Le Tour de France
L'inexplicable passion.
Existe-t-il épopée plus romantique, aventure plus épique, spectacle plus éblouissant que notre Tour de France ? J'use à dessein d'un adjectif possessif car pour nombre d'entre-nous, demeure une relation privilégiée, personnelle, intime à cette manifestation qui pourtant draine tous les défauts et les dérives de notre société. Qu'importe les affaires de dopage, les coureurs français rabaissés au rang de faire-valoir, le scénario le plus souvent implacable des étapes, nous demeurons figés devant nos écrans comme les gamins que nous étions autrefois.
Chacun y va naturellement de son explication pour ce curieux attachement à un spectacle sportif parmi les moins photogénique. Les uns affirment que les images de la France vue du ciel sont un pur bonheur tandis que d'autres prétendent fuir les fortes chaleurs d'un mois de juillet de plus en plus caniculaire. Certains osent dirent qu'ils ne s'y intéressent pas vraiment et que leur téléviseur est allumé par hasard. De plus rares se disent passionnés de la chose cycliste.
Et pourtant, nous sommes tous scotchés devant la petite lucarne à regarder des forçats du bitume pédaler inlassablement, le nez dans le guidon ou les mains sur les cocottes de frein à la poursuite de l'échappée du jour tandis qu'un insensé se trouve coincé entre le peloton et la tête de course alors qu'il est parti en chasse-patate. D'autres sucent les roues en attendant leur heure pour gicler à la pédale ou simplement se faire la belle en partant en facteur.
Car non seulement nous regardons ces images souvent lancinantes mais au fil du temps, nous intégrons le vocabulaire d'une petite reine qui se met en danseuse pour fleurir notre langue. Antoine Blondin n'est plus mais chacun a compris que prendre le micro ou la plume pour évoquer la grande boucle impose de soigner sa prose tout en la fleurissant de quelques merveilleuses trouvailles.
Est-ce cela qui nous explique cet attachement si particulier à la quintessence de notre esprit cocardier en dépit des résultats souvent décevants du régional de l'étape ou du porteur du maillot tricolore ? N'y aurait-il pas au contraire une plongée dans un Tour d'enfance qui ne cesse de rejaillir en juillet des limbes de la mémoire, quand les coureurs n'étaient que des maquettes et le parcours un circuit parcouru par des billes ?
D'autres faisaient le tour de la campagne avec des camarades tous aussi exaltés par des exploits plus entendus dans les bulletins d'information que regardés en direct. La magie opérait néanmoins, faisant de chacun de ces gamins sur leur coursier, des héros de la course. C'était il faut bien l'admettre une époque où l'exercice physique imposait sa loi tandis que les ordinateurs n'étaient encore que des hypothèses incertaines.
Le Tour c'est donc tout ça et plus encore, le souvenir d'une longue attente en famille sur le bord d'une route, le passage chamarré de la caravane publicitaire, la collecte d'objets plus inutiles et vains les uns que les autres, les conversations de spécialiste d'occasion l'oreille collée au transistor, l'impatience et l'énervement jusqu'à ce que tout d'un coup, en coup de vent, passent à une vitesse folle un peloton précédé et suivi d'un ballet de véhicules.
Chacun de constater alors que l'attente fut bien longue pour ce courant d'air sentant l'embrocation et la sueur. Pourtant, l'année d'après si jamais le Tour passait à proximité, se répétait le même programme. Bien sûr, c'est là le souvenir d'un gamin de la plaine qui ne connut jamais la ferveur hystérique des lacets en montagne ou par définition, chacun se marchait sur les pieds.
Nous avions dans mon village d'en-France un attachement tout particulier à cette compétition puisque une équipe portait les couleurs de l'usine de cycles qui fit la gloire de Sully-sur-Loire. Avec le maillot Hélyett, le Grand Jacques emporta trois Tours de France (57, 61 & 62) et l'épreuve fit même étape dans notre cité. Ça laisse des traces indéfectibles dans un esprit exalté et depuis, je ne cesse de courir après ce passé dont finalement je n'ai aucun souvenir mais tant de réminiscences.
À contre-roue
Tableaux de Lucie LLONG
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