Rapport du « Rapport de la CIA »
En 2005, Alexandre Adler s’intéressait au rapport de la CIA et à ce qui serait le monde en 2020. Vision à l’américaine en suivant le rapport NIC 2020 (2003). Nous sommes 4 ans plus tard. Cette vision tient-elle toujours la route ?
Je me proposais récemment de revenir sur des exemples de futurologie en fin de l’article "Futurologues en goguette".
Adler affirme que les Américains ne seraient pas ce que l’on croit des antidarwiniens avec des préjugés tel que le décrivait Michael Moore en réaction à l’ère de G.W. Bush. Ce sont des diplomates, des officiers du renseignement de la CIA qui possèdent leurs propres organismes de recherche et d’évolution mais qui sont, eux aussi, très peu tournés vers le futur et l’extrapolation du passé sur le futur. Un rapport établit par 25 experts indépendants de milieux divers, entre autres, par les futurologues comme Ted Gordon, Jim Dewar et Ged Davis.
"Vers une mondialisation plus malheureuse" reconnaissait Adler d’entrée de jeu dans une titre évocateur. Pas plus, la doctrine de James Moore avec son panaméricanisme ni l’idéalisme naïf de Woodrew Wilson, mais une Amérique très ou trop pragmatique que l’on retrouve au travers de ses présidents et cela pendant deux cents ans de puritanisme et de compétitions acharnées. Ce serait plutôt contre un passé de "containement" (d’endiguement) de la puissance soviétique contre un dynamisme idéologique avec l’argent comme arme et comme outil et l’appui massif d’universitaires compétents entre "conservatisme" et excès dits "démocrates". Pas de géants abouliques, seulement un américain instrumentalisé par les milieux financiers britanniques et antisémitisme. Une économie en voie d’expansion et d’intégration mais avec les États-Unis comme rôle pivot, une révolution technologique toujours plus envahissante, des inégalités sociales persistantes, une montée de l’Asie, des émergents comme les BRIC et des puissances vieillissantes, des politiques identitaires, une insécurité omniprésente porté par une transmutation du terrorisme international, une démocratisation en marche arrière résumeraient les constatations du rapport. Tout cela, sous une cartographie du futur, avancée par l’intermédiaire de 4 scénarios alternatifs et qui, d’après l’auteur, n’arriveraient jamais ensemble.
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Le maxima par la "Pax americana", style GW Bush, en pilotage automatique et bienveillant
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Le "monde selon Davos", style Bill Clinton, simple à concevoir par la liberté de s’associer avec des avantages comparatifs
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Le "nouveau califat", style Ben Laden, sans véritable stratégie pour contrer efficacement la montée de l’intégrisme avec une urbanisation brutale du monde musulman, qui devient la source de l’islamisme idéologique en différentiel avec l’Asie.
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Le minima par le "Cycle de la peur" de style ou conception plus européenne avec le chaos mondial final qualifié de simple et léger.
Des lettres, plus ou moins imaginaires, sont présentées par l’auteur pour en sortir des leçons à méditer.
Une stratégie de secours par multipolarisme tempéré seule pour minimiser l’impact des deux derniers avec une idéologie du même droit à la vie et au bonheur et avec une imagination qui ferait changer la chenille en papillon par les moteurs de la démographie, des ressources naturelles, de l’environnement, de la science, de la technologie, de l’économie mondialisée. Prédictions qui rendraient la mondialisation irréversible mais moins occidentalisée dans une économie plus vaste avec des entreprises privées de taille mondiale propageant les nouvelles technologies. Une montée en régime de l’Asie, une population vieillissante généralisée, de l’énergie suffisante et même en croissance, un pouvoir grandissant mais non étatique, un islam politique puissant mais avec les États-Unis toujours en un acteur unique et puissant, se retrouvent dans les certitudes relatives présentées. C’est donc de la "prédiction" avec une vision dites "dynamique" des futurs possibles pour sortir des pensées conventionnelles.
