La langue bien pendue
Propos en l'air.
Faut-il qu’elle soit bien pendue pour n’avoir de cesse de médire à tout venant, se faire langue de vipère pour piquer les uns et salir les autres ? Notre organe porte-parole n’aime rien tant que de savonner la planche de nos semblables, les proches de préférence comme les plus lointains. La langue vitupère au gré de ses humeurs, elle propage de fausses nouvelles, elle se complaît à laisser filer la rumeur. Elle a bien trop à faire pour vérifier ses sources, seule importe l’envie de faire et surtout de dire le mal.
La langue ne reste jamais dans la poche pas plus qu’elle ne se donne au chat, refusant d’admettre sa défaite, ne déposant jamais les armes ni ne renonçant au combat ! Tout au contraire, elle n’a de cesse de tenir des propos incertains, malsains, infondés et parfois orduriers. Elle se répand en diffamation, elle prend plaisir à se faire porte-voix de la vox-populi pour rependre à son compte des bruits qui courent. Il est vrai qu’elle a l’ouïe fine dès qu’il s’agit de dresser l’oreille avant de reprendre à son compte des bruits de couloir.
La langue se fend alors de remarques insidieuses, de propos acerbes, de diatribes et autres attaques en règle contre un quidam qui, de préférence, n’est pas à portée de voix. Toute fourbe qu’elle est, la langue est plus pleutre qu’autre chose. Dire en face ses quatre vérités l’indispose tandis que semer le doute et l'insinuation est bien plus dans ses cordes vocales.
La langue vibre de toutes les médisances qui sont dans l’air. Elle porte et colporte, elle transmet, elle se porte écho et chambre d’écho. Elle se délecte quand elle agit sournoisement, se régale de médire, de mettre son grain de sel quand elle joue les moulins à paroles honteuses. Elle ne parlemente pas, elle ne joue pas la franchise ni même carte sur table. Bien au contraire, elle est de celles qui se délectent à donner un coup de poignard dans le dos.
La langue est vivante pour semer l’effroi et la crainte. C’est là jubilation et délectation. Elle se pourlèche les babines quand elle diffuse des insanités. Elle est la digne héritière des caquets des lavandières qui, à coup de battoirs, habillaient pour l’hiver de pauvres gens qui avaient l’heur de leur déplaire. Puis, quand ses propos sont arrivés aux oreilles de ses cibles, la langue fait la morte. Réfute ce qui lui est attribué, jure sur ses grands dieux, n’avoir rien dit ou bien que ses propos ont mal été interprétés.
Puis l’alerte passée, elle se refait l’avocat du diable. Elle n’est pas de celles à qui l’on donnerait le bon dieu sans confession. Inutile de vouloir la croire sur parole, en dépit des apparences, elle en manque cruellement. C’est là son paradoxe. Elle se charge elle-même de tous les péchés de la création, affiliée qu’elle est avec la vipère.
Certains spécialistes en usent de manière tout autant originale que déplorable. Jamais ils ne prennent le chemin le plus court pour exprimer leur pensée. Ils abusent de la circonlocution, se perdent en métaphores douteuses, jouent volontiers d’un lexique abscons, étirent à plaisir leurs phrases pour perdre le petit Poucet. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils n’élaguent jamais leur discours quand ils pratiquent la langue de bois. Ils mentent d’ailleurs bien plus qu’ils ne respirent la franchise.
Quand sonne sa dernière heure, la langue aimerait s’octroyer le dernier mot. Un propos glaçant qui fait parcourir un frisson dans le dos des témoins. Puis, sa dernière réplique assénée, elle se voue au silence éternel. La langue ne reviendra plus sur ses propos. Elle se mure dans un silence tombal. D’elle, alors, on ne sait plus rien. Saura-t-elle plaider sa cause devant Saint Pierre ? À l’heure du jugement dernier, ses propos pèseront lourd dans la balance.
Si les paroles s’envolent vers les cieux, les écrits restent. Pour éviter qu’ils ne soient trop terre à terre je donne aux miens un peu de hauteur. Si vous ne comprenez rien à tout cela c’est plutôt bon signe. Je vous donne ma parole que rien ici ne soit très sérieux.
Linguistiquement vôtre.
38 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON