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Roman feuilleton : les gueules cassées de la mondialisation (chapitre 13.4)

La vie à minima 

Après de multiples péripéties, l'homme de la rue finit par être casé dans un logement de plus de 9,5 m2 et redevient normal, dans la norme. Il devrait exulter. Le voici de nouveau dans la société de consommation. D'où vient alors cet arrière goût d'échec de vie à minima, recroquevillée, desséchée ? La norme serait-elle faussée ?

Ayant réussi à retrouver les attributs de son identité : carte d'identité, passeport, carte d'électeur, statut d'imposable, des relations, quelques amis, un bail de location, M ne tarde pas à s'apercevoir que touchant le mince filet de sauvetage social, sans réelle perspective de métier qui serait colonne vertébrale de l'identité personnelle et sociale, il commence de s'installer doucement et avec tant d'autres ! dans le moisissement puis le pourrissement,
comme les arbres qui ayant depuis longtemps cessé d'être en sève mais encore debout, parfois pour de longues années avant que la vermine qui les rongeait les fragilisait les fasse tomber un jour de tempête. Des arbres, il a pris le caractère statique n'ayant pas assez
d'argent pour bouger. L'auto, le train, le bus peuvent être oubliés à moins de recourir à la solidarité l'assistante sociale pour un billet "social" ou de "solidarité" et à condition d'ouvrir en grand sa vie privée.
 
Le strict minimum pour vivre en société en France, petit appartement le plus modeste
possible, vêtements décents, internet pour ne pas se retrouver dans la fracture numérique, téléphone portable au moins pour être appelé, électricité, chauffage, assurances ne coûtent pas moins de 500 €. Rajouter 10 € par jour pour la nourriture. Rajouter 5 € pour avoir
quelque-chose pour voir des amis mène immanquablement à 950 €, le seuil de pauvreté en
France, assez bien fixé.
Prendre une fois le train aller-retour pour la grande ville serait tomber dans la spirale qui série de chûtes qui enclenchent la mise à la rue. Alors, on ne bouge plus. On prend racine, on regarde passer les trains, bus, autos.
 
L' Homme qui a reçu de la nature la liberté d'arpenter le monde régresse et retourne au monde végétal. Il redonne à l’État en boisson, tabac, jeu et taxes nationales, régionales, européennes, départementales, communales ce qu'il a reçu. Il est retombé en servage et se prend parfois à regretter la liberté et les dangers de la rue. Les rescapés du naufrage social le disent eux-mêmes : « je suis à moitié mort », « ils m'ont tué » avant que de retomber dans leur taciturnité ou leur aigreur qui ne les quittera probablement plus jamais sauf miracle, rencontre improbable, révolution ou simplement renaissance à l'amour.
 
La conversation quand il ne s'agit pas d'échange de monologues s'en ressent. : paroles
vaines ne débouchant sur rien, à l'imparfait, au conditionnel passé, au futur hypothétique ou mythique,au présent intemporel volitif putatif : mythomanie ou excessive lucidité alcoolique, homme à minima palliatifs qui agite comme une crécelle des mots, des rites, des « activités » ou des projets auxquels il ne croit dans le fond plus.
 
Qu'il essaie de secouer un peu la toile d'araignée où il se trouve et sa réalité lui retombera dessus immanquablement sous forme de lettre bancaire, de signification d'huissier, de frais de non paiement. Il est plus serf que le serf d'ancien régime. Les œuvres de charité qui existent encore sont complétée / remplacées par l'assistante sociale qu'il faut périodiquement aller voir et qui veille sur votre "dossier" avec une maternelle bienveillance. . Assistante sociale compréhensive et de bonne volonté mais qui n'en remplit pas moins un dossier
( « fumez-vous ? Combien par jour, Faites-vous la cuisine ? Vivez-vous seul, en couple, depuis quand ... ») et dont le secret professionnel ne vaut pas plus que celui du médecin, du banquier ou de la sécurité sociale en cas d'inquisition de l’État dont elle n'est que le serviteur.
 
Qu'un gouvernement décide de faire de la « fraude à la solidarité nationale » un contre-feu pour faire oublier sa gestion désastreuse des deniers publics et à une échelle bien pire (on parle de trillions d'argent public engloutis en pure perte pour sauver une dizaine de banques
zombies qui de toute façon vont s'effondrer) et tous les fichiers sont là, bien rentrés dans l'ordinateur, certains noms suivis d'une étoile qui n'est pas encore jaune : M.Legrand* signifiant fraudeur possible. Une simple loi ou révision de la constitution express et les relevés de comptes bancaires (demandés par l'assurance maladie), la localisation des retraits peuvent être disponibles, les pages internet visitées. Il reste à autoriser la justice à
juger 100 cas similaires en bloc et on change de type de société.
 
Penser que des fonctionnaires protesteront autrement que timidement et sans effet est une illusion. Le fonctionnaire est toujours et reste le serviteur de l’État.
 
Plus, Il est facile d'imaginer que ne pas fumer ou ne pas boire peut vous faire tomber dans la case avec une asterixe : mieux habillé, sortant de la masse, victime peut être de la délation d'un alcoolique-fumeur à qui on renvoie sa vraie image, les conditions de revenus étant les mêmes, on a vite fait de tomber dans la case « dissimulation de revenus » sans même s'en être aperçu. Attention ! « ne pas dépenser 50 % de son minima social en tabac et en
« demis » peut vous coûter cher dans une société malade !
 
Malgré la sympathie pour des travailleurs sociaux qui n'ont souvent pas la tâche facile et qui sont de toutes façons indispensables dans l'état actuel de pourrissement des choses , on ne peut qu'exprimer une sourde désapprobation face à un système qui encourage les hommes à se laisser aller et qui punit financièrement ceux qui se battent pour s'élever et s'en sortir. La
condition de l'homme à minima se situe entre l'assignation à résidence de fait et la bureaucratie communiste de l'URSS.
 
Dans la rue au contraire, l'homme peut accéder à sa condition d'homme. A chaque instant la nature résiste, la société résiste, les pieds résistent, le corps souffre. Sauf à s'abandonner à la moiteur du métro, l'homme de la rue est au combat, il se forge, il devient. Contrairement à ce
qu'on peut croire, rien ne lui est donné : tout coûte une heure de marche, une heure d'attente, des rebuffades, des refus, des correspondances, du sommeil interrompu, des réveils douloureux. A quand la médaille des anciens combattants de la rue ?
 
Si vivre, c'est accéder à soi, la rue est une sacrée façon de se forger. 
 
Au contraire : installé dans le doux pourrissement de la tabagie et de l'alcoolisme, combien prévisible est le futur du récipiendaire des miettes nécessaires versées au chômeur déclassé. Demain sera comme aujourd'hui, bien que très légèrement plus terne : un jour l'accident
surviendra dans une indifférence assez générale. Le pourrissement est aussi mental. On n'a plus la force de grands sentiments, on se rétracte sur soi. Le temps des grandes douleurs est terminé depuis très longtemps. Une crise cardiaque a emporté un compagnon de bar. On en
parle deux semaines puis on passe à autre-chose.
 
Il fallait sortir de cette vie à minimas qui aboutissait à une banqueroute, spirituelle cette fois-ci.
 
Le titre : les geules cassées de la mondialisation est choisi en mémoire du prix Nobel Maurice Allais La Mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance, l'évidence empirique (Ed. Clément Juglar, 2007 - ISBN 978-2-908735-12-3) et fait référence aux "gueules cassées" des soldats de la première guerre mondiale. Les hommes de la rue sont de la chair à canon qui s'ignore même s'il n'y a plus de canons, victimes d'une guerre sans merci qui demandera chaque année son quota de nouvelles victimes. L'ogre mondialisation, via ses avatar bruxellois, Goldman Sachs et FMI, n'a pas fini de lever de nouvelles classes d'âge. Tous y passeront. 

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2 réactions à cet article    


  • julius 1ER 10 août 2013 10:24

    pamphlet humaniste sur ce qu’est devenu notre société, et encore l’image pourrait être encore plus sordide sans accuser l’auteur d’exagération, non cette société ne peut plus permettre l’épanouissement du plus grand nombre, la question est : jusqu’à quand cela va t-il durer ????

    au 17ie / 18ie siècle les gens payaient les impôts écrasants que levaient les monarques, mais à la sortie du bois ils détroussaient le prévôt chargé de recouvrir ces dits-impôts ............. ;

    • Méfrange 10 août 2013 12:13

      Julius 1ER fait bien de rappeler qu’au XVII, siècle malheureux du fait de l’écrasante pression fiscale de Louis XIV, des percepteurs d’impôts ne revenaient pas. Une société est légitime quand elle permet au plus grand nombre de s’épanouir. Sinon elle est illégitime et doit être renversée ; 


      Pour ne pas être traité de révolutionnaire et de terroriste, je cite le dernier article de Jacques Sapir écrit bien après ce chapitre qui définit la notion d’anomie sociale. : 

      "Dire qu’une personne est malade n’est pas la stigmatiser. Mais il faut identifier les causes de sa maladie, et pour cela la décrire, si l’on veut la soigner (...) Le chômage de masse laisse une partie de la population hors de tout cadre de socialisation, enfermée entre une télévision qui ne lui donne comme modèle que des trajectoires individuelles en réalité inaccessibles et une réalité quotidienne qui la ramène aux réalités de sa misère. Dès lors, l’individualisme narcissique qui est en réalité l’idéologie du néo-libéralisme tourne à vide et se transforme en anomie. Le seul remède, même si la formulation apparaît autoritaire, est une « mise au travail » qui permettra de recréer du lien social.« 

      Tout le reste de l’article est un régal intellectuel (Jaques Sapir excellent (pas brillant et creux en trois parties comme un énarque-science-po) mais intelligent, profond, lucide comme toujours), tout le reste de l’article se comprend grâce à son titre  »De Clichy à Trappes, pour finir par la Lanterne« 

      La lanterne, fait naturellement référence à la révolution française et au »les aristocrates à la lanterne, les aristocrates on les pendra« très probablement aux croc du boucher ... heu pardon aux lanternes de Paris. Aujourd’hui les énarcocrates ont remplacés les aristocrates et affament le peuple qui doit aller dans les poubelles ou mendier lamentablement. 

      Ce n’est pas un appel à haine que de constater simplement la direction probable qui sera prise par la société quand une ligne rouge, celle de la faim, aura été franchie. 

      Il y a des solutions comme celles proposées par Sapir, une autre très élégante en débat étant pour tous des droits de tirage spéciaux sur les ressources, un revenu maximal pour amorcer ce qu’Edgar Morin appelle le »vivre bien" ou lieu de la course à l’argent. 




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