La crise mondiale dont on voyait les prémisses en 2007, avec la perte d’achat comme initiatrice et des subprimes comme révélateur ; en 2008, avec la crise des banques, et financière comme catalyseurs à la perte de confiance irrationnelle, qui ont bouleversé ces prévisions et mis en déroute les populations du monde de manière brutale et non contrôlable dans son ampleur et sa brusquerie, sont sortis du chapeau de l’histoire. Les certitudes relatives se sont effondrées sur plusieurs plans dans une démonstration par l’absurde. Un déséquilibre entre production et consommation s’est produit, insidieux. Les technologies informatiques misent en oeuvre par le rapport NIC pour analyser le futur n’avaient manifestement pas tous les paramètres disponibles. Alors, l’idée d’être au service des citoyens, ce n’était pas gagné d’avance. La mondialisation, vue aujourd’hui, est en phase rétrograde et un "néo-protectionnisme" est mis en avant par Manuel Baroso, président de la CE, comme le danger ultime. "Le monde sous la menace protectionniste" titrait le Nouvel Obs dans un de ces derniers chapitres. L’économie restreint ses objectifs et s’oblige un chômage technique ou complet, de plus en plus énergique, poussé à son point limite de la fermeture des entreprises souvent hors les murs de la maison mère des multinationales en premier ressort, à la source, ensuite.
Celles-ci grincent de toute part et éjectent les produits qui ne font pas partie du "core business". Les stocks explosent et ne trouvent plus acheteurs.
Davos était mentionné, mais les altermondialistes au Brésil ne l’étaient pas.
L’énergie et les matières premières subissent des fluctuations chaotiques en dehors de l’entendement et de la logique primaire. L’énergie nucléaire poussée vers une sortie honorable, revient en force avec de nouvelles centrales même chez ses précurseurs anti-nucléaires scandinaves. Une controverse éolienne freine clairement les espoirs et minent les élans les plus écologiques. Alors, on se retourne en premier vers les freins de la consommation d’énergies.
Les États, poussés par l’obligation de soutenir leur économie et l’emploi, par les ONG et les lobbies, reprennent parfois les miettes des entreprises privées ou privatisées, en crise de liquidités.
Le "durable" est, désormais, préconisé et encouragé dans le monde occidental pour préserver l’environnement. Les produits bas de gamme se retrouveront, tôt ou tard, repoussés, de fait, aux frontières, les copies radiées pour sauver les économies locales et les marques pour s’épargner un écrasement total et fatal. Les fusions de sociétés ont ralenti de manière drastique. Des rachats de sociétés stagnent dans la peur du lendemain. Ils pourraient être remplacés par des échanges de bons procédés sous forme d’échange d’actions. Une autre technique de l’histoire, en vue ?
Un scénario où seul le jeu en commun serait devenu l’agent liant ou le retour aux cases de départ se dessine, à coup sûr, dans une sorte de recherche forcée de "L’argent du beurre" au plus juste prix. La création de nouveaux blocs alliés tels que celui de l’axe Moscou-Téhéran-Pékin opposé à celui des États-Unis-Israël-Japon ; ceux des deux axes eurasiens, avec au Nord, les Britanniques et les Scandinaves contré au Sud par la France, l’Allemagne et la péninsule Ibérique étaient préprogrammés dans le rapport, sont beaucoup moins d’actualité. Plus aucun bloc économique ne peut en sortir sans la concertation avec les autres et le concours coopératif ou solidaire des voisins. Unir l’ensemble est devenu le défit majeur. Alors, on s’observe. Des plans de relance de plus en plus chers donneront-ils le ressort sans aller aux sources du mal ? La compétition acharnée et suicidaire par la concurrence fait partie de la partie avant "schisme" et la charnière de ce siècle. La peur et la sécurité tout azimut ont dégradé l’économie et miné la production de manière plus accélérée au cours de cette dernière décade. Une dévaluation générale des monnaies se retrouve dans une érosion de la consommation.
L’Europe, ce dit "vieux continent", grâce à sa diversité de cultures n’a pas encore dit son dernier mot, si elle s’en rend compte. Une spécialisation naturelle en fonction des compétences de ses ressources humaines disponibles en éliminant les redondances d’efforts trop régionaux pourrait aider. L’éducation et l’immigration ne seraient plus considérées comme un mal mais, au contraire, un élargissement des potentiels. Ce serait une adaptation de la main d’oeuvre confrontée à une longue période d’immobilisme, disait Adler avec raison. L’OTAN reprend du gallon contrairement aux prévisions du rapport. La France se met sous son ombrelle. Nicolas Sarkozy vient d’en conclure l’accord, en faisant table rase de la volonté d’autonomie de Charles De Gaulle.
Une reprise en main de la Russie s’est produite, hier, en Géorgie, pays qui s’était formé plus ou moins artificiellement sans l’accord de toutes les populations de liens différents qui la composent et qui avait surpris par son réveil soudain. Hautement improbable, disait le rapport.
La Chine et l’Inde ne seront que les acteurs qu’ils voudront dans, semble-t-il, un même jeu de l’autarcie forcée.
