Goguettes en goguette
Tel le Bernard l'Hermite, le parolier de goguettes s'installait sur un air connu pour y glisser un texte qui titille le pouvoir en place. C'était au temps d'avant les réseaux sociaux et des médias de masse. La chanson avait l'ambition de changer le monde ou pour le moins de l'éclairer sous un autre jour. L'esprit des chansonniers s'est nourri de ces sociétés qui distillaient leur venin contre le pouvoir en place en chantant à tue-tête.
La tradition a perduré dans bien des réunions de famille ou associatives. Un grand oncle ou un secrétaire imaginatif glisse sous une partition connue des paroles qui vont coller parfaitement à la petite célébration de l'heure. La dimension sociale a souvent pris la poudre d'escampette pour se contenter de distraire aimablement. Comme le Bourgeois Gentilhomme, ils écrivent une goguette sans le savoir.
Par contre, dans les défilés revendicatifs, c'est souvent la résurrection de la pratique avec un petit bémol. Bien souvent, seul le refrain est travesti pour les besoins de la cause sans doute faute de donner leur chance à des couplets qui ne rentreraient pas dans les mémoires des manifestants. C'est là un signe sur la capacité de retenir des paroles qui demandent un petit effort. Les slogans basiques suffisent aux chœurs de cette armée qui bouge.
Revenons quelques instants aux sources de la chose avec ce que nous en dit l'incontournable Wikipédia, la mémoire universelle de ce monde numérisé :
« La goguette est une ancienne pratique sociale festive consistant à se réunir en petit groupe amical plutôt masculin de moins de vingt personnes pour passer ensemble un bon moment et chanter. Puis cette pratique devient la base de sociétés festives et carnavalesques constituées.
Des milliers de goguettes ont existé et disparu. Aujourd'hui, il en reste très peu ; le terme lui-même est peu utilisé et confondu facilement avec le mot guinguette. »
La goguette a cependant retrouvé ses lettres de noblesse durant le confinement avec l’inénarrable trio à quatre « Les Goguettes ! » qui ont repris l'esprit et la lettre de cette ancienne pratique. L'irrespect, la perfidie, l'humour, la moquerie donnent à leurs interprétations un véritable petit vent frais et fripon. Ce groupe a parfaitement redonné l'esprit initial de cette pratique.
La goguette se voit assignée à partir en goguette, c'est bien là l'étrange dérive des mots qui prennent d'autres significations au fil du temps. Il est vrai qu'à se montrer joyeux et goguenard, l'amateur de goguettes a fini par passer pour un être léger, quelque peu graveleux et souvent ripailleur. L'envie de l'envoyer faire bombance explique ce « partir en goguette » qui a remplacé le sens initial.
Quant à la guinguette qui doit son nom au guinguet ce petit vin vert, aigrelet et fendant, produit en région parisienne au Clos Guinguet situé sur les coteaux de Mesnil-Montant, elle ne pouvait que recevoir à bras ouverts les amateurs de goguette. Un vin qui faisait « danser les chèvres », ce qui donna le verbe guincher. Rapidement les guinguettes deviennent un cabaret souvent en plein air, au bord de l’eau où l'on boit et l'on danse.
Là encore, l'usage a dérivé et les fameuses guinguettes qui poussent comme des champignons en bord de rivière ou en périphérie des villes perdent de vue la danse et les goguettes pour faire la part belle aux musiques actuelles, électrifiées et souvent en conserve. Comme le disent si bien les responsables de la programmation : « Il en faut pour tous les goûts ! » et surtout pour le même brouet musical qui n'a pour unique ambition que de reproduire les succès de l'heure. Adieu le persiflage, la culture, les textes en français : nos goguettes irrévérencieuses n'ont plus leur place ni en goguette ni en guinguette.
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