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Le Trou du Fût

À Table ...

La vérité toute crue …

Il était un temps où les géants partageaient encore la vie des pauvres mortels que nous sommes. La Loire était le domaine de Gargantua et du petit Pantagruel. Ceux-là ne dédaignaient pas de recevoir la visite de leur voisin Galifront, le bon monstre du Berry et des étangs de Bresse. Par contre, quand survenait le Grand Égoutier, l'ambiance tournait toujours à la querelle. Le vilain étant atteint du syndrome de Tourette et affublé de la fâcheuse manie de gober tout crus quelques enfants qui se trouvaient sur sa route.

 

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Galifront était un compagnon charmant, toujours prompt à lever le coude en compagnie de ses deux collègues tourangeaux. Mais il y avait son âme damnée : le mauvais géant qui jurait pire qu'un vilain diable ou un larron en foire. D'aucuns prétendent que le Grand Égoutier avait le vin mauvais ; chose heureusement fort rare dans le monde des personnages légendaires.

À l'invitation de Gargantua qui organisait un banquet à vider toutes les étables et les caves de la région, les hommes de grande taille et d'appétit démesuré s'étaient retrouvés pour célébrer la Saint Jean. Tous les prétextes sont bons, chez les humains comme chez eux autres pour lever le coude et ripailler entre amis. C'est à l'occasion de l'anniversaire de Grandgousier que se déroulaient ces gigantesques festivités !

Les broches ne cessaient de rôtir des bœufs entiers, des génisses et quelques gorets de taille respectable. Partout on s'affairait pour nourrir des géants qu'il valait mieux avoir en portrait qu'à table. Le plus redoutable cependant était d'assouvir la soif démesurée de ces gosiers hors-norme. C'est par fûts entiers qu'il fallait approvisionner la table. Rien cependant qui pût effrayer des vignerons de Loire, habitués à de belles récoltes de vins délicieux et sains.

Tout vira à la catastrophe quand le Grand Égoutier s'introduisit sans avoir été convié. Gargantua connaissait son appétence tout autant que son incapacité à tenir la chopine ; en la circonstance, il serait plus conforme à la vérité de remplacer la chopine par un muid. Plus le Grand Égoutier buvait, plus ses propos faisaient trembler de honte un bon chrétien, et plus il perdait toute mesure. Galifront avait honte de son compagnon !

C'est en fin de banquet que l'affaire tourna au drame le plus épouvantable qui soit. Gargantua avait mandé un vigneron de Sancerre pour fournir à la belle assemblée un vin de sa région. On peut être un géant célèbre et ignorer qu'il est préférable de boire le vin blanc en début de festivité. Nous pardonnerons cette faute de goût qui aurait été sans conséquence notable si le Grand Égoutier n'avait eu un coup dans le nez.

Le maudit, attrapant un tonneau de taille respectable, le vida cul sec. La goutte de vin qui fait déborder l'emphase, sans doute. Il se mit alors dans l'idée qu'il lui fallait sur-le-champ dévorer tout crus quelques très jeunes enfants pour retrouver ses esprits et poursuivre libations et festins avec ceux auprès de qui il s'était imposé si élégamment.

Quand on manque de savoir-vivre, cette tare s'exprime de bien des manières. En la circonstance, ce sont les deux jumeaux de ce pauvre vigneron du Rocher qui firent les frais de la voracité de l'ogre. Comme d'autres engouffrent des cacahuètes- si celles-ci eussent été connues au bord de Loire en cette époque lointaine- le Grand Égoutier se délecta des pauvres innocents.

Gargantua qui avait spécialement fait venir ce vigneron, voyait en cette folie une insulte et un forfait parfaitement inconcevables sur ses terres. Il voulut faire rendre gorge à ce maudit quand Pantagruel, bon fils, s'interposa et lui souffla un stratagème qui amusa le bon géant. Aussitôt dit, aussitôt fait, Pantagruel mit au défit le Grand Égoutier de boire cul sec un muid de vin de Bourgueil plus vite que lui.

Connaissant la prétention sans nom de son collègue, le fils de la maison savait que l'autre n'allait pas résister à la joute vineuse. Il rusa et le laissa aisément gagner, ne doutant pas que, cette fois, le Grand Égoutier ne subît les effets du trop plein d'alcool, y compris pour un géant de sa taille. Ce qui ne manqua pas de se faire dans l'instant : le monstre s'effondra du haut de sa taille démesurée et se mit à ronfler pire que tonnerre.

Aussitôt, suivant les conseils avisés de Rabelais, le créateur de ces joyeux drilles, qui, ne l'oublions pas, était médecin, la femme du vigneron entreprit d'ouvrir le ventre de celui qui avait englouti ses deux chers petits. Avec un savoir-faire digne des grands chirurgiens, cette femme, habituée aux travaux de couture et d'aiguilles, ouvrit encore plus délicatement l'estomac de l'ivrogne.

Les deux jumeaux étaient sains et saufs. Ils avaient survécu dans le ventre de ce pochard honteux. Hélas, ils avaient tant partagé leur refuge avec des quantités diaboliques de vin qu'ils gardèrent de cette aventure peu banale, une fâcheuse propension à boire plus que de raison. Ce défaut peut se concevoir quand on fait métier de la vigne et, bien vite, les jumeaux furent affublés du sobriquet de « frères Pinard ». Par la suite, de génération en génération, seul le sobriquet resta et devint le nom de famille de vignerons réputés dans le sancerrois. Mais ceci est une autre histoire …

Le père des jumeaux, mis au fait des intentions de Pantagruel, aidé de son propre père, était allé quérir avec son tombereau des rochers énormes que l'on installa dans l'estomac de l'affreux personnage qui ronflait toujours du sommeil de l'ivrogne. La femme du vigneron, riant sous cape et heureuse de se venger ainsi d'une frayeur qu'elle n'était pas près d'oublier, refit des coutures parfaites, assurant une parfaite étanchéité. L'estomac ainsi lesté, le Grand Égoutier fut promptement transporté au Saut aux Loups du haut duquel il fut jeté dans la Loire.

 

Depuis ce jour mémorable entre tous, le Grand Égoutier ne fut jamais revu sur Terre. Il se dit que parfois, en cet endroit, de drôles de bulles remontent des profondeurs de la rivière, en un lieu aujourd'hui baptisé « Le Trou du fût ». Ce sont sans doute les entrailles du méchant Géant qui continuent d'évacuer tous les relents infâmes que leur propriétaire avait entreposés. Prenez bien garde de ne point respirer les miasmes de ces gaz : il vous en coûterait de joyeux étourdissements. Pour arriver au même résultat, je pense qu'il est préférable de boire quelques verres d'un bon petit vin de Loire.

Si vous apercevez sur ces entrefaites de grands géants débonnaires aux visages rubiconds, rien de plus normal. Il vous faudra cependant essayer de vous modérer un peu si vous voyez Pantagruel, Gargantua et Galifront tout de rose vêtus. Ce serait signe, sans la moindre hésitation, d'un trop grand abus, ce qui m'étonnerait fort de votre part.

Bacchanalement vôtre.


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4 réactions à cet article    


  • Ruut Ruut 16 juin 2015 17:03

    Terrifiant.


    • C'est Nabum C’est Nabum 16 juin 2015 18:00

      @Ruut

      Que nenni !

      Simple farce


    • marmor 16 juin 2015 18:39

      Rouge sur blanc, rien ne bouge
      Blanc sur rouge, tout fout le camp !
      Et c’est ainsi que j’attrapai la maladie « des pieds bombés » !!

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