Le miracle de Sainte Thérèse
MBH 2

Mariage pluvieux …
Que faisions-nous en cet endroit ? La question mérite d'être posée même si les circonstances seraient beaucoup trop improbables pour donner un récit plausible même pour les incrédules de tous poils. Pourtant c'était ainsi : un troupe de six touristes français en goguette dans le quartier juif de Budapest, se trouva convié bien involontairement à une messe, doublée d'un mariage religieux en l'église Sainte Thérèse.
Je devine les sourires en coin, les propos acerbes et les remarques désagréables. Quoi ? Le mécréant se met à fréquenter les offices ? La belle affaire que voilà ! L'homme est si fier que, pour préparer sa reconversion, il s'en va loin des rives de Loire, tentant de communiquer avec Dieu en terre hongroise. Rassurez-vous : je n'ai pas viré ma cuti et il fallut vraiment que le ciel se fâchât pour que je finisse par abdiquer et rentrer dans son giron.
Essayons de reprendre le cours des choses de façon compréhensible pour le quidam au pied sec, resté en France en ce mois d'août. Nous venions de perdre notre guide sur la place de Moscou, débaptisée depuis la chute du mur mais qui reste rouge dans le cœur des autochtones. On ne refait pas l'histoire en changeant quelques plaques. Nous errions donc comme des âmes en peine lorsque le ciel se fit sombre et menaçant.
Nos pas, justement, venaient de nous mener au hasard des annotations d'un guide touristique, acheté dans une excellente librairie, jusqu'à l'église Sainte Thérèse, quand la pluie s'invita à la fête. Les cloches venaient de sonner pour inviter les agneaux de Dieu à entrer dans la bergerie et les rares amis à participer au mariage qui se déroulerait dans la foulée. Ne souhaitant pas m'immiscer dans un rituel qui n'est pas mien, je restai à la porte du monument.
Est-ce mon intolérance chronique qui causa la colère de Dieu ? j'aimerais croire qu'il n'en fut rien même si le Très-Haut se mit dans une rogne de toute première grandeur ! Des cataractes tombèrent du ciel, plongeant la cité dans la nuit et le désordre. Bientôt, on n'y vit plus goutte quoiqu'en la circonstance l'expression sonne fort mal à propos. Il tombait des cordes, des seaux, des trombes d'eau …
Chacun nommera la chose comme il l'entend tandis que moi je recevais le tout sur le coin du nez, ce qui doucha bien vite une conviction supposée inébranlable. Il n'y avait plus d'autre issue que de demander l'asile à Sainte Thérèse qui justement fêtait ses 500 ans de gloire. Bonne fille, elle me tendit les bras, m'invitant à trouver le repos en son sein.
La bonne sainte se trompait lourdement ou manquait cruellement de clairvoyance sur la chose météorologique. Tandis que l'office déroulait son petit bonhomme de chemin- les deux prêtres, imperturbables aux manifestations du Malin, continuant comme si de rien n'était à unir deux êtres qui avaient sans doute beaucoup péché- la pluie s'invita à son tour à la liturgie.
Insinueuse tout d'abord, elle se glissa par la porte grande ouverte, ruissela tranquillement sur les marches pour venir lécher les tapis de l'entrée. Puis le flot devint tumultueux ; la pluie dégoulinait sa colère, pénétrait tel un ru dans le monument consacré. Bientôt le parvis ne fut plus qu'un cloaque ; l'eau continuait sa lente et inexorable progression vers les fidèles … Le mécréant ne pouvait rester les deux pieds dans ses sandalettes, déjà trempées du reste, il vint au secours de la communauté religieuse !
Je me mis à rouler les grands tapis persans qui ornaient l'entrée de l'église. Un fidèle vint me donner un coup de main ; il était le seul à s'être rendu compte de ce qui se passait silencieusement au fond du monument. Les autres se retournaient, réprobateurs : mais quelle était donc cette agitation si irrespectueuse dans la maison de Dieu ? Le prêtre ignorait alors qu'il allait devoir mettre de l'eau de pluie dans son vin de messe !
