Révolution, Contre-révolution
Quoi de plus utile, en ces temps de pollution des esprits, que de vous proposer la lecture de deux pages qui en racontent mille ; la courte préface de JACQUES BOISLEVANT au petit livre de Louis Daménie*… Une puissance d’analyse que l’on trouve rarement en ce siècle de pauvreté intellectuelle. Je vous propose le texte intégral de cette préface qui vous invitera, à coup sûr, à lire le livre en entier ou qui sait à... le réviser. Naturellement les mots soulignés et les expressions entre guillemets le sont aussi dans le texte d’origine.
Préface
Il est peu d’hommes, parmi nos contemporains, qui se soient penchés avec autant d’attention sur le phénomène révolutionnaire que Louis Daménie. Son extraordinaire sens du devoir, sa passion pour le vrai, sa foi profonde et sa fierté de Français le conduisaient naturellement à un examen approfondi de la grande vague qui a renversé nos institutions et qui, aujourd’hui, menace d’engloutir ce qui subsiste de la civilisation chrétienne. Il n’est pas exagéré de dire que Louis Daménie s’est adonné à cette étude avec une sorte d’acharnement ; avant même d’être la cause d’effroyables malheurs, le scandale pour l’esprit que représente la Révolution est assez formidable pour exiger une explication et il ne pouvait se satisfaire des analyses qui lui paraissaient incomplètes, trop partielles ou parfois trop incertaines pour recevoir l’adhésion totale de son intelligence. C’est donc avec minutie, avec humilité aussi que Louis Daménie a lu les ouvrages des grands contre-révolutionnaires et qu’il a su, grâce à son esprit de synthèse, dégager les fils conducteurs qui permettent de résoudre l’énigme. Il avait à peine rassemblé, sous forme d’un Cahier, les divers articles qu’il avait consacrés à cette question dans l’ordre Français qu’éclatait la révolution avortée de 1968. Le déroulement de cette pénible mascarade ne faisait qu’apporter une éclatante confirmation à l’analyse qu’il avait faite, comme en témoigne la postface de son ouvrage. On peut dire qu’elle recevait, aussitôt publiée, la sanction de l’expérience.
On ne trouvera, dans ce petit livre, aucune idée tout à fait nouvelle et originale, mais une trame, un canevas, une synthèse, aboutissements de l’examen comparé de la thèse du Père Barruel et de celle d’Augustin Cochin. Louis Daménie nous montre avec précision comment ces deux thèses, loin de s’exclure mutuellement, se complètent et s’harmonisent ; qu’il est juste de reconnaitre, avec Barruel, l’existence d’une sorte de complot permanent contre le christianisme et même contre l’ordre naturel, complot dépourvu de chef apparent et peut être même de chef réel, qui se perpétue et se propage, comme l’incendie des forêts, de broussailles en broussailles, par l’action de multiples pyromanes, mais qu’il faut admettre également selon la lumineuse démonstration de Cochin, l’effet de la logique interne de la « société de pensée », moteur de cette machine que ses desservants ne maitrisent plus et qui sont broyés par elle après l’avoir mise en marche pour anéantir leurs adversaires. En bref, si le Mal à un inspirateur permanent, dont la volonté de refus et de révolte suit une ligne inflexible et continue, il arrive un moment où l’apprenti sorcier devient impuissant à contrôler, à modérer ou diriger l’incendie qu’il a allumé. N’en est-il pas de même pour ces guerres qui, au moment où elles éclatent, se parent d’une sombre fatalité, plus décisive et plus impérieuse que la volonté des puissants du jour ?
La complémentarité entre l’analyse de Barruel (qui est aussi celle de J. de Maistre et de Crétineau-Joli) et celle de Cochin (qui prolonge et éclaire le travail de Taine) doit être examinée également sous un autre angle. La première nous permet d’identifier l’ennemi : le libre examen, la Franc-Maçonnerie, les sectes, la « philosophie » révolutionnaire, sous son double visage du libéralisme et du totalitarisme. La seconde nous renseigne, avec un réalisme et un pragmatisme remarquables, sur les méthodes de l’adversaire : le principe de la décision préalable, l’art d’acquérir un vote, la préparation et l’exécution d’une journée révolutionnaire… Nous savons ainsi qui est l’ennemi et comment agit l’ennemi, comment aussi il déclenche un mécanisme dont le fonctionnement finit par lui échapper. Aucune tâche, en l’an de grâce 1988, n’est plus urgente, plus pressente, que l’enseignement de ces principes aux nouvelles générations.
Depuis quelques millénaires, l’homme n’a rien inventé de neuf, sinon des techniques, c’est-à-dire des outils de plus en plus perfectionnés : de même, le révolutionnaire de la fin du XXe siècle emploie les mêmes procédés et s’appuie sur les mêmes principes que ses devanciers de 1789 ; toutefois il dispose de moyens beaucoup plus puissants que ceux-ci, et il est par là même encore plus redoutable. En effet, si la pensée révolutionnaire s’élabore toujours dans des cercles peu connus, dans des cénacles obscurs, dans des officines secrètes, les moyens de diffusion ont été portés à des degrés de perfectionnement extraordinaires. Au XVIIIe siècle, le libelle circulait sous le manteau, grâce à la complicité d’un Malesherbes, mais ne touchait guère que les gens cultivés ; de nos jours, chaque chaumière reçoit, sans aucun délai, le mot d’ordre subversif, le mensonge officiel, l’ordure télévisée ; les tireurs de ficelles n’ont même pas besoin de faire appel à ces relais innombrables qui ont façonné l’opinion publique et transformé en vérités officielles les mensonges le plus grossiers. Pour plus de sûreté, ces relais sont plus actifs que jamais : nous ne manquons ni de clercs dévoyés, ni d’idiots utiles.
Un autre caractère propre à notre époque est le développement considérable du terrorisme, ce qui n’est concevable que dans une société déjà fortement décomposée. Il est impossible de comprendre l’action permanente de la « gauche » française (action que, bien à tord, nos chers modérés jugent aberrante), tant que l’on n’a pas compris ce qui est l’essence même du terrorisme : le rejet violent, la démolition délibérée et provocante des institutions les mieux établies, des canons les plus universels de la morale et de l’éthique, la haine viscérale de l’ordre, le refus de toute autorité -toutes idées qui étaient déjà infuses dans la vision romantique et qui ont peu à peu envahi notre univers. Entre l’assassin qui lance une bombe dans un super marché et le désaxé qui se déculotte en public, il n y a pas de différence de nature, mais simplement de degré. Lorsque M. Mitterrand déplore publiquement « la force injuste de la loi », pour soutenir les émeutiers calédoniens, il se comporte en terroriste et l’on ne doit pas être surpris des faveurs qu’il réserve à M. Lang, l’immortel fossoyeur du Palais Royal, un des terroristes les plus doués de sa génération. Avec MM. Arpaillange, Schwartzenberg et bien d’autres à leurs côtés, nous n’aurions que l’embarras du choix, si un prix devait être discerné au plus éminent terroriste de la gauche française.
De tous les terrorismes, le plus redoutable est à coup sûr le terrorisme intellectuel, parce qu’il impressionne moins l’opinion populaire. Or cette forme de terrorisme sévit, de nos jours, à un point tel que l’on peut, sans aucune exagération, affirmer l’existence d’un délit d’opinion, durement réprimé par nos lois, et que seuls quelques admirateurs crédules de la démocratie libérale peuvent croire incompatible avec l’esprit de cette institution. On rejoint ici, très directement, l’analyse de Barruel sur la propagation de la « philosophie des lumières » au XVIIIe siècle et sur le comportement agressif des « cacouacs ».
Aux jeunes gens soucieux de comprendre comment se prépare une révolution, je proposerais volontiers une étude comparée des journaux de notre temps et des récits de Barruel, complétés par l’analyse de Daménie : la campagne d’opinion contre Le Pen, l’O.P.A. des progressistes sur l’Eglise de France fournissent deux exemples bien caractéristiques des procédés révolutionnaires. Nos journalistes et nos clercs n’ont rien inventé ; ils n’ont fait que reprendre les méthodes éprouvés des encyclopédistes et des modernistes du siècle passé.
S’il est des maladies graves qui provoquent de forts accès de fièvre et qui inquiètent à juste titre les proches du malade, il en est d’autres qui ne sont moins redoutables quoique leurs effets soient plus lents et moins visibles. Le premier constat qu’il convient de faire, c’est que la société religieuse, comme la société civile, sont fort avancées dans une crise typiquement révolutionnaire et qu’il suffira, demain, d’une étincelle pour transformer le feu qui couve en un énorme brasier. Il serait insensé de le nier, hautement coupable de le reconnaitre sans entrer dans la lutte. Mais toute action qui n’est pas sous-tendue par une claire vision des enjeux et par une solide connaissance des méthodes de l’adversaire est vouée l’échec : si demain la « machine » de Cochin se met en mouvement, qui pourra l’enrayer, sinon ceux qui en connaissent bien les rouages ? A la veille du bicentenaire le plus sinistre de notre histoire, la réédition du petit livre de Louis Daménie doit donc être saluée comme une solide contribution au bien public ; puisse t-il éclairer tous ceux qui sont résolus à se croiser au service de la Contre-révolution.
JACQUES BOISLEVANT.
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*La lecture du livre de Louis Daménie serait d’une grande utilité
La Révolution Phénomène divin, mécanisme social ou complot diabolique ?
(Troisième édition)
Editions Dominique Martin Morin
Bouère – 53290 Grez-en-Bouère.
N° 2060- ISBN 2-85652-104-5- D.1 : novembre 1988.
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