Ce qui veut dire, aussi, pour la Chine que le pouvoir d’achat intérieur devra s’élever de manière importante et passer à la consommation "old style" occidentale avec une classe moyenne démocratisée et éduquée sous peine d’asphyxie. Elle devra absorber, très vite, les frais démesurés qu’elle s’est imposée pour les JO de 2008. La surchauffe y a vécu. Le ralentissement de la création d’emploi est dès lors programmé tout en repoussant une nouvelle fois son propre problème du vieillissement de la population. Cela pourrait entraîner une instabilité par le crime, le trafic et l’immigration illégale. Le prix des matières premières soutenues par l’expansion chinoise, oui, si l’expansion s’y poursuit.
L’Inde, par contre, toujours sous le joug de l’idéologie des castes, subit toujours un frein des responsabilités non égalisées sur sa population globale, rythmée par de trop nombreuses vitesses de développement. Une population en augmentation constante avec des eaux en surface de plus en plus polluées, se verra imposer des choix draconiens dans la haute technologie dans les villes en maintenant les campagnes de force, hors course. L’outsourcing massive n’assure plus la sécurité à ses clients comme espéré à la naissance de ce mouvement d’externalisation. Sa population reste seulement locataire de travail temporaire, à bon marché et, donc, non responsable sur le long terme. Il n’y a pas que le prix et la langue anglaise poussée comme véhicules d’une rotation durable.
Le vieillissement des populations, l’environnement sont les problèmes généraux. La moitié de la population mondiale devait vivre dans des pays avec un taux de fertilité inférieur à 2,1 enfants par femme pour maintenir une stabilité et assurer une retraite aux seniors. Comment les pays vont s’y atteler déterminera la sortie ou l’incrustation dans la durée des problèmes. Une cartographie mentale du monde de 2020 avec un changement radical d’optique du progrès hors caricatures pourrait stopper l’hémorragie ou l’inverser par une guerre catastrophique comme ce fut le cas au début du XXème siècle suivie par une dépression mondiale, rappelait Adler. La vraie guerre pourrait devenir plus virtuelle que réelle par la déstabilisation cybernétique paralysant les réseaux d’Internet sources du savoir. Une hausse durable, inscrite dans le rapport NIC, s’il apaisait certaines tensions sociales consolide, dans le même temps, des régimes autoritaires. L’image des Etats-Unis comme modèle, comme gendarme du monde avait, pour longtemps, été remisée à l’ombre des espoirs déçus suivi d’un esprit anti-mondialiste sévère. L’arctique qui dévoile ses profondeurs, à cause du réchauffement climatique, n’a pas été envisagé dans ses conséquences qui peuvent se révéler positives pour les pays limitrophes.
Non, la crise "totale", que nous connaissons, n’avait pas été prévue dans le rapport. Elle a fait sortir du cartésianisme pour devenir systémique. Un profond déséquilibre entre offre et demande en ressort, dans les liquidités nécessaires ou superflues. Après une inflation galoppante de 2007, une récession mondiale fait naturellement baisser la demande en 2009. Rationnaliser tout cela pour retrouver un équilibre et effacer les laxismes et les inégalités du passé à trouver dans l’urgence.
Les risques inflationnistes, les populismes d’Amérique Centrale, les changements de cap à gauche en Amérique du Sud, la conjoncture post 2001 sont peut-être déjà un lointain souvenir.
Le mérite de ce rapport est d’en avoir analysé les changements majeurs sans en avoir décelé l’ampleur et la rapidité dans les espaces et dans le temps. Il avait constaté les déséquilibres de l’endettement des ménages américains, des déficits budgétaires croissants de la balance des comptes mais tout devait continuer si l’infection n’était jugulée sur place, à son origine. Un refus de la hausse des impôts et la chute du dollar ralentirait inexorablement l’économie américaine, disait-on. On sait ce qu’il en est advenu. On parle de régulations, de réformes dans des cycles excentriques pour réguler ce qui était considéré comme automatique.
Aux États-Unis, un nouveau "Messie" est donc là pour changer le pays de fond en comble. Pas besoin de le nommer pour le reconnaître. Messie, pour les uns, Satan, très probablement, pour d’autres. "Après quelques six semaines, des impôts qui servent à réduire les inégalités, des polluleurs devenus payeurs, l’Etat de non-droit bannis, la santé accessible au grand nombre", comme l’écrivait récemment le Nouvel Obs. Loin d’un ravallement de façades.