Le Tout-Puissant se déchaînait, Sainte Thérèse prenait l'eau de toute part. Un torrent se déversait par les marches. Je fermai le lourd portail de bois mais l'eau passait en-dessous. Je ne savais plus que faire pour barrer la route à ce torrent furieux. Cette fois enfin, d'autres assistants qui avaient pris conscience de la catastrophe, étaient venus à mon secours tandis que l'office, imperturbablement, continuait son bonhomme de chemin. Dieu a prêché dans le désert ; ses représentants sur terre ne semblent pas être experts en matière hydraulique.
Mes amis interviennent, eux aussi ; en réponse aux interrogations locales, nous prétendons faire partie d'une ONG qui vient au secours des édifices religieux dans le péril ; les Hongrois se satisfont de l'explication : le temps presse, les fidèles vont avoir les pieds dans l'eau ; il faut arrêter la vague qui pénètre dans la maison de Dieu.
Celui qui doit faire office de sacristain, arrive avec une dizaine de seaux et de malheureuses serpillières de bien peu d'utilité. Nous nous emparons de vases, contenant jusque-là des fleurs, afin de leur donner un autre usage ; la joyeuse troupe des Français se met à écoper tandis que les Hongrois qui ne suivent plus la messe vont vider les récipients dans les toilettes de la sacristie.
Le manège va durer sans doute une bonne heure ; nous ne cessons de lutter contre cette eau qui veut envahir l'église de Sainte Thérèse. Sous la porte, elle continue de couler, il faut faire cesser ce flot. J'arrache un tapis de sol, le sacristain s'empare de la rampe d'accès des personnes dites à mobilité réduite et nous constituons un barrage de fortune devant la grande porte à double battant. Le dispositif du bouchon fonctionne : c'est un miracle qui ne sera sans doute pas reconnu par la hiérarchie épiscopale ; qu'importe !
Nous pompons, nous écopons, nous serpillons, nous barrons les ruissellements afin qu'ils ne viennent pas tomber dans le puits de lumière de la crypte. Une vingtaine de personnes s'affairent désormais au sauvetage de la noce et de l'édifice. Nous avons eu un moment jusqu'à quatre à cinq centimètres d'eau sur les pieds. Le grand navire religieux menaçait de couler avec ses fidèles, toujours aussi imperturbables, priant sans doute pour le salut de nos âmes et la survie de la leur.
C'est ainsi que la messe et le mariage purent se terminer à pied sec. Les fidèles sortirent par la sacristie pour affronter la pluie qui n'avait cessé de tomber. Ils découvraient alors un quartier plongé dans le noir, électricité coupée, transports arrêtés. Consciencieux, nous terminâmes notre mission, vidant ce qui pouvait l'être encore avant que de rendre nos seaux et de quitter la tête haute cet endroit.
Le prêtre, trop occupé sans doute à régler les affaires divines, était parti par la sortie dérobée sans venir ne fût-ce que jeter un œil. Fort heureusement son diacre, le sacristain et quelques fidèles de l'endroit nous remercièrent chaleureusement. Les deux jeunes mariés et leurs deux témoins partirent eux aussi ; apprenant qu'en France, la pluie était associée à l'idée d'un mariage heureux, ils en furent ravis.
Il faisait nuit sur Budapest ; la pluie semblait vouloir faire une pause mais nous étions trempés de la tête au pied et assez loin de notre lieu de résidence. Nous voulions nous restaurer quelque peu dans un endroit à l'abri afin de terminer dignement cette soirée dantesque. On nous avait conseillé un restaurant du nom de Kasimir ; pensez-bien que j'avais retenu ce nom. Hélas, le dénommé Kasimir avait lui aussi subi des avaries, tout comme une bonne partie de la ville, privée d'électricité et envahie par les eaux.
Nous trouvâmes finalement un endroit épargné et pûmes reprendre un peu de force avant de rentrer, marchant à nouveau sous la pluie à travers une ville qui semblait sortie d'un cauchemar pour nous retrouver dans un appartement plongé lui aussi dans l'obscurité.
Désormais, 1515 ne sera plus pour nous la date de la bataille de Marignan mais celle de la naissance de Thérèse d'Avila. Quant à l'année 2015, elle sera marquée par le miracle de l'église Sainte Thérèse : j'ai eu la révélation, une pelle dans la main, pour écoper l'eau du ciel. C'est moins glorieux que du Paul Claudel, mais chacun fait comme il peut avec les messages divins. Thérèse, ce soir-là, avait perdu les eaux et je fus fier de lui venir en aide tel un bon samaritain …
Miraculeusement sien.
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