Instants de Loire
Le Bonimenteur en action ...
Un jour d'étiage, pourtant !
Notre rivière se vêt enfin de ses habits d'été. Elle a cessé de rouler des épaules, de jouer les prolongations d'une longue saison de grandes eaux. Après avoir noyé les œufs des sternes ou de nos oies, bouleversé les refuges des castors, elle a plié bagage pour se faire douce et calme.
Apparence trompeuse ; c'est en ces moments tranquilles qu'elle présente sans doute ses plus grands pièges : cul de grève, sable instable, goulet tumultueux juste au sortir d'un bras si docile . C'est qu'elle traîne sa langueur en d'innombrables bancs de sable si tentants ! Elle n'effraie plus personne, ses rives se colorent de parasols et de baigneurs. Les derniers instants des vacances qui s'achèvent !
J'en étais là de ces rêveries sur un carnet quand le capitaine vint me tirer de ma folie rédactionnelle. Nous allions embarquer une troupe de très jeunes enfants pour une balade sur une Loire dolente. Pas de contes et d'histoires avec la classe biberon. Il faut simplement leur expliquer la rivière, le courant, la montagne et la mer. J'avoue ne pas savoir quel registre adopter avec eux !
Puis ce furent des plus grands, plus attentifs aussi. L'Inexplosible permit d'aborder la Révolution industrielle, le bateau- lavoir, les grandes inventions sociétales dont la machine à laver qui a transformé la vie des femmes surtout. Une petite révision salutaire avant la rentrée toute proche. Ils écoutaient polis ou bien résignés à l'idée que leurs vacances seraient bientôt un souvenir lointain !
D'autres groupes se succèdent. D'autres enfants à l'écoute. Nous sommes le seul bateau sur la rivière, ce qui n'empêche nullement le sentiment qu'au moment du Festival de Loire, nous serons mis au ban. Vaste ingratitude d'organisateurs qui n'ont même pas pris la peine de glisser le Bonimenteur dans les propositions à quai. À se demander si je dois être présent en cette fête !
J'oublie ma rancœur, d'autres rencontres de Loire viennent éclairer ma journée. Des instants uniques qui ne peuvent subvenir qu'en cette rivière magique. C'est ce qui fait son charme, sa beauté et cette passion qui nous conduit sans cesse sur son onde. Les autres feront la fête cinq jours durant, il me restera tous les autres pour profiter de la magie de notre dame Liger !
Deux Australiens nous arrivent par le fleuve, un mot de recommandation dans la poche. C'est Bibi qui nous les envoie ! Ils viennent achever en Orléans leur parcours aquatique, échangent leur canoë contre quelques bières et un hébergement avant que de lever le pouce pour de nouvelles aventures. Folie merveilleuse d'une jeunesse qui autorise tous les possibles !
Un Sénégalais tout juste un peu plus âgé, se joint à nous. Il pose des questions, il est en émerveillement devant la rivière. Petit à petit il se dévoile. Il a connu un autre fleuve, au pays. De l'âge de 7 ans à 23 ans, il y fut pêcheur, pilote du bateau. Il regarde avec envie le capitaine qui tient le manche. Bientôt, il sera à son tour aux commandes. Il est heureux …
Le soir, il sera à nouveau sur le quai. Robert, le pêcheur professionnel est en action sur notre bout de rivière. Pape est revenu, il souhaite le rencontrer, revivre ce qui fut sa vie de là-bas, découvrir d'autres techniques. Nous le laissons filer à la recherche du pêcheur qui est déjà parti poser ses filets. J'espère qu'ils se seront trouvés …
Deux gamins, pieds nus, la canne à la main, arpentent de long en large le quai. Ils savent tout des poissons et des mouvements de l'eau. Ils interrogent les adultes, ils sont curieux de tout. Ils ont vu un silure ici, remarqué des chasses là, constatés des bancs d'ablettes sous le ponton. Enfants sauvages ou enfants de la rivière ? Ils me font penser à bien des amis d'alors …
Au coucher du soleil, nous embarquons un nouveau groupe. Des adultes et une enfant qui, coïncidence, était d'un groupe du matin. Je lui confie le bâton de parole, elle répète sa leçon, elle nous explique le fonctionnement de l'écluse et le danger des bancs de sable. Ses parents sont ravis et nous heureux d'avoir ainsi été écoutés.
Puis ce sont les adultes qui se font enfants. Ils suivent l'aventure des moines de Micy luttant contre le dragon de Béraire, l'épopée de saint Aignan affrontant Attila, la folle aventure technique des canaux de Briare et d'Orléans. Je raconte, ils écoutent. La Loire file sous la toue sablière, le soleil couchant illumine le ciel d'Orléans. Lugus est le maître des cieux !
Ainsi va la vie sur la rivière. Tant pis si ce sont des gouttes d'eau dans un océan d'ignorance et d'indifférence. Le Festival approche, il faudra laisser la place aux artistes, aux vrais bateleurs de foire. La foule envahira ma petite scène personnelle. Je serai contraint au silence dans le vacarme de la foire à gogos. Puis reviendra le temps des rencontres et des histoires ; la Loire en beauté, sans paillettes ni flonflons !
Instantanément vôtre.
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