Ca n’était pas dans les tablettes du rapport évidemment.
De toute manière, l’euphorie de la puissance est un peu passée et n’aurait pas été reproductible d’après le rapport.
Des plans de relances, un nouveau protectionnisme industriel en accord avec un nationalisme renaissant et autarcique.
L’impression de déclin pour les anciens est manifeste. Certains chercheurs pensent déjà à faire machine arrière.
Des mutations géopolitiques, dépendantes des approvisionnements énergétiques, pour les autres. Les marges de manœuvre restent étroites pour les gouvernements endettés. Le domaine publique, forcé, reprend de la vigueur dans le soutien de l’économie. Les levées du secret bancaire, les évasions fiscales, les corruptions et les scandales financiers sont en passe de corrections pour récupérer les fonds de tiroir. Peu importe les techniques utilisées dans ce grand chambardement. Le renversement de tendance a eu lieu, c’est entendu. Le Monde a eu son 11 septembre en plusieurs couches successives. Nous vivons des années charnières à la recherche de consencus. Un monde plus volatile, moins stable, donc.
Entre temps, la France se retrouve avec un soulèvement de ses territoires d’Outre Mer, souvent oubliés. Le Système du Capitalisme suite à la crise est même remis en question par plusieurs analystes pour sortir de l’ornière.
"Des mutations profondes, sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, à la recherche des aiguillages pour ne pas sortir des rails avec peut-être des effets bénéfiques pour l’éradication de la pauvreté", concluait Adler. Qui dirait mieux ?
Vu le retournement de situation dans ces quelques derniers mois, la difficulté de comprendre cette actualité, prédire ce qui va se passer dans 15 ans, n’est, décidemment, pas chose facile même pour la CIA.
Je m’apprêtais à terminer ici, quand je suis tombé nez à nez avec la version 4 de ce Rapport qui vient de sortir de presse et qui, cette fois, veut allonger les prédictions jusqu’en 2025. Il est vrai que sa conception a été étendu à des experts de tous les continents et non plus américains.
Cette version inclu la crise, l’arrivée d’Obama et des corrections non négligeables.
Nouveau film catastrophe ? Pas vraiment, quoique de nouveaux problèmes surgissent. La pénurie d’eau, d’un côté ou le trop plein dû au réchauffement climatique se sont invités dans la danse. Le Sahel, le Darfour crèvent par la sècheresse tandis que Wall Street doit déménager pour échapper à la montée des eaux. Les hydrocarbures qui s’"évaporent" des rêves de consommation à bon marché. Donc, un futur qui suit plus environnemental que prévu précédemment.
Plus multipolaire encore, aussi, et moins américanisé. L’Afghanistan et le Pakistan deviennent des points névralgiques. La réconciliation entre les continents sont au programme. L’association Taïwan, Hong Kong, Macao, Singapour font la nique, économiquement du moins, à la Chine étatisée du pouvoir central. La Corée et le Vietnam sortent leur épingle du jeu. L’Afrique est courtisée par la Chine, l’Inde et le Brésil.
Mais, si 2020, était encore très loin, 2025 rend les prévisions encore plus hasardeuses. Un rapport ne serait rien s’il n’était pas suivi de corrections. Les économistes, eux, ont toujours pu expliquer les erreurs du passé.
Alors, un nouveau rendez-vous dans 5 ans, dans 4, 3, 2 ou 1 an comme l’espace temps se rétrécit ? "L’Histoire n’est pas encore en voie d’achèvement" constatait justement Adler dans sa préface.
Bernard Maris de Charlie-Hebdo en parlait lors d’un interview, suite à son livre "Capitalisme et pulsion de mort". Il proposait : une économie verte plus sociale, coopérative avec des indicateurs de bien-être, budgetiser en remplissant les caisses de l’Europe, effacer les créances par l’inflation et en épongeant ainsi les dettes par ceux qui peuvent le faire, vivre avec une sobriété plus ajustée par une croissance en fonction des besoins plutôt que de suivre le marqueting, se rendre compte que l’argent n’est pas commestible (mythe de Midas), taxer la spéculation et éradiquer les paradis fiscaux. Une utopie ? Non, un changement de mentalité. Très certainement.
L’Enfoiré,
Citations :
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« Je préfère un futur imprévisible à un futur imposteur. », Maurice Schumann
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« Ne t’écarte pas des futurs possibles avant d’être certain que tu n’as rien à apprendre d’eux. », Richard Bach
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« Le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire. », Friedrich Nietzsche
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