Gervais n’est pas qu’un fromage
Tout le monde connait « le petit suisse » appelé aussi Gervais, ils sont moins nombreux à connaitre le quartier « st Gervais », à Genève.
Nos vies sont faites de hasards, de coïncidences, termes que nous utilisons pour expliquer l’inexplicable.
J’ai vécu en Suisse une expérience étonnante que je vais tenter de raconter.

Dans les années 70, je débarquais dans une maison des jeunes et de la culture, dans le quartier de St Gervais, à Genève, à la recherche d’un lieu d’expression.
Dans cette maison de 7 étages, il y avait Max Laigneau, le directeur, et 2 animateurs.
L’un des deux s’appelait Léon Meynet. (lien)
Cette maison était surtout consacrée auparavant au théâtre, et la chanson allait y donner une autre tournure car un vielleux, René Zosso, spécialisé autant dans la musique du moyen-âge que dans la musique contemporaine, mais aussi dans le folk et la chanson (lien) s’était mis en tête d’y faire vivre un hootnanny, sorte de rencontre libre ou les artistes en herbe, ou confirmés, venaient proposer leurs dernières créations à un public payant une somme symbolique d’entrée.
Tous les mardis soir, la petite salle était pleine, et l’animateur bénévole Zosso me transmis bientôt le flambeau, pris par des activités de plus en plus denses.
Petit à petit, les spectateurs devinrent les acteurs d’une situation cocasse car voulant ouvrir ce lieu à d’autres activités que le théâtre, ils décidèrent le 15 mai 1971, de l’occuper, au grand dam du directeur qui se retrouva à la rue, et des notables de la ville qui envoyèrent sur place les forces de police pour chasser les intrus. lien
Finalement, devant la ténacité des occupants, les élus de la ville remplacèrent le directeur par une douzaine d’animateurs élus qui se partagèrent son salaire.
J’étais l’un d’eux.
Petit à petit, la Maison de st Gervais devint une fourmilière ou se développèrent des tas d’activités : du jazz, du théâtre, de la photo, de la chanson, du cinéma et la salle de spectacle de 300 places du sous sol s’ouvrit à tous les domaines culturels.
On allait y voir Jacques Higelin, Alan Stivell, alors peu connu, seul sur scène, avec sa harpe celtique pour une centaine de personnes…et beaucoup d’autres artistes.
Pour fêter ça, tous les acteurs de la renaissance de ce lieu qui allait devenir mythique, se mirent à décorer d’une fresque géante la cage d’escalier.
On vit la création du Théâtre O, sous la houlette de Michel Barras, le théâtre mobile de Marcel Robert, (lien) ainsi que la publication d’une revue « la plume à poil » dans laquelle la BD s’en donna à cœur joie.
On y découvrit des dessinateurs aujourd’hui confirmés comme Poussin, aujourd’hui publié un peu partout, Hara-Kiri, Charlie… (lien)
Le hootnanny que j’animais continua de plus belle, et ayant lié des liens musicaux et amicaux avec quelques artistes en herbe qui s’y produisaient, je me retrouvais le leader d’un groupe qui pris le nom d’Aristide Padygros. lien
Ce nom insolite était fait avec la première lettre de chaque prénom des membres du groupe.
Assez vite, notre groupe folk, très inspiré par l’humour des Monty Pyton, fut réclamé un peu partout, et nous écumèrent de nombreux festivals, en Suisse, mais aussi en France, en Belgique
A Cazals, près de Toulouse, nous fumes accueillis par 20 000 spectateurs (lien), à Nyons, pour ce qui allait devenir le « paléo festival » en 1977, (c’est aujourd’hui le plus gros festival européen avec plus de 200 000 spectateurs), et même en première partie du spectacle de Coluche, au « caf conc’ des champs Elysées » en 1974.
Nous fûmes aussi les acteurs d’un film produit par la Télévision Romande « l’irrésistible ascension des Padygros », qui n’est pas resté dans les mémoires… lien
Une image du film sur ce lien.
Notre style inimitable qualifié par les critiques de « les rois du n’importe quoi, mais pas n’importe comment », finit par faire de nous un groupe incontournable des festivals folks. lien
Notre répertoire mélangeait sans scrupules d’authentiques thèmes folks, avec des pastiches de vieilles chansons yéyé, le tout émaillé par des sketches désopilants, dans la pure tradition de la comédia del arte.
A découvrir notre version « tu m’as dit je t’aime » (lien) parodie du « je t’aime trop » des chaussettes noires d’Eddy Mitchell.
Nous fumes par exemple les premiers à jouer en France le fameux « travailler c’est trop dur » ce morceau de folk cajun, repris plus tard par Julien Clerc.
Sur le même thème, on peut écouter notre chanson « le travail », traité en gospel.
Le folk suisse était aussi à l’honneur avec cette authentique chanson helvétique : « les patates ».
Pendant une dizaine d’années, nous avons donné quelques centaines de spectacles, et édité plusieurs disques.
Un fan lillois du groupe, Jean Bodart, en a même fait un blog. lien
Auparavant, j’avais lancé plusieurs cabarets, dont celui des « vieilles pierres », de « la mine », et là, c’était systématiquement le plein chaque soir de la semaine avec de la chanson, du folk, du jazz, du café théâtre.
Parallèlement, le journal « la tribune de Genève » m’offrit une rubrique « en marge » dans laquelle j’annonçais tout ce qui se tramait culturellement dans le monde underground de la cité helvétique.
Bientôt, nous étions invités dans de grands festivals, Puis ce fut la rencontre avec Guy Pedersen, le célèbre bassiste de jazz, qui devint mon premier producteur, avec un disque chez CBS (le char d’assaut / la bouffe), puis devint le producteur du groupe. lien
Mais revenons à la Maison de St Gervais, et à notre petite « révolution » culturelle :
Un festival fut bientôt lancé, c’était d’abord dans la campagne genevoise, à Meinier, qui regroupa 5000 festivaliers, puis dans un lieu appelé « le bout du monde », et enfin le festival déménagea au bois de la Bâtie, dans la banlieue de Genève, en 1977.
Aujourd’hui, ce festival appelé maintenant « la Bâtie festival de Genève » attire plus de 100 000 personnes tous les ans dès les premiers jours de septembre.
Avec un budget de 2 millions de francs suisses, ce moment est devenu incontournable pour Genève mais aussi pour la région d’Annemasse puisque le festival se décentralise régulièrement.
Etrange retour des choses, puisque j’avais quitté cette petite ville d’alors 5000 habitants, pour rejoindre Genève et sa « maison de st Gervais ». lien
Léon Meynet, l’ancien animateur qui s’était battu à nos cotés, est aujourd’hui responsable artistique du comité des fêtes de Genève.
Quand à Max Laigneau, l’ancien directeur, il est devenu un peintre réputé plein de talent. lien
Aujourd’hui, la maison des jeunes et de la culture est devenue le Théâtre st Gervais (lien) et j’ai quitté la Suisse et Padygros (qui avait cessé de se produire quelques années après mon départ), me consacrant à mes propres chansons (lien) et à d’autres activités, et tout ça confirme qu’il ne suffit pas de grand-chose pour que le moindre de nos petits gestes puisse avoir des retombées étonnantes.
…l’aile de papillon…
Et comme dit mon vieil ami africain : « celui qui rame dans le sens du courant fait rire les crocodiles ».
L’image illustrant l’article provient de « guide-fromage.com »
Olivier Cabanel
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