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Accueil du site > Culture & Loisirs > L’été léger > Récit d’une voix caverneuse

Récit d’une voix caverneuse

 

Mémoire d'un autochtone véritable.

 

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Longtemps je me la suis coulé douce en bordure de la rivière dans ce Val opulent, cher à mon cœur. Installé sur un petit promontoire, je disposais là d'une grotte tout confort, avec vue imprenable sur la Loire et chauffage central. J'appris plus tard que l'on disait de ce type de demeure qu'elle était troglodytique quoique la mienne ne fut pas creusée dans le tuffeau mais dans le calcaire de Beauce. C'est peut-être un détail pour vous mais pour elle, il garantissait une solidité à toute épreuve.

Au tout début de mon séjour en cette belle région, je n'étais importuné par nul voisin. Seuls les animaux partageaient avec moi ce territoire de cocagne quand nous vîmes surgir du levant des petits groupes de drôles de bêtes allant debout sur les pattes postérieures. J'appris plus tard, à mes dépens du reste, qu'on les nommait Hominidés.

Pourtant au début, nous entretînmes d'excellentes relations au point que je ne tardais pas, après une période d'observation distante, à établir des contacts chaleureux avec eux. J'en vins même à leur enseigner l'art délicat de la maîtrise du feu. Un échange de bons procédés puisque de leur côté, en ce temps lointain, ils me vouaient une admiration sans borne au point de m'honorer à l'égal d'une divinité.

Le temps passa. Je constatais non sans plaisir les progrès que connaissaient mes voisins dans bien des domaines sans qu'alors je ne m'en inquiétasse outre mesure. Nous vivions chacun de notre côté, je ne leur causais qu'un tort modéré puisqu'à chaque nouvelle Lune, je me repaissais d'une jeune bergère pourvu qu'elle fut vierge de son état. Un petit désagrément qu'ils percevaient comme une contrepartie acceptable à ma présence tutélaire. Le reste du temps, un simple mouton suffisait à mon contentement. Par la suite, ils tolérèrent du reste des comportements bien plus odieux de la part de ceux qui s'arrogeaient le pouvoir sur eux.

Puis nos relations virèrent à la franche hostilité quand des prédicateurs, des hommes portant une robe de bure vinrent s'installer dans le pays. Ceux-là me voyaient comme le symbole des fois archaïques qu'ils entendaient combattre au nom de leur nouveau dogme. Ils me traitaient de suppôt de Satan, un collègue pyromane parait-il qui vivait lui aussi dans les entrailles de la terre avec lequel je finis par entretenir des relations cordiales.

Je fus bientôt mis au ban, rejeté par ceux qui jusqu'alors me vouaient un immense respect. Il me fallait fuir leur compagnie, me terrer dans ma caverne, me faire le plus discret possible ; ce qui avouons-le n'est pas dans ma nature. J'en perdais ma bonhommie légendaire, cessait d'établir des contacts avec des voisins qui devenaient de plus en plus envahissants, agressifs à mon encontre et plus encore hostiles. L'existence devenait pour moi un long chemin de croix.

C'est alors que débuta une longue, très longue période d'errance pour moi. J'appris que ceux qui me tourmentaient étaient des moines Cénobites installés dans la région par un barbare converti de fraîche date et pour complaire à son épouse à la nouvelle croyance. Ce dénommé roi des Francs se faisait appeler Clovis et eut la pertinente idée de réaliser l'union du glaive et du goupillon avec la complicité des porteurs de soutane. De cette année maudite entre-toutes de l'an de disgrâce 511, année du premier concile de l'église franque qui eut lieu en Orléans, je devins le proscrit, le fuyard, la bête traquée.

Le premier à me pousser ainsi à l'exil fut un certain Mesmin, moinillon de faible constitution qui néanmoins vint se présenter à moi, porteur de sa foi et des instruments de sa fonction ecclésiastique. Il me pria de disparaître sous terre, de déguerpir de là, muni qu'il était d'un avis d'expulsion validé par ce nouveau pouvoir. Je n'avais plus qu'à m'enfuir sous terre par des cavités secrètes dont j'avais connaissance tandis que l'autre de se vanter qu'il m'avait terrassé.

Je découvris bien vite que mes adversaires usèrent tous de ce vocable pour non seulement signaler ma disparation mais surtout pour s'attribuer indument une victoire sur ma personne. L'absence de ma dépouille n'influençant en rien la croyance des naïfs en cette victoire qualifiée bien vite de miraculeuse. La béatification et la vie éternelle étaient les seuls trophées pour ces vantards prétentieux.

Ce fut le commencement d'une longue période de tourments, de fuites impromptues, de travestissements multiples pour votre serviteur qui dut tout à la fois changer de patronyme, d'apparence et de demeure. Je devins un véritable spécialiste de la métamorphose, prenant des formes et des noms différents. Au terme de chaque nouvel épisode, il me fallait toujours m'incliner devant un candidat à la postérité, terrassier de son état afin qu'il puisse bâtir une nouvelle église.

Je fus Coulouvre, Gergolium, Lépuda, Ganipotte, Basilic ou bien encore Grande-Goule sous des aspects forts différents d'après les témoignages humains dont on sait l'immense fragilité. Je devais disparaître quand un individu porteur de la croix : un sauroctone, me condamnait à la fuite. Ce fut très souvent des hommes mais je dois à ma grande honte vous avouer que même une femme, une certaine Radegonde usa de ce subterfuge honteux pour en tirer une gloire éternelle.

Ma traque dura quelques siècles jusqu'à ce que les autres humains se lassent d'avaler pareilles sornettes. Je fus un bon moment tranquille, ne cherchant plus à me montrer ni à établir des relations avec cette espèce si prompte à croire aux chimères. Puis il me fallut reprendre du service avec un certain Arthur Pandragon qui me confia autour de sa table ronde pour négocier une relation chevaleresque. Je n'étais plus l'objet de la quête ce qui me permettait de profiter tranquillement d'une retraite paisible. Nous scellâmes ce contrat en trinquant dans une curieuse coupe.

Cet épisode constitua ainsi un feu de paille pour un récit écrit à la plume par un certain Chrétien de Troyes et complété par un certain Jehan de Meung, originaire d'une cité où je m'étais établi jadis en prenant l'apparence d'un monstrueux serpent. Cette fois-là j'avais dû en découdre avec deux compères : Liphar et Urbice avant que de devoir une fois encore partir pour d'autres cieux.

Puis on cessa d'accorder de l'importance à ces fariboles. Je prenais place dans les livres pour enfant afin de les effrayer un peu sans que quiconque n'accorde plus créance à ces fadaises d'un autre temps. J'avoue que j'en éprouvais une grande contrariété même si j'avais pris l'habitude de mesurer l'immense ingratitude de cette déplorable espèce.

Puis tout bascula de nouveau avec un collègue venu de Chine qui tira la couverture à lui pour envahir les écrans, les fêtes et les esprits. Je ne vis pas d'un bon œil cette arrivée qui me supplantait sans autre forme de procès. Ce qui me blessa plus encore c’est qu'il prit ma place en bien des célébrations, venant parader sur les lieux mêmes de mes exploits d'autrefois.

Je dus me rendre à l'évidence, l'inculture crasse des humains les poussent toujours à se tourner vers ce qui est le plus clinquant, le plus tapageur, le plus rutilant. Moi le dragon autochtone je ne pouvais rivaliser avec ce pantin de pacotille qui aime à défiler dans les rues sous les hourras d'une foule béate. J'avoue avoir à plusieurs occasions eu grand désir de les condamner à mon crématoire d'un museau dévastateur.

Ce qui me choqua plus encore fut que le château de Meung sur Loire affiche une animation autour de dragons de pacotille alors qu'en ce lieu qui fut jadis un marais insalubre, je m'étais grimé en Coulouvre terrifiante. Je compris alors pourquoi cette ville retint l'âne comme emblème. Je brûle de ressurgir ici pour leur faire grande et belle leçon d'histoire dussè-je me revêtir de blanc.


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4 réactions à cet article    


  • juluch juluch 22 juillet 2024 11:52

    Le symbolisme chinois dans les dragons.....protection, arts martiaux....

    Ces symbolismes sur le dragon se retrouve pratiquement partout, Grèce antique, Egypte, Mongolie....


    • C'est Nabum C’est Nabum 22 juillet 2024 13:44

      @juluch

      Y compris dans les temps les plus reculés


    • sylviadandrieux 23 juillet 2024 19:39

      L’autochtone véritable est-il seul à souffrir de l’envahissement des « étrangers » sur sa terre à lui rien qu’à lui puisqu’il y est né et que les envahisseurs n’ont qu’à aller envahir ailleurs que chez lui ? 

      Du vécu ? un ressenti ? 

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