Une fille qui fait tourner les vents
Au Girouet, une rose des vents.

Alizée
Il était un marin de Loire qui ne savait pas sa géographie. Il pensait qu'on peut se jouer des mots et des vents comme il se joue des heures et des rendez-vous. Faut dire qu'il était si jovial qu'on lui pardonnait bien des frasques. Il savait vous emberlificoter de son ton enjôleur, vous rouler tout autant de son sourire cajoleur.
Par contre, ce qu'il fit cette fois, la Loire ne lui pardonna pas. Si la vie sourit aux audacieux et que dans cette catégorie, il était passé maître, le fleuve demeure à cheval sur les fondamentaux météorologiques. On ne vient pas se mêler de troubler l'ordre des choses quand il s'agit de Dame Nature.
Le flibustier marinier décida donc un jour de donner un bien étrange prénom à sa fille. Alizée, le choix est doux à nos oreilles, il évoque bien des envies de voyage, des douceurs tropicales et des bises maritimes. Mais en bord de notre Loire, à quoi pouvait bien nous servir un vent qui va d'est en ouest ?
Bien puni par sa faute, le père n'eut qu'à se repentir de ce choix malvenu. Si sa fille, prunelle des ses yeux, avait sur terre d'immenses qualités, elle avait la diablesse, sur l'eau de bien étranges manières. Chaque fois que le vent de Galerne soufflait dans la vallée comme il était de coutume puisqu'il y est maître en son domaine, l'homme sortait sa grande et belle voile carrée.
Alizée, quoique fort occupée, arrêtait séance tenante tout ce qu'elle avait à faire pour rejoindre les bords du fleuve. Du quai, elle hélait son père pour qu'il lui fasse profiter de ce bonheur simple de remonter le courant par la seule force du vent. L'homme avait un cœur sensible et l'amour paternel plus puissant encore que celui qu'il vouait à sa Loire.
Il ne manquait jamais d'accoster sur le quai pour complaire à la demoiselle. Et là, la chose nous paraîtra à peine croyable, à chaque fois, un étrange phénomène survenait. Sitôt la belle montée sur le pont, le vent qui ne voyait pas d'un bon œil cette rivale lointaine, tombait brusquement. La voile pendouillait comme une toile en berne.
Alizée, bien naïve, s'étonnait à chaque fois de ce qu'elle ne pouvait jamais profiter de la traction éolienne. Mais elle ne pouvait faire, la pauvrette, le rapprochement avec son prénom. Le vent ne peut être susceptible, c'est du moins ce que pensent les gens qui restent à quai. Pourtant, il faut bien l'admettre, le vent de Galerne ne supportait pas qu'une Alizée vienne en son domaine !
Il me faut écrire cette fable pour que le père et la fille ouvrent enfin les yeux. Si pour le père il est bien trop tard pour inverser le cours des choses et surtout celui des vents, il peut néanmoins se réjouir de n'avoir pas céder au chantage d'Éole. Imaginez un peu la vie de la damoiselle s'il avait cédé au caprice céleste. S'appeler « Galerne » quand on est une jeune fille ne devrait pas être une sinécure !
Pour la demoiselle, elle doit désormais se résoudre à remonter le fleuve à la seule force des bras. Si son père a commis une bourde, c'est elle qui doit payer le forfait. Jamais vent favorable sur la Loire elle n'aura, elle doit se le dire une bonne fois pour toute. Mais si d'aventure, elle voulait traverser l'Atlantique, je ne doute pas un seul instant qu'elle aura alors un vent porteur qui l'emporterait à tire d'ailes.
Qui s'aime au vent, récolte la tempête, nous affirme le dicton. N'en croyons pourtant pas un traître mot. Pour qu'Alizée ait le vent en poupe, il lui faudra désormais quitter son nid douillet et paternel afin d'aller sur des flots plus tumultueux que notre belle fille Liger. Par son prénom, elle ne saura jamais ouverte aux quatre vents, un seul sera le sien, elle devra s'y résoudre !
Ventilateurement sien
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