Instantanés d’une plage ordinaire - 4 -
Un grain de sable dans mon assiette !

Manger à la plage
Les vacances ne seraient pas ce merveilleux temps d'insouciance sans le bonheur incomparable pour beaucoup du pique-nique. Ce repas nomade prend souvent bien des allures surprenantes et des formes racambolesques. Il a ses adeptes inconditionnels, ses détracteurs perfides, ses profiteurs patentés et encore de nombreux pratiquants occasionnels, fortuits, obligés ou convaincus. Le panier repas a depuis bien longtemps cédé la place devant l'inévitable glacière, celle-ci s'offrant le luxe de se brancher maintenant directement sur l'automobile, la plus fidèle amie du mangeur itinérant.
Parmi les lieux les moins commodes pour manger sur le pouce (chose qui en elle même est déjà bien périlleuse), la plage est celui qui regroupe le plus de désagréments et d'inconfort. Pourtant, ils sont nombreux à mettre quelques grains de sable dans leur repas méridien, histoire de ne pas manquer une bouchée de soleil et de mer.
Il est d'abord particulièrement mal-aisé et je n'hésiterai pas à dire tout à fait déplacé d'escompter étendre une toile cirée au milieu des serviettes de plage. Ce détail pour anodin qu'il puisse paraître n'en ajoute pas moins son lot de tâches indélébiles sur des draps de bain toujours plus grands et colorés. Mais la chose peut s'avérer insignifiante entre auréoles de crème solaire et traces d'onguents mystérieux ….
Il est tout autant indélicat de venir sur plage avec sa table pliante munie de bancs solidaires. Cette merveille de la technologie de l'industrie du loisir bien que souvent de bleu parée, ne se conçoit pas aisément sur un sol aussi instable. Quelques terrassements seraient naturellement possibles mais le voisinage ne goûterait pas d'un bon œil cette incongruité esthétique.
Le repas assis étant mal venu, le repas plagiste s'apparente le plus souvent aux orgies romaines uniquement en référence à la posture qu'il impose. Pour le reste j'émets de nombreuses réserves. Les contenus sont bien loin de ce luxe ancien et bien souvent tiennent plus de l'en-cas spartiate que de la bacchanale latine. La posture allongée a la fâcheuse tendance de vous rapprocher considérablement du sol, celui-ci étant par nature instable, fuyant, mouvant et surtout sableux. Bien des mets deviennent croquants de par ce simple voisinage.
Le soleil est également un ennemi redoutable pour la fraîcheur des produits à ingurgiter sous le regard amusé, envieux, goguenard ou indifférent des voisins de plage. Il n'est pas rare de constater des échauffements imprévus, des aliments entrés en fusion pour la plus grande confusion de celui ou celle qui a eu la lourde responsabilité de préparer le panier. Le chocolat n'est pas le seul à se fluidifier près de l'Océan ; des envies de grand large sans doute ...
C'est bien sûr au moment de s'abreuver que la cérémonie prend des allures de drame. L'eau est chaude, la canette explose, la bière se fait cervoise et le vin est forcément exclu de la fête. De tous ces inconvénients, vous devinez facilement celui qui me fait renoncer à ce plaisir pourtant si simple de l'inconfort et de la médiocrité gustative.
Si l'emballage avait été un moment fort de ce merveilleux repas, le déballage devient rapidement un casse-tête insurmontable. Tant de précautions prises supposent un afflux de papiers protecteurs, de boîtes qui finissent par être vides, de sur-emballages thermiques et d'inévitables sacs plastiques. C'est alors que se pose le problème insoluble de l'évacuation de ce surplus encombrant maintenant que tout est ingurgité.
Le trou dans le sable est une solution expéditive d'une efficacité certaine et d'un incivisme qui n'arrête toujours pas les malotrus de service. Le plus grand nombre a pourtant compris qu'il convenait de faire quelques voyages jusqu'aux sacs poubelles à l'entrée de la plage. Mais là, il faut s'armer d'un pince nez et de beaucoup de chance pour trouver poubelle qui ne déborde. Bien des abords de plage paient au prix lourd l'incapacité de résoudre cette équation à trop d'inconnus.
Beaucoup, devant tant de difficultés rébarbatives, ont renoncé à ce grand moment de convivialité aléatoire. Ils préfèrent se rendre au gré de leurs envies, sans se soucier des autres, dans ces baraques à mal-bouffe qui vendent à des prix exorbitants des produits indigestes et souvent très huileux. Ils se retrouveront eux-aussi confrontés au problème de l'emballage mais auront beaucoup moins de scrupules à laisser filer au vent ce qu'ils n'ont fait que payer ...
Pique-niquement vôtre.
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