Dans le deçà des mots
Piglià a machja
Les Marquis de Massa dont les racines se situaient en Toscane s'implantèrent en Corse en février 1080 dans la grande partie septentrionale, dite Cismonte. Ils connurent une période faste durant laquelle ils se concilient les puissants monastères en se montrant très généreux à leur égard. L'argent est toujours un puissant moyen d'intégration tout en forçant aisément la conviction.
Le premier de la grande lignée des Massa était capitaine des Galères du pape Grégoire VII. Qu'un pape possédât des galères prouve que le dogme est assez peu regardant sur les préceptes de la Charité chrétienne, mais ceci est une autre histoire. L'homme mit les pieds sur l'Île porteur du titre de Marquis de Massa, titre octroyé à la sueur des rameurs.
Rapidement lui et ses successeurs se voient investis grâce à une opportune politique généreuse auprès des évêques locaux, des pouvoirs religieux, administratifs et judiciaires sur un vaste territoire. La famille fait alliance avec Gênes, ce qui prouve qu'elle ne manque pas de sens politique alors que les génois étendent leur pouvoir durablement sur la Corse dont ils firent rapidement le tour.
Les marquis de Massa sont de fins stratèges, l'un d'eux participe à la campagne pour investir la Sardaigne tandis que ses successeurs deviennent des bâtisseurs pour prémunir la population autochtone des attaques mauresques. Cinq castrums et un château se dressent grâce à eux pour servir de refuge en cas d'attaques venant de la mer, les redoutables razzias, cauchemars de tous les insulaires. C'est la forteresse de San Colombano de Giussani, à quelques encablures de l'Île Rousse, site qui constituera leur nid d'aigle, leur citadelle inexpugnable.
Ce puissant château fut construit sur un piton calcaire escarpé, à 738 m d'altitude, surplombant le col éponyme. Ce point de passage entre la vallée du Golo et la Balagne est d'un intérêt stratégique considérable. De là, les marquis de Massa fondent leur puissance et leur richesse jusqu'à ce que les affaires ne tournent plus en leur faveur.
Un siècle plus tard en effet, la famille voit sa zone d'influence se réduire considérablement à un petit nombre de « pièves » du nord de la Corse. Ce sont des circonscriptions territoriales et religieuses dirigées par une église rurale avec un baptistère. Sentant le vent du boulet l'un des derniers maquis donne au monastère de la Gorgone ses droits de prélever la dîme de Balagne. Onze ans plus tard, son frère donne en gage son château de Prunetule tandis que l'immense seigneurie revient au monastère de San Mamiliano de Montecristo.
Au début des années 1300, alors que nombre des siens sont retournés en Italie vivre en bourgeois pauvres à Pise et à Livourne, lui reste contre vents et marées au pays (même si attendre les marées en Corse n'est guère pertinent). Le dernier marquis de Massa, du moins c'est ainsi qu'il se présente bien qu'il ne soit plus qu'un berger pauvre, est moqué par ses voisins pour son immense prétention. En dépit de sa ruine, l'homme s'accroche désespérément au lustre passé de sa famille.
L'histoire l'aurait sans doute oublié si les gens du pays, par dérision tout autant que pour effacer les humiliations passées subies par leurs ancêtres ; en Corse, on se fait un point d'honneur de garder en mémoire les choses qui fâchent, l'avait appelé Orsu Massa, effaçant la particule que ce nobliau déchu se faisait un point d'honneur à continuer de revendiquer.
Quand cet homme qui vivait désormais comme un ours, entendait ceux qui n'étaient que les descendants des manants sur lesquels régnaient autrefois les siens, l'appeler ainsi, il se mettait dans une colère noire. Il vociférait véritablement : « Je suis Orsu, toujours marquis De Massa et je tiens tout particulièrement à ma parrrreeeticula. »
Orsu avait une manière bien à lui de prononcer ce mot qui faisait hurler de rire tous ceux qui faisaient preuve de la fameuse macagna à son encontre. Au fil du temps, le malheureux devenait fou, insultant ces manants qui ainsi bafouaient l'histoire des siens. S'il est un pays où l'insulte n'est pas une pratique sans conséquence c'est bien ce territoire insulaire où les gens sont si fiers. Il ne fallut guère de temps pour que les choses s'enveniment comme elles peuvent déraper ici.
Orsu était devenu la cible de tous les moqueurs. Non seulement il n'était plus marquis mais qui plus est, chacun se gaussait de lui en lui parlant en roulant plus encore les « R » qu'on peut le faire dans ce joli pays. L'ours en devenait fou. Il voulut se venger, non plus par la parole mais par des actes qui au fur et à mesure entraînèrent une terrible escalade de violence.
Nul ne sait si la vendetta puise ses racines dans cette banale algarade qui tourna vinaigre pour finir en un joyeux règlement de compte qui ouvrait la voie à d'autres conflits plus sérieux encore par la suite. Toujours est-il que pour l'ancien Marquis, la cohabitation avec ses voisins n'était plus envisageable, il avait trop de sang sur les mains.
Orsu fut le premier à disparaître dans la nature, à se fondre dans un vaste territoire fait de macchia, une végétation touffue, enchevêtrée constituée d'arbousiers, de myrte et d'immortelles entre autres. Il n'était plus marquis, il ne roulait plus ni des épaules ni des R. il venait de prendre le maquis, perdant ainsi cette parrrrreticule dont il se fit un point d'honneur à conserver pour lui seul.
Que cette histoire soit exacte ou quelque peu falsifiée, importe peu. Elle démontre simplement qu'il convient de respecter la manière dont les individus aiment à ce qu'on les désigne. Ne pas s'y conformer peut blesser jusqu'à parfois entraîner de graves répercussions. C'est bien là une vérité qui méritait cette petite facétie.
À contre-sens
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