L’assassin ne manquait pas d’air
Fait divers sordide sur la Loire
Trahi par un pneumatique !
C'est curieux l'incroyable tendance qui pousse les faits divers à préférer l'été ! Cette saison est sans doute propice à tous les relâchements, les aventures sans lendemain, les exaltations qui peuvent pousser à la faute. Ce que je vais vous narrer ici n'échappe pas à la règle, il serait même tout à fait inconcevable en une autre saison. Que les oreilles chastes et les enfants s'éloignent de ce billet : la belle saison est aussi celle des pulsions dévastatrices …
Monsieur X est un pervers polymorphe à tendance impulsive. C'est ainsi que le décrivent les enquêteurs qui suivent ses traces. L'homme est libre comme l'air, sans attache ni famille. Il va où le vent, ou bien le courant, le pousse. Il semble ne jamais laisser de trace, se déplaçant comme s'il était en lévitation, en suspension. Pour la police, c'est une terrible énigme.
Monsieur X est un vacancier solitaire, un navigateur sur la Loire qui, après sa malencontreuse expérience l'an passé lors de son périple cycliste le long des chemins de la Loire à vélo, a décidé de changer de braquet et de baquet. Il avait subi en effet une succession incroyable de crevaisons qui l'avaient contraint à renoncer en cours de route.
Cette fois, monsieur X est certain de son coup. Il a acheté un canoë pneumatique : cette dernière merveille de la technologie du caoutchouc. Pratique, léger, repliable quand il est dégonflé, le canoë d'une marque célèbre dans ce type de produit, lui assure un confort de navigation sans égal et une sécurité à toute épreuve.
Monsieur X, fort de cette certitude, a cherché, en dépit de sa misogynie légendaire, à trouver une compagne qui consente à passer ce mois pittoresque avec lui. Il a fait relayer cette proposition autour de lui, en vain ; s'est résolu a rédiger quelques annonces, elles aussi sans succès. Il a fini par contacter la société « Bla-Bla boat » qui lui a fait remarquer que sa vitesse de déplacement n'était pas de nature à satisfaire sa clientèle.
Monsieur X, par dépit, tout autant qu'en suivant son naturel misanthrope, a renoncé à une compagnie réelle. Il s'est retourné vers les autres produits de la marque spécialisée dans les produits gonflables pour agrémenter son avalaison. Les nuits de bivouac sont longues surtout quand on se retrouve seul sur une île déserte. Une présence virtuelle féminine lui donnerait un peu de chaleur humaine : c'est ainsi qu'il voyait les choses.
Monsieur X s'équipa pour l'aventure. Il pensa également à son confort et opta, afin de ne jamais souffrir du dos, d'un matelas gonflable, lui aussi, pour s'assurer un sommeil réparateur. C'est là qu'il franchit la ligne jaune et commit la faute qui allait provoquer le drame prochain. Muni d'un indispensable gonfleur à pied, il embarqua début juillet du côté de Nevers.
Les premières nuits se passèrent ma foi de manière fort agréable à l'image de ces merveilleuses journées de navigation sous une température caniculaire. La fraîcheur relative de la rivière, la quiétude des nuits au bord de l'eau, apaisèrent un temps ses instincts belliqueux. Sa compagne silencieuse, acceptant sans souffler, de se contenter d'un petit coin de sable pour reposer auprès de lui ; le matelas n'étant prévu que pour une seule personne.
C'est aux abords de Combleux que le drame se noua. Une épine vint se glisser dans la belle entente. La poupée gonflable ne voulait plus dormir sur le dur après avoir rempli sa mission. Elle exigea de passer la nuit en compagnie du canoë qu'elle trouvait tout à fait à son goût. Monsieur X comprit qu'il y avait anguille sous roche, qu'une fois encore on le trompait. Sa compagne en pinçait pour le joli bateau au nom si exotique.
C'en était trop. L'homme, outragé, humilié, désespéré, commit l'irréparable. Il poignarda dans le dos sa compagne qui soudain perdit toute contenance. Elle ne fut bientôt plus qu'une pauvre poupée, une chiffe molle, bonne à jeter dans une décharge. Mais notre assassin poussa l'infamie plus loin encore. Il rejeta dans la Loire celle qui ne lui servait plus à rien.
L'histoire pour sordide qu'elle soit aurait dû se terminer sur ce banal épisode de la détresse humaine. Une pollution supplémentaire, un détritus inhabituel, dérivait au gré des courants. Monsieur X quant à lui, n'était plus qu'une épave terminant son périple sans joie, ayant toujours une pensée pour celle qu'il avait ainsi répudiée.
Mais tout bascula du côté de Langeais lorsqu'un brave pêcheur à la ligne eut une touche. Notre quidam flaira la bonne affaire, féra sa prise et... faillit tomber à la renverse. Un cadavre, de femme sans doute, avait mordu à son leurre. Il s'enfuit le plus vite qu'il put afin de quérir la maréchaussée. La panique avait fait perdre tout discernement à notre pêcheur.
Les gendarmes, à qui on ne la fait pas, gardèrent leur sang-froid et découvrirent bien vite le pot aux roses. Le cadavre supposé était celui de la poupée gonflable. L'affaire se dégonfla aussitôt et il se murmure qu'un fonctionnaire zélé et de surcroît célibataire et cyclotouriste aurait voulu pousser la conscience professionnelle jusqu'à emporter pour expertise l'objet du délit chez lui. Fort heureusement ses collègues le ramenèrent à la raison ! La poupée était à langer, il fallait en avoir une couche pour ne pas l'admettre.
Monsieur X court toujours, son crime sur la conscience et son canoë multi-usages sous les pieds. Si vous croisez du côté de l'estuaire ce curieux attelage, n'hésitez pas à prévenir la gendarmerie de Langeais afin qu'elle puisse lui restituer l'objet qui provoque bien des convoitises dans la caserne. Tous seraient ravis de s'en débarrasser tout en dressant un procès-verbal à ce naufrageur de malheur.
Pneumatiquement vôtre.
Pour en savoir plus :
12 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON