Du sport à la Cour du Roi-Soleil
En cette période où les pathétiques tribulations d’une bande de gugusses cramponnés pourris par le fric nous indisposent jusqu’à la nausée, en cette période où le sarkozysme vacillant aggrave les inégalités sociales avec cynisme et mépris pour les humbles, en cette période où les turpitudes des ministres ravalent notre pays au rang d’une république bananière, en cette période chaotique où la colère gronde à juste titre dans les classes populaires, essayons de nous détendre un peu en revisitant l’histoire...

Ce jour-là, 1er avril 1671, Louis, quatorzième du nom, s’ennuyait à mourir en son château de Versailles. Grâce au Traité d’Aix-la-Chapelle, la paix régnait depuis trois longues années dans notre beau pays, privant le Roi-Soleil de l’une de ses distractions favorites : une belle guerre.
Comble d’infortune, la duchesse de La Vallière, sa favorite du moment, commençait à lui courir gravement sur le système solaire. À un point tel que le souverain, quelques jours plus tôt, lui avait vertement lancé : « Passe, Madame, que vous nous les chatouillassiez, mais jamais nous n’accepterons que vous nous les brisassiez ! » Ce qui dénotait chez lui une grande irritation. Louis envisageait d’ailleurs sérieusement de s’en débarrasser, comme en témoignaient les contacts qu’il avait pris avec les Compagnons d’Emmaüs. Et sans doute l’eût-il déjà fait s’il avait su de quelle manière la remplacer. C’est qu’à cette époque toutes les femmes point trop laides de la Cour avaient déjà connu l’honneur du royal déduit. Encore que l’on vantait ici et là l’expertise d’une mauresque répondant au doux prénom de Zahia. Mais il s’agissait d’une ribaude, introduite dans les couloirs du palais par François Balafré de Ribéry. Bref, le grand Louis s’emmerdait à cent pistoles de l’heure lorsque soudain, pris d’une subite inspiration, il s’écria : « Eureka, organisons une fête dont le point d’orgue sera une compétition sportive ! » La royale volonté ne souffrant pas de délai, tout fut mis en œuvre pour le lendemain. Un jury, présidé par le Roi lui-même, fut constitué et les épreuves, opposant quelques-uns des membres les plus éminents de la Cour, purent commencer.
Il serait fastidieux et sans grand intérêt de relater chacune d’elles, aussi nous bornerons-nous à citer, parmi les principaux vainqueurs de cette journée historique, Monsieur Benoît Philémon Melchior d’Harmonia-Mundi au disque et Monsieur Lénine Stalinovitch Kremlinoff, ambassadeur de Russie, au marteau, la remise de chaque trophée étant soulignée par un hymne composé pour l’occasion par un ambitieux transfuge magyar, le virtuose du pipeau Naja-Boksi.
Ces compétitions, malgré la qualité des participants, ne devaient cependant pas éclipser l’épreuve-reine, le « trois cents pieds » (environ cent mètres), chronométré par Monsieur de Rolex. Organisée en fin d’après-midi, cette épreuve devait opposer Messieurs Molière, Racine, Corneille, La Fontaine, Boileau et l’immortel Comte de Saint-Germain, plus connu de nos jours sous le nom de Tapie.
Après avoir déposé dentelles et perruques dans des panières tenues par d’accortes soubrettes, les compétiteurs se mirent en place. Un coup d’espingole retentit, libérant les concurrents qui piaffaient d’impatience dans leurs couloirs tels de jeunes fantassins congestionnés à la porte d’un bordel de campagne. Aussitôt les athlètes s’élancèrent en un furieux coude à coude dont nul n’eut été capable de prévoir l’issue. Seul Boileau, qui avait abusé du vin, était irrémédiablement lâché après quelques secondes de course. Enfin ce fut l’arrivée, si serrée qu’elle vit trois hommes terminer sur la même ligne. Il fallut donc recourir au tableau-finish, exécuté par Philippe de Champaigne. Las, malgré la précision de cet irréfutable document, il fut impossible de départager les deux premiers : Corneille et Racine.
Le jury s’apprêtait donc à proclamer un dead-heat lorsque La Fontaine, classé quatrième, tenta de lui démontrer qu’il aurait bel et bien gagné s’il n’avait été gêné dans son retour gagnant par les flatulences de Racine. Considérant qu’il s’agissait là d’une fable, le jury rejeta la réclamation du Castelthéodoricien et officialisa le dead-heat.
Molière, quant à lui, avait, à l’image de Boileau, complètement raté sa course. La faute non pas à un abus de bordeaux comme l’imprudent Nicolas, mais à la forte émotion que lui avait causé une scène survenue peu avant le départ. Louis XIV ayant manifesté son désir qu’on lui présentât la bonne amie du comédien, celui-ci n’avait pu se soustraire au royal désir. Il avait donc amené la belle Armande devant le Roi et la lui avait présentée en s’inclinant respectueusement : « Mademoiselle Béjart, Sire ». « Béjart ? Vous avez dit Béjart ? Comme c’est Béjart ! » avait dit le souverain en lorgnant dans le décolleté de la comédienne, généreusement offert à sa vue par la révérence de la belle Armande. Et le Roi-Soleil de porter sans vergogne sa royale paluche sur ces aguichants mamelons, moyennant un léger cri de la dame qui, la vérité historique nous oblige à le dire, avait connu des scènes autrement plus croustillantes dans le dos de son génial compagnon. Mais on comprend l’émotion du malheureux Jean-Baptiste et par conséquent sa contre-performance.
Les compétitions terminées, tout le monde fut convié à un grand banquet inspiré de la tradition gauloise. Pour l’occasion, une dizaine de cochons avaient été rôtis devant le grand canal, et les fontainiers avaient libéré les jets d’eau des bassins éclairés par de grandes torchères. Attirés par le fumet des rôts, les courtisans affluaient de partout sous l’œil stupéfait de Racine : « Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au porc ! » s’exclama le dramaturge avec emphase.
Corneille, pour sa part, furieux de n’avoir pu terminer seul premier de la course, ne devait pas décolérer de la soirée qui suivit, et cela malgré l’animation qu’apporta au château Monsieur Le Pers de la Franchouille avec ses « Questions pour un champignon », un jeu très en vogue à cette époque. Cette bouderie dura jusqu’au moment où, venu l’interroger sur sa course, un échotier du Petit Versaillais, Monsieur Alain Duhamel de la Brossareluire, se présenta devant l’illustre Rouennais. Le folliculaire ayant fait remarquer à l’auteur du Cid qu’il n’avait pu vaincre Racine, son jeune rival honni, Corneille se drapa dans sa dignité et déclara non sans morgue : « Me pauci hic fecere parem, nullusque secundum ! » ce qui, on en conviendra, dénotait un rare orgueil.
Le dramaturge se consola en observant la mêlée du buffet. Le Roi et les princes servis, ce fut une indescriptible ruée sur le porc. Et comme toujours en pareil cas, il y eut les repus et les laissés pour compte, les seconds dardant sur les premiers des regards assassins. Beau sujet de tragédie, songea Corneille qui pensa en faire un rimaique (ce mot de vieux français a aujourd’hui disparu) d’Horace, sa pièce à succès de 1640, sous le titre : Les Voraces et les Furiaces. Un projet qui fut, hélas, supplanté par la modeste tragédie Pulchérie.
La soirée s’acheva sur un superbe spectacle pyrotechnique réalisé par de nouveaux venus italiens, les frères Ruggieri, lorsque le signal en fut donné par le maître de cérémonie et protégé du monarque, Jean Merdlefisc de Gstaad. « Allumez le feu ! » s’exclama ce dernier sur un signe du Roi, et dans l’instant le parc entier sembla s’embraser dans une féérie de couleurs tandis que résonnait une fanfare de Lully.
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