La navette du Port
Le Bonimenteur en mer.
Petite et grande histoire de la marine.
Entre Le Pouliguen et la Baule, un petit bras de mer d'à peine 70 mètres de large constitue le port. Pour éviter un détour par le pont, depuis plus de 50 ans, une navette propose de rejoindre les deux plages. Tout a commencé par un homme qui effectuait ce petit pas sur l'eau à la godille. Aujourd'hui, Pascal et Brigitte sont à bord d'une navette en aluminium qui effectue le passage trois heures avant et trois heures après la pleine mer.
Plus de 500 passagers quotidiens, 200 franchissements de ce saut de puce pour le plaisir des petits et des grands, pour les curieux, les occasionnels et les habitués, tel est le lot quotidien de nos deux marins qui pour les deux mois d'été vont limiter leur univers à ces deux petites minutes de traversée, le temps d'installer les passagers, de faire payer le trajet (70 centimes) et de libérer l'amarre.
Patrick se lance alors dans la manœuvre avec prudence. En cet endroit, les allers et venues sont incessants : voiliers, hors-bords et jets-skis occasionnent un trafic permanent. Il faut s'incruster délicatement dans le flux en respectant les règles de priorité. Souvent, Patrick joue de la marche arrière avant que de se lancer dans ce long voyage d'une cinquantaine de mètres ....
Je regardais fasciné ce petit manège, ce petit bateau de fête foraine tout en étant émerveillé par le sérieux mis à l'ouvrage par nos deux marins. Je voulus bien vite en savoir davantage et leur demandai s'ils voulaient bien m'accorder quelques minutes. La curiosité est mon plus vilain défaut, j'en use avec un malin plaisir pour vous faire partager mes rencontres fortuites.
Patrick est un vieux loup de mer. La cinquantaine bien marquée, il a embarqué dès l'âge de 16 ans. Quatre années durant, il participa aux campagnes de pêche à la morue à Terre-Neuve. Il grandit, devint marin-pêcheur à son tour jusqu'à ce que le métier ne nourrisse plus son homme. Depuis, il vit d'aventures diverses, de convoyages lointains et d'expériences de mer.
Skipper, il se loue pour des expéditions aux allures exotiques. Juste avant d'accepter ce contrat de deux mois, il avait effectué un Stockholm / Dakar sur un grand voilier. Le contraste était saisissant ! Patrick vivait cet emploi comme une pause agréable, un petit moment de tranquillité. Cela ne l'empêche nullement de surveiller avec la plus grande attention ses deux moteurs de trente chevaux, sur l'eau tout peut toujours arriver.
C'est d'ailleurs quand il me racontait ses aventures au long cours qu'un joli voilier eut une panne moteur. Le pilote se mit à la godille et Patrick se porta immédiatement à sa hauteur pour lui proposer un petit remorquage. La solidarité des gens de mer est bien réelle et les passagers auraient dû attendre un peu. Le voileux déclina l'offre ayant bien peu à faire ….
Brigitte, sa coéquipière, la quarantaine solide, venait d'une famille de voileux. Elle avait goûté aux joies de la compétition, des régates avant que de s'en aller vivre sa vie professionnelle loin de l'Océan. Après un détour par la recherche sur le sida et une expérience en montagne, elle venait de sortir major de la promotion du Lycée Maritime de Nantes. Elle a désormais 5 ans pour valider 360 jours de mer.
Elle a sauté sur ce premier contrat qui lui assure 60 jours de mer juste à la sortie de l'école. Elle a hâte de voler de ses propres ailes et prend cette expérience comme un premier pas qui la conduira à son rêve de grand large. Elle semble heureuse de son association avec Patrick, vieux loup de mer qui lui transmettra son expérience.
L'homme en a à revendre. Il a fait l'école Maritime de Grande Pêche à Fécamp. Après son apprentissage, il a fait de la pêche industrielle, s'est reconverti à la pêche côtière avant que de devenir skipper. Il a même donné dans le social en travaillant quatre années pour une association privée souhaitant réinsérer des mineurs délinquants. Il a écumé la Mer du Nord, la Manche et la Baltique avec son drôle d'équipage …
Sur des modules de 3 mois, il travailla en association avec un éducateur spécialisé et parfois un psychologue. Les jeunes fauves étaient au nombre de six maximum, il ne fallait jamais desserrer la surveillance. Les escales n'étaient jamais des parties de plaisir jusqu'à cette garde à vue d'un matelot au Danemark qu'il évoque les yeux dans le vague. Heureusement pour lui, il tournait avec un collègue et ils effectuaient chacun des périodes de trois semaines. Il rejoignait le navire en avion après un repos bien mérité.
Alors, la navette du port du Poulingen c'est pour lui un moment agréable. Il est en mer, qu'importe la modestie du trajet actuel, il vit sa passion. Brigitte quant à elle s'apprête à croquer à pleines dents cette nouvelle vie, celle qu'elle n'aurait sans doute jamais dû abandonner. Nulle frustration chez ces deux-là. Après quelques navettes à mon actif pour recueillir ces confidences, je les abandonnai à regret. Il y avait beaucoup de passagers, je devais laisser la place.
Modestement leur.
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