qu’ils participèrent inévitablement à la construction de bâtiments tels que les églises et qu’ils furent inévitablement présents sur les chantiers des cathédrales.
Il n’est donc pas si aberrant d’imaginer que les cagots, descendants des Goths, aient participé en tant que compagnons au développement de l’architecture gothique, également connu sous le nom d’art français. La présence de nombreux d’entre eux au sein des divers corps de métiers de la construction pourrait ainsi expliquer pourquoi on retrouve la reine Pédauque au fronton de certains bâtiments religieux.
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