Avale-Loire : étape 12
La Possonnière – Chalonnes – La Possonnière.
Journée de repos.
La Possonnière est une étape idéale pour poser son baluchon et reprendre quelques forces. L'accueil qu'on vous y fait est simple et chaleureux, naturel et sincère. Il y a en ce pays quelque chose de la douceur de vivre que nous vantait Du Bellay. C'est un petit village où fume la cheminée pour recevoir auprès d'elle, les amis, qu'ils soient de toujours ou bien de passage.
J'ai ce privilège d'être reçu en la demeure de gens attentionnés qui ne me connaissaient pas. Une soirée chaleureuse et passionnante, une tablée de 9 personnes qui allaient refaire le monde une partie de la nuit. Aucun marinier dans cette troupe hospitalière, simplement l'envie de connaître un peu mieux celui qui passait par là. Un bonheur rare pour lequel je tiens encore à les remercier.
Dans quelques minutes, je vais appareiller sur la « Rue du Tangage » pour me rendre au marché de Chalonnes. Chaque mardi et samedi, Alex propose aux gens d'ici comme aux touristes cette agréable manière de faire ses courses. Un retour à ce qui se faisait autrefois, un moment en suspension, une parenthèse maraîchère. Je ferai le mousse bavard, le rôle qui me convient le mieux. La manœuvre de la langue n'a désormais pour moi plus de secret même si parfois il m'arrive de connaître la dérive langagière, l'écueil syntaxique ou le naufrage sémantique …
La balade fut belle, les passagers curieux des explications et participatifs. Un groupe comme je les aime où l'on peut passer de l'information sérieuse à la fable. Ver-Vert, le perroquet de Nevers a profité de l'aubaine pour se poser dans les gréements. Nous avons aussi fait le tour de nos vignobles, il y a de quoi parler et Alex le local de l'étape a évoqué les soubresauts de la marine avec la chaux et le canal de Nantes à Brest. Quel bonheur que d'apprendre encore sur cette rivière.
Les passagers débarqués au marché de Chalonnes, j'eus juste le temps de saluer de la main les gars de Chalonnes. Je repartis avec un groupe pour une promenade au fil de l'eau d'une heure trente avec un groupe plus familial. Les enfants étaient sages sans trop écouter les histoires. Ce sont leurs parents qui écoutaient. Inversion amusante des rôles ! Quant à nos amis du chantier du Gabardeau, ils m'attendent demain matin pour un petit déjeuner sympathique.
Ce soir, je vais laisser filer les gens de la Possonnière à leur bivouac que je redoute un peu. Je m'en suis confié à Alain qui comprend que je souhaite bien me reposer avant cette dernière ligne droite. Dimanche soir Montjean m'attend, lundi Ancenis et mardi j'arrive à Mauves. La Loire va se gonfler et commencer à me renvoyer les effets de la marée. Il faudra sans doute pousser plus fort sur la pagaie !
Le vent se lève. Un avis orange d'orage a été envoyé à plusieurs reprises à mes amis de La Possonnière. La prudence est désormais un parapluie qu'on ouvre à tous propos. Les mariniers sont circonspects, les avis précédents ayant fait chou blanc, l'alerte perd en crédibilité. C'est ainsi que lorsqu'il faudra vraiment se mettre à couvert, certains en auront assez d'être pris pour des gogos et se trouveront surpris et le bec dans l'eau. Nous vivons une époque étrange !
Alex vient à ma hauteur. Il rentre d'une nouvelle balade, il a installé des gens dans sa toue cabanée qui fait chambre d'hôtes. Il n'arrête pas une seconde durant l'été. Lundi, il reprendra son activité de pêcheur professionnel. Il a deux lots et en exploite deux autres. Vingt kilomètres de Loire et de Sarthe avec une flottille de 4 bateaux de pêche, de nombreux déplacements d'un lot à l'autre. Pour la friture, il pêche avec une senne, un filet droit qu'on fait pocher pour que le poisson s'y emprisonne. Un beau geste de notre pêche traditionnelle.
Il use naturellement d'engins qu'il marque de bouées grises, sa marque personnelle, pour que chacun ici, sache que c'est lui qui est responsable de la chose. Il pêche encore au filet dérivant. Il fume ses mulets, vend ses poissons et ne joue pas les intermédiaires quand sa pêche n'est pas suffisante à satisfaire toutes les demandes. Il a des principes qui l'honorent.
Voilà un homme de Loire ni plus ni moins glorieux que quelques autres qui ont décidé de vivre de la rivière tout en l'aimant profondément. Il vit son pays et sa passion avec la sagesse de ceux qui ne se prennent pas au sérieux. Je sais qu'il trouvera ces quelques mots trop excessifs. Je peux vous assurer que non. Il a encore bien d'autres cordes à son carrelet car il faut avouer que l'arc n'est pas commode pour remplir la mission qui est la sienne, mais nous les tairons pour ne pas l'importuner davantage.
Modestement sien.
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