La Corse à pas de loup
Un autre monde …
Un ami me conseilla de tenir ma langue et de venir à pas de loup afin de visiter son île. L'homme craignait tout particulièrement que mes saillies langagières puissent indisposer des insulaires particulièrement fiers d'une culture qui n'a rien d'hexagonale. J'en acceptais l'Augure quand je découvris, à ma plus grande stupeur que le canidé en question n'avait plus mis les pattes sur l'île de beauté depuis belle lurette.
Comment allais-je m'y prendre pour effrayer l’autochtone sans avoir recours aux histoires de ce terrifiant prédateur ? La question me laissait pantois et même, avouons-le, sans voix. Je perdais d'un coup mon pouvoir de nuisance, ce qui me désolait tout autant que me fermait bien des opportunités. Comment diable s'y prendre pour qu'une dame de rencontre puisse voir le loup sans qu'il existe ?
Il devait bien y avoir une bête de substitution pour faire trembler dans les chaumières au coin du feu. Là encore, je faisais chou blanc avant même de tirer l'affaire au clair. Des chaumières, il n'y en a guère, juste des pagliaghji aux toits d'alose tandis que le feu de cheminée n'est guère nécessaire en dehors de l'hiver. Il me fallait adopter une autre stratégie.
J'avais bien dans ma manche, une bête immonde qui peut convenir à tous les continents. Je me sentais tout disposé à cracher le feu avec ma belle collection de dragons quand je me trouvai nez à nez avec une conteuse locale qui prit totalement le contre-pied de mes coulouvres, grandes goules et autres gergoliums à moins que je n'use du fameux lézard de Brédagia.
Son dragon à elle était fort sympathique, une charmante bête propre à raconter de belles histoires à des enfants, sans les effrayer. Une fois encore je faisais long feu. Le basilique était manifestement un candidat propre à servir de suppléant, même si le coq à queue de serpent a trop perdu de sa mauvaise réputation pour effrayer qui que ce soit par ici.
Je me sentais totalement désemparé quand soudain je découvris la créature de nature à semer l'effroi et le rejet dans ce beau pays. Un être capable de toutes les vilenies, un monstre de cruauté et d'abjection. Le mettre en scène du reste me semblait particulièrement délicat tant ce personnage accumulait tellement de défauts qu'il était bien difficile de le rendre crédible.
Puis de guerre lasse, dans ce maquis d'horreur semé par cet anti-héros, je me résolus à le mettre en branle, à lui donner corps, à le mettre en action sur les lieux même de ses exactions. Soudain, je pris conscience que le conteur laissait place au correspondant de guerre, que le bonimenteur allait se faire tragédien, qu'il risquait dans l'aventure de se brûler ses propres ailes.
Alors, sagesse suprême, j'en revins au conseil initial et tournai ma langue sept fois dans ma bouche avant que de l'avaler le temps de mon séjour ici. Je ne voyais pas comment mettre en scène le méchant, l'abominable, le détestable, l'exécrable monstre qui hante les rêves insulaires, qui obsèdent les plus jeunes, qui met en ébullition la rue, qui influence les grapheurs et les tagueurs au point de couvrir les murs des cités.
Non décidément, je ne me sentais pas le courage de faire du continental, de l'immonde touriste ou de l'affreux travailleur déplacé un personnage de fer et de sang, de crime et d'invasion. Le Français, l'être le plus immonde qui soit, ne pouvait peupler mes récits. J'en aurais passé des nuits bleues peuplées de cauchemars et d'explosions, de fusillades et de plastiquage.
Puis comprenant qu'il était tant de retrouver un peu de nuance dans le propos, je me dis que même absent du cheptel de l'île, le loup était ce qui était le plus commode pour jouer de la métaphore sans déclencher une guerre des clans. Quant à user à mon tour de la macagna, ce serait à bien y regarder, totalement déplacé et l'expression même d'un impossible renversement des rôles.
À contre-pied.
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