Tapolca
Mes billets de Hongrie N° 7

Le grand chemin
Quand on est englué dans une cité balnéaire en liesse comment fuir dignement la foule des estivants limaçons dont on cherche désespérément à se démarquer ? Puisque ceux-là sont tous bloqués sur la bande littorale, seul l'arrière-pays est susceptible d'offrir une bouée de secours. L'aventure mérite donc d'être tentée.
Hélas, les randonnées pédestres dans les territoires plus voués au bétail et aux grands espaces qu'à la concentration humaine, ne semblent pas appartenir encore à l'offre touristique de l'endroit. J'imagine toujours qu'il existe partout des chemins de grand vagabondage pour aller au gré de ma fantaisie : un réflexe d'arpenteur privilégié sans doute !
Il me faut me résoudre aux transports collectifs : point d'échappatoire à la force des semelles en ce lieu, à moins de consentir à côtoyer le bitume. Puisque tout est conçu pour le touriste à rayon d'action limité aux baraques à frites, aux buvettes et aux plages payantes à l'exception d'une piste cyclable enserrant le lac, le train demeure la seule possibilité de fuite à toute petite vitesse.
C'est donc dans un nouveau tortillard que je cherchai un peu d'oxygène et d'espace vital du côté de Tapolca. Une vieille locomotive diesel, asthmatique et bringuebalante me traîna suffisamment lentement pour que je puisse profiter du paysage jusqu'à cette charmante cité ; elle terminait ici une carrière ferroviaire bien remplie en exprimant au mieux une ambition d'un grand service public des transports territoriaux, depuis longtemps bradée en France.
Mon point de chute fut conforme à ce que j'attendais : une petite ville avec commerces de première nécessité, église et les inévitables restaurants pour touristes en goguette. La première surprise résida dans son cimetière, vaste et fleuri sans qu'il fût séparé des vivants par un mur ou une enceinte de cyprès : ici, les défunts ne sont pas éloignés des bien portants. Deux monuments aux morts : un par grande guerre, rendent hommage aux victimes de ces carnages qui, quoique vécus dans le camp d'en face, ont fourni le lot habituel de malheurs et de drames. J'y trouvai même le nom de famille de mon beau-frère, d'origine hongroise, gravé sur la pierre froide de l'hécatombe, pour honorer un presque homonyme.
Il était l'heure de se sustenter et je ne pouvais échapper à la terrasse au bord de l'eau, à l'ombre d'un vieux et majestueux moulin. Les carpes y engraissent à vue d'œil, gavées qu'elles sont par les offrandes des touristes. C'est là que j'eus la surprise d'être servi par le fils du patron. Il parlait parfaitement le français ce qui me simplifia grandement le choix du plat ; les menus étant quelque peu incompréhensibles dans cette langue qui n'est pas latine.
Le garçon refusa malgré tout de me livrer le secret de la préparation d'un chou rouge, servi chaud en légume d'accompagnement, légèrement vinaigré et parfaitement confit. Un régal dont je ne saurai jamais rien : le secret est bien gardé et mon insistance n'influença pas celui qui se tira par plusieurs pirouettes de mes demandes réitérées. Je restai donc sur ma faim alors que j'avais trop mangé.
Pour favoriser ma digestion, j'envisageais alors de plonger dans les entrailles de la terre afin de parcourir en barque des grottes d'origine volcanique. Las, je n'étais pas le seul à souhaiter naviguer sur ces eaux ferrugineuses : une queue impressionnante marquait la proximité des guichets. Je renonçai à l'épreuve ; je voulais fuir la foule et je me heurtais à nouveau à l'une de ses manifestations les plus pénibles …
J'optai alors pour le retour à pied, sans trop connaître la distance ni même l'itinéraire le plus approprié à un piéton. L'aventure est souvent au bout des semelles ; cette fois n'allait pas déroger à la règle. Après une sortie de ville assez pénible sur une route très fréquentée, une voie secondaire me tendait les bras. Elle était défoncée par les orages récents, ce qui avait l'avantage de décourager les automobiles …
Bientôt, ce qui restait de goudron laissa place à la terre battue ; j'avais trouvé un sentier et qui plus est, balisé : tout finit par arriver. Je suivis ses signes, empruntant alors une sente qui ne cessait de monter. Au loin, se dressait un piton rocheux, ancien volcan qui allait faire partie de mon itinéraire. Naïvement, je pensais que c'était celui que j'apercevais derrière mon lieu de résidence, erreur qui ne me sauta pas aux yeux immédiatement.
La montée fut quelque peu délicate pour un touriste imprévoyant parti dans l'aventure en sandalettes. La terre battue fit place aux rochers ; le sol était instable et les pentes sérieuses ; j'étais embarqué dans une véritable randonnée sans l'avoir envisagée. Je m'en tirai sans dommage après bien des efforts pour découvrir, au sommet de la chose, que le lac était bien éloigné de là. Ce délicieux détour menaçait de me mettre hors délai. …
La descente confirma que j'avais pris une mauvaise option. La chose est si fréquente que je ne m'en formalise jamais. J'arrivai dans un lieu isolé où trônait une chapelle dédiée à Saint Georges. Ne manquait plus qu'un dragon surgi soudainement. Ce fut un car crachant plus de nuages de fumée noire que le feu, qui se présenta à moi. Il allait là où je logeais ; la chance sourit souvent aux imprévoyants.
Rapidement le car se remplit durant un itinéraire particulièrement sinueux, serpentant à travers les vignes de cette grande région vinicole. J'avais le sentiment de vivre un monde à l'envers : le touriste français sentait la sueur et les voyageurs hongrois le vin. Leurs bagages étaient remplis de bouteilles qui accompagnaient de délicieux cliquetis les soubresauts de la route. Le ramassage des buveurs se fit dans un joyeux désordre en empruntant bien des détours ; mais que cette route fut réjouissante en dépit des fortes odeurs qui émanaient de mes joyeux « pochtrons » !
Le retour au point de départ fut bien moins drôle. Le Festival continuait de battre son plein. Cette fois la musique se fit vacarme ; l'anglais reprenait ses droits internationaux et les basses hurlaient le tempo. La soirée s'annonçait fracassante et mes craintes ne furent nullement déçues. Ce fut tonitruant et même insupportable parmi tous ces gens qui continuaient à s'abreuver de vin blanc sans modération. Je restai sobre ; surtout ne le répétez pas : ma réputation en serait entachée !
Œnologiquement leur.
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