« Un sujet brûlant, Burn-out aux urgences » de Franck Mazière : un thriller gore… Sévère, mais juste !
J’ai eu l’honneur de rencontrer le médecin et écrivain Franck Mazière dans un récent Salon du livre. Placés dans l’ordre alphabétique, nous étions voisins de table. Moi qui ne suis pas toujours enclin à la littérature contemporaine, j’ai découvert avec plaisir et fascination son thriller hospitalier, publié aux éditions Les passagères. Compte rendu.
Tout d’abord, pour les scolaires et les lecteurs débutants, un peu de narratologie. Il ne faut pas confondre les thrillers et les romans policiers traditionnels. Dans le thriller – de to thrill, frissonner – un méchant, identifié assez tôt dans le roman, joue avec les institutions et nous fait vivre ses crimes comme en direct. Dans le policier traditionnel, un crime inexplicable se produit en début de roman, et l’on apprend dans les dernières pages, au terme d’une enquête compliquée éventuellement jalonnée d’autres crimes, qui est le véritable coupable.
Le thriller s’adresse prioritairement à la sensibilité et cherche à susciter une émotion d’effroi tout au long du roman. Le policier traditionnel joue davantage avec l’énigme, nous égare dans des fausses pistes, défie nos capacités intellectuelles. Bien évidemment, il peut exister des mélanges entre les deux genres.
Le roman du docteur Mazière est, très clairement, un thriller. Mais, première liberté avec les codes du genre, le méchant n’apparaît comme tel que dans la deuxième partie. La première partie, très sociologique, voire politique, nous dévoile l’horreur des urgences françaises dans un hôpital parisien de fiction – mais plus vrai que vrai – appelé ironiquement l’Usine. On se doute bien qu’un psychopathe va surgir de cette histoire, mais on ne sait pas vraiment qui, d’un sous-chef de service imbuvable, ou d’un médecin plus jeune et sportif, mais qui commence à fatiguer. Et pourtant, Franck Mazière, servi par un style alerte et viril, très contemporain, ne nous ennuie pas un instant.
Nous avons alors un direct de la vie hospitalière, avec le cortège lamentable des patients ripoux des urgences, qui passent avant les autres, assistés, revanchards, bien protégés par des institutions « républicaines » complaisantes. Vieux alcooliques, jeunes drogués, racailles sans foi ni loi mais très revendicatives se livrent à des violences morales ou physiques sur des soignants – médecins et infirmières – prolétarisés, déconsidérés, pas soutenus ; et, comme on s’en doute, très souvent justice et administration sont à deux doigts de transformer les victimes en coupables ou les parfaits salauds en petits saints.
La première partie, c’est vraiment la France d’aujourd’hui, l’inversion des valeurs avec sa culture de l’excuse omniprésente, son gauchisme Bisounours et son centrisme à tout faire, c’est-à-dire à ne rien faire. Évidemment, l’ennemi n’étant pas qu’en dehors de l’hôpital, à l’intérieur même de « l’Usine », des chefaillons lâches ou cyniques prennent le parti des agresseurs contre les agressés, un peu comme chez nous, dans l’Éducation nationale, où pullulent les « pédagogistes » bien-pensants, hiérarques ou simples collègues, prêts à saborder le peu de sérieux qui reste.
Cette première partie est indispensable : elle entretiendra quelque empathie du lecteur vis-à-vis du tueur psychopathe qui, pour le coup, est une victime authentique et elle rend l’histoire d’autant plus terrifiante qu’elle n’est pas dénuée de vraisemblance, comme si chacun d’entre nous, au terme d’un burn-out, pouvait « péter les plombs » et devenir ce type de psychopathe.
La seconde partie constitue le thriller proprement dit, où le tueur se livre à trois crimes, avec une gradation : un meurtre sauvage, puis un supplice atroce et, pour finir, une apothéose que je ne raconte pas trop pour éviter de « divulgâcher ». Très intelligent, malin, médecin lui-même, il joue constamment avec la police et la justice de notre si beau pays, qui, pour une fois, se montrent plutôt professionnelles (il faut dire que les crimes sont particulièrement gores). Cela dit, l’enquêtrice, Miranda Heart, est une Écossaise d’origine…
Un médecin mentalement détruit, dans une France décadente, pour ne pas dire dévastée… J’avoue avoir fait une lecture très politique et philosophique du roman de Franck Mazière. Les crimes commis par le personnage principal m’ont fait penser à ces crimes « à l’espagnole » décrits par le très germanique, mais hispanisant Arthur Schopenhauer dans Le monde comme volonté et comme représentation. Le philosophe cite l’exemple d’un ecclésiastique à Madrid qui, révulsé par l’occupation napoléonienne, avait invité des officiers français à sa table pour les empoisonner et s’empoisonner avec eux. Ce sont des crimes désespérés où, quitte à tout perdre, le criminel (mais s’agit-il vraiment d’un criminel ?) essaye de rétablir un semblant de justice tout en lançant quelque avertissement aux générations futures.
Il s’en faut de très peu pour que la France d’aujourd’hui, vieil État-providence désormais à la ramasse, dont les institutions livrent la brave classe moyenne qui travaille pieds et poings liés aux gredins assistés de tout poil, n’en vienne à multiplier ce que Schopenhauer appelait au XIXe siècle des « crimes à l’espagnole » (le risque est même probablement plus haut que dans l’Espagne d’aujourd’hui qui me semble un pays plus sain, où subsiste tout de même un certain bon sens).
Bref : l’excellent thriller de Franck Mazière est aussi une prise de position politique ou métapolitique ; c’est du moins comme cela que je l’interprète, et c’est ce que l’auteur lui-même suggère un peu à la fin de la page des remerciements. Qui disait que le thriller se réduisait à une simple fiction pour amateur de sensations fortes ?
Pour se procurer l’ouvrage de Franck Mazière :
https://editions-lespassageres.fr/Burn-out-aux-urgences/Burn-out.html
https://www.amazon.fr/D%C3%A9gage-Franck-Maziere/dp/B0BBPM2R4W
Florian Mazé,
Professeur de philosophie, traducteur, écrivain
Auteur de romans d’anticipation :
https://www.amazon.fr/2194-nouveau-pacte-avec-dieux/dp/B09DMR9B61
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