Souvenirs d’un gardien de but ringard
Les Jeux Olympiques ne constituent pas l’évènement le plus important du football. Ce sport n’est pas pour autant absent des JO 2024. Certes, nombre des stars de la discipline sont absentes, mais le plateau offre néanmoins aux fans du ballon rond matière à de belles émotions. Et cela sur des terrains impeccablement entretenus, devant des foules de supporteurs enthousiastes. Autrement dit, très loin des conditions de pratique de millions d’amateurs, le plus souvent relégués sur des terrains improbables ignorés de tous...
Encore une chaussure à lacer et je vais être prêt. C’est généralement à cet instant que je m’aperçois que j’ai oublié d’enfiler mes genouillères. Zut ! Je délace mes pompes en pestant et j’enfile les précieuses protections. Puis je gagne avec mes coéquipiers le théâtre de nos futurs exploits : le terrain de foot. Ou plus exactement l’espèce de terrain vague qui en tient lieu, coincé entre une barre d’immeubles et une route à grand passage. Mais après tout, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Et de ce côté-là, ça va plutôt bien, vu qu’on s’est déjà envoyé deux grands calvas en arrivant au vestiaire, histoire de se mettre en condition. Chacun sa dope...
Bref, après un échauffement succinct consistant en une flexion pour remonter mes genouillères – inutile de se vider avant le match –, je me soumets à une séance de tirs. Ça, c’est un moment que j’aime bien : relax, le Fergus ! Faut dire que mes potes tirent partout : à gauche, à droite, au-dessus… mais dans le but, jamais ou presque. On dirait des mortiers. Le mortier, quand vous tirez avec, il vous faut bien vingt obus pour atteindre la cible. Eh bien, mes copains, c’est exactement ça : je joue avec dix mortiers ! Notez bien qu’ils marquent quand même des buts de temps à autre. Notamment lorsqu’ils foirent complètement leur tir : ça prend parfois le gardien adverse à contrepied !
Le match commence. Aujourd’hui, pas trop de caillasses mais une gadoue à faire pâlir de jalousie un curiste dacquois. Je dispose même d’une petite piscine personnelle devant mes buts. Et comme d’habitude en pareil cas, j’ai déjà piqué une tête dedans au bout de deux minutes de jeu. Lorsque je me relève, je pèse trois kilos de plus. Il y en a qui portent des équipements Adidas® ou Nike®, moi ce serait plutôt Spontex®, mais sans la face qui gratte toutefois.
3-0. Pour qui ? Pour les autres évidemment, mes copains n’ont pas encore raté de tir ! Et voilà qu’une nouvelle attaque se développe. Par chance, la balle est contrée et file en corner. Je me mets en place au deuxième poteau, légèrement à l’intérieur de mon but. Mais le filet n’est pas assez tendu et je me prends une oreille dans les mailles. Je me débats et parviens à me dégager au moment précis où la balle arrive, à hauteur des six mètres, aérienne et menaçante comme un boulet prussien lors du siège de Paris. Mais j’ai bondi et… les quatre-vingt kilos de l’avant-centre adverse, me projettent à terre, me tombent sur le râble et m’enfoncent dans la boue d’où je ressors avec un masque facial du plus bel effet. Quant au ballon, propulsé de la tête par mon adversaire, il a de nouveau terminé sa course au fond des filets. Il y a des jours comme cela où rien ne vous réussit.
Une clôture délabrée
Le jeu s’équilibre pourtant peu à peu : on ne prend plus qu’un but toutes les dix minutes ! C’est le moment que choisit notre arrière-gauche pour s’entraver les lacets en laissant filer l’ailier adverse. Celui-ci adresse un centre impeccable que je parviens toutefois, grâce à une anticipation judicieuse, à intercepter au prix d’une brillante envolée. Hélas pour moi, à peine ai-je atterri dans l’élément semi-liquide de notre aire de jeu que je pars dans une spectaculaire glissade digne d’un patineur artistique à la sortie d’un triple salchow raté. Par une malchance insigne, ce glissando se termine hors des seize mètres. Coup franc. Sans perdre une seconde, je place mes potes pour former un mur de protection. Encore que cela ressemblerait plutôt à une clôture délabrée. La balle est partie. Moi aussi. Une nouvelle fois j’effectue un plongeon dans la piscine. En pure perte : la balle a été contrée de la main par l’un des éléments du mur. Mais c’était ça ou il prenait la boule de cuir dans les noix ! À sa place j’aurais fait le même choix.
Pénalty. Tandis que les autres joueurs quittent la surface de réparation, le tireur désigné se saisit du ballon, l’essuie amoureusement sur son maillot et le pose délicatement sur le point fatidique. Puis il recule, recule, recule… Mais où va-t-il ce con ? Il ne va tout de même pas prendre autant d’élan ? Surtout que c’est une vraie bête, ce mec, avec ses mollets d’haltérophile et ses godasses hypertrophiées… Ça y est, il est parti. Que faire ? Tenter l’impossible ou se protéger au mieux ? J’opte pour la seconde solution et décide de ne pas bouger : c’est encore au milieu de mes buts que je serai le plus en sécurité. Un claquement sec se produit alors et la balle grossit… dans ma direction : cet abruti me tire dessus ! J’essaie bien d’esquiver, mais il est trop tard : je la prends en plein dans le museau et je m’écroule au sol, complètement groggy mais la balle coincée sous ma poitrine. Aussitôt mes coéquipiers se précipitent sur moi et me félicitent chaleureusement. « Ah, ce Fergus ! » dit Riton sur un ton admiratif. « Quel gardien ! » s’exclame Dédé. « Heureusement qu’on l’a ! » affirme Jipé. J’en suis tout ragaillardi. Et mes copains aussi puisque l’un d’eux rate enfin son tir sur la contre-attaque qui s’ensuit. 13 à 1. On a sauvé l’honneur !
Des créatures de rêve
Cependant le match n’est pas tout à fait terminé. Et tandis que nous pensons avoir réalisé notre meilleur résultat de la saison, voilà que soudain, le tireur aux grands ribouis, très vexé semble-t-il, échappe à notre défense et se présente seul à l’entrée de la surface. Courageusement, je me lance à sa rencontre et me couche sur la trajectoire de la balle à l’instant précis où le monstre arme son tir… Bingo ! J’ai capté le ballon. Problème : j’ai également pris la godasse du mec en pleine tronche.
Alors là, je peux vous l’affirmer, c’est beaucoup mieux qu’un Airbus 380 : en un instant, je suis transporté sur une plage idyllique bordée de cocotiers et de flamboyants. Allongé sur le sable chaud, je me livre avec volupté à la caresse du soleil couchant tandis qu’autour de moi, des ondines entièrement nues, exception faite d'une fleur de tiaré sur l’oreille, rivalisent de charme et de sensualité pour me séduire. Précisément, l’une d’elles me rafraîchit le front à l’aide d’une préparation exotique aux senteurs enivrantes. Quelle est donc cette créature de rêve ? Doucement j’ouvre un œil, puis deux… Merde ! En fait de beauté troublante, c’est mon pote Jojo qui m’applique une compresse au Synthol®. Décidément, rien n’est parfait !
Entretemps, j’ai été remplacé dans les cages et le match s’est terminé sans que le score n’ait évolué. Tout compte fait, nous sommes plutôt satisfaits. Certes, tout n’a pas été parfait, loin s’en faut, mais on sent que notre équipe est sur la voie de la cohésion. Simple question de temps. Quant à moi, pour rien au monde je ne changerais de poste. Seul dans mes bois, je m’éclate… tantôt le genou sur un caillou vicelard, tantôt le coude contre l’un de mes poteaux, mais cela fait partie des risques de la fonction. En attendant, après une bonne douche et un pot avec les copains, je me dépêche de filer vers un autre stade où m’attendent les jeunes footballeurs dont j’ai la charge.
Le temps s’est écoulé. Cela fait maintenant 30 ans que j’ai arrêté de jouer, après 32 saisons passées dans mes cages, une demi-douzaine d’entorses, deux luxations, une fracture et quelques trophées dérisoires. Tout cela pour pas un rond. Rien à voir avec ce football professionnel très largement gangrené par les intérêts financiers et les dérives comportementales d’une minorité d’abrutis. Un sport que je n’ai pourtant jamais renié. La preuve : si c’était à refaire, « je signerais des deux mains », comme on dit dans le milieu !
Reprise modifiée d’un texte de 2